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Actualités - OPINION

REGARD - « La terre vue du ciel » de Yann Arthus-Bertrand L’avenir en jeu (bis)

L’avenir en jeu*, c’est celui de la nature, mais aussi celui de la culture, c’est-à-dire de la civilisation humaine dans son ensemble, menacée par le fossé croissant entre le Nord trop riche et le Sud trop pauvre. À la « crise de pénurie » ici correspond une « crise de gaspillage » là. Pénurie et gaspillage de ressources limitées, souvent non renouvelables, ce qui compromet le destin des générations futures qui vont hériter d’un déséquilibre impossible à gérer tant que les mentalités n’auront pas changé. Échec à Johannesburg D’ores et déjà, les spécialistes annoncent l’échec du prochain « sommet de la terre » à Johannesburg, dix ans après celui de Rio de Janeiro dont les résolutions sont encore en grande partie lettre morte, et cela en raison de l’attitude négative, voire saboteuse des États-Unis et d’autres pays nantis comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, sans compter les résistances à certaines mesures de la part de nombreux autres pays. Autrement dit, les mentalités ne changeront pas de sitôt. Et la dévastation de la nature, océans, mers, terres, biosphère, atmosphère, va se poursuivre en dépit des appels pour un « développement soutenable » (durable) planétaire prenant en compte toutes les données démographiques, économiques, technologiques, etc. dans un modèle global. Dans cette perspective, les théories du rattrapage du Nord par le Sud ne sont pas seulement chimériques, puisque toutes les statistiques montrent que le retard et l’inégalité vont continuer à s’accentuer, mais carrément absurdes car leur réalisation signifierait un irrémédiable et fatal épuisement des ressources terrestres. Donc non pas la prospérité pour tous, mais peut-être l’indigence universelle. Capitalisme sauvage Nous vivons un moment charnière de l’histoire de l’humanité où les États-nations sont frappés d’obsolescence rapide puisqu’il n’est plus possible de résoudre les grands problèmes dans leur cadre étroit. Ils représentent, en ce sens, un obstacle au développement soutenable, surtout quand ils prétendent exercer leur hégémonie sur le reste du monde en lui imposant leurs intérêts propres, sous prétexte d’une mondialisation qui n’est que l’autre visage d’un capitalisme sauvagement destructeur s’avançant masqué de libéralisme économique, pensée unique et dogmatisme idéologique qui autorisent tous les excès, tous les abus, toutes les exactions. Déjà trop tard ? Tant que prévaudra la logique libérale, le développement soutenu est exclu et l’avenir de la terre restera compromis. L’humanité est-elle assez mûre non seulement pour prendre conscience collectivement des dangers qui la guettent, mais pour en tirer les conséquences pratiques ? Il ne le semble pas, hélas. Elle va donc droit dans le mur. Certains disent qu’elle y est déjà. Il est peut-être trop tard pour remédier aux pertes irréparables et surtout pour stopper la machine infernale qui les engendre. Dégradation Le Libanais n’a qu’à regarder autour de lui pour mesurer la dégradation de l’environnement et de ses produits (y a-t-il un seul fruit, un seul légume, un seul poisson, un seul œuf qui ait encore son goût originel ?) depuis un demi-siècle. Qu’en sera-t-il dans cinquante, dans cent ans ? Même les mesures de protection des sites classés au Patrimoine de l’humanité sont perçues comme des gênes insupportables par les promoteurs avides de bétonner les derniers prés carrés de nature et de culture. Il est vrai qu’en revanche la conscience écologique va en progressant avec les activités des associations ad hoc, les réserves naturelles nouvellement créées, etc. Mais sommes-nous sûrs qu’elles peuvent subsister longtemps sans subir d’atteintes ? Déjà on parle d’un projet de route qui traverserait la réserve des cèdres du Chouf. Cri d’alarme ou de désespoir ? Yann Arthus-Bertrand est un optimiste. Il croit en la bonté ultime de l’homme comme en la prime beauté de la nature. Il pense que l’homme saura prendre le bon tournant à temps, qu’il n’ira pas, en fin de compte et de parcours, dans le mur. D’où son cri d’alarme, son Chant de la terre en guise de memento mori, dans l’espoir que ce ne sera pas un chant de cygne. Mais la splendeur même de ses photographies est telle que son message court le risque de n’être ni entendu, ni compris, ni assimilé, ni surtout cru. La beauté des images du monde appréhendé du point de vue de Sirius, au lieu de nous persuader de la vulnérabilité de notre terre-mère, pourrait nous induire à croire que la capacité d’autorenouvellement de la nature et l’ingéniosité des hommes sont telles qu’elles finiront par s’allier pour prévenir les désastres annoncés. L’esthétique est peut-être contreproductive à cet égard. Le cri d’alarme est peut-être bien, en réalité, un cri de désespoir. Tout prophète de malheur est une Cassandre inentendue. Coquetterie d’artiste Yann Arthus-Bertrand assure : « S’il y a de l’art dans mes photos, c’est qu’il est dans la nature, c’est que le monde est art. » C’est évidemment un sophisme. L’art est dans l’œil de celui qui regarde le monde d’en haut, d’un perchoir privilégié, qui le cadre au bon moment, suivant le bon angle, sous la bonne lumière. Minimiser le rôle du photographe est une sorte de coquetterie d’artiste, de désinvolture élégante de la part de quelqu’un qui prépare ses sorties de prises de vues comme de véritables safaris. Et qui n’hésite pas à user et abuser de la pellicule : 15 000 films ont été nécessaires pour sélectionner les 124 photos de l’exposition et les quelque 200 du livre parmi 100 000 clichés. Il y a dans les photos retenues un équilibre, un centrage, un sens de la répétition des formes, de l’accumulation des éléments, un goût de la mosaïque, du maillage réticulaire, des structures concentriques, des sinuosités, des franges insolites, des panoramas spectaculaires qui trahissent tout un système de perception et des préférences esthétiques hautement personnelles. L’arbre de vie Yann Arthus-Bertrand n’oublie jamais, dans un paysage, d’introduire, comme par hasard, au moins un homme, un animal, un arbre, une embarcation, un avion, peu ou prou décalés du centre de l’image, pour donner l’échelle, à part les autres raisons. Le centrage d’un motif unique semble, en lui-même, un ressort important de l’esthétique du photographe : L’arbre de vie au Kenya vers lequel convergent toutes les pistes d’animaux pourrait être, en quelque sorte, l’archétype de toute une série de clichés. Les autres thèmes : accumulation, répétition, mosaïque, etc. sont à leur tour illustrés par de multiples exemples. Cohérence Autrement dit, Yann Arthus-Bertrand introduit toujours un ordonnancement dans le désordre du monde suivant un nombre limité de modèles abstraits a priori qu’on pourrait presque qualifier de transcendentaux. Il projette des schèmes perceptifs différents suivant la nature de ce qu’il s’apprête à photographier. Cela lui permet non seulement d’opérer une cristallisation de l’informe et du chaotique qui les rend significatifs, mais également de retrouver les mêmes structures formelles sous les apparences les plus diverses. Ces structures communes abstraites fondent la cohérence de son travail de photographe. Or, sans cohérence, il ne saurait y avoir d’œuvre d’art. Unité profonde En ce sens, la sélection opérée par Arthus-Bertrand est dictée par un souci de comparatisme analogique qui veut montrer, au-delà des différences de surface souvent considérables des phénomènes géographiques, l’unité profonde des lois qui les sous-tendent. Qui sous-tendent, en tout cas, leur visibilité telle qu’elle est répercutée par un homme qui entend se faire le porte-parole de la Terre en perdition : l’avenir est vraiment en jeu, ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est de la réalité des choses. Déjà, certains songent aux astronefs qui permettront à leur postérité de migrer vers d’autres planètes à mettre en coupe réglée. Places limitées aux VIP (WASP). Tant pis pour les autres, damnés de la terre. Cette exposition exceptionnelle a été accueillie par 40 villes dans 15 pays depuis mai 2000. Elle est présentée au Liban par Le Monde (édition Proche-Orient) et SIMAA dans le cadre de Francobis sur le site et avec la coopération de Solidere (en tirera-t-elle les conclusions qui s’imposent pour le reste de ses projets ?), grâce au concours de la SGBL, de la SNA et de Sanita et au soutien des autorités libanaises (qui n’en tireront probablement aucune conclusion). Première étape d’un projet appelé à couvrir la plupart des pays du monde, elle a déjà été vue par plus de 12 millions de visiteurs. Ne la ratez pas. L’effort en vaut la peine, malgré la canicule. *Voir L’Orient-Le Jour du vendredi 2 août 2002.` Joseph TARRAB
L’avenir en jeu*, c’est celui de la nature, mais aussi celui de la culture, c’est-à-dire de la civilisation humaine dans son ensemble, menacée par le fossé croissant entre le Nord trop riche et le Sud trop pauvre. À la « crise de pénurie » ici correspond une « crise de gaspillage » là. Pénurie et gaspillage de ressources limitées, souvent non renouvelables, ce qui compromet le...