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Actualités - REPORTAGE

LOISIRS - Le festival « Tmacha w shar » insuffle une nouvelle vie nocturne à la capitale du Kesrouan Jounieh, ville piétonne dès le soir tombé, attire ses nouveaux amoureux(PHOTOS)

Il n’y a pas si longtemps, à Jounieh, le soir il n’y avait pas un chat. Ou plutôt presque que des chats. Les choses ont bien changé depuis l’été passé, depuis que le festival « Tmacha w shar » (« Promène-toi en soirée ») a été lancé par la municipalité de la ville et l’association de préservation du patrimoine Apsad (branche du Kesrouan et de Jbeil), en collaboration avec le Conseil du développement du Kesrouan et l’Association des commerçants de la région, et qui dure de juin à septembre. C’est comme si la ville, celle que Renan avait surnommée le « plus beau lagon du monde », défigurée par le développement anarchique de ces dernières décennies, se souvenait soudain de son riche patrimoine, le vieux souk bordé de maisons traditionnelles en excellent état, et qu’elle le mettait enfin à profit. Le slogan adopté pour le festival, « Tmacha w shar », résume bien l’idée principale qui sous-tend le projet : il ne s’agit pas seulement de s’attabler pour dîner, ni de boire un verre ou un café, ni de faire du shopping nocturne, ni d’écouter de la musique live, ni d’assister à une exposition de peinture... Il s’agit de combiner toutes ces activités et, plus encore, en se promenant le long du vieux souk, qui devient rue piétonne à partir de 19h. Les nuits d’été, il règne à Jounieh une ambiance animée, joviale, conviviale, qui mêle culture et bonnes affaires, amusement et cuisine diversifiée. Enfants et adultes de tous âges, touristes et Libanais de diverses régions redécouvrent depuis peu Jounieh, et en sont enchantés. Sonia, venue avec ses deux enfants, trouve qu’on fait de bonnes affaires dans les boutiques de la rue. « C’est amusant, dit-elle. Il faut dire qu’il y a si peu d’autres choses à faire ! » Magid se promène avec sa jeune femme et s’arrête devant un vendeur d’animaux. « Ce festival nous offre beaucoup de nouvelles possibilités et contribue au développement de la région », dit-il. Ce festival présente également un avantage considérable, puisque toutes les activités et les facilités y sont gratuites : l’accès évidemment, le parking (vous pouvez notamment vous rabattre sur le grand parking du supermarché Fahed et emprunter l’une des venelles qui vous mènent au souk), concerts, etc. La seule activité payante du festival (et pas chère) est l’entrée au cinéma 3D inauguré mercredi 17 juillet. Si l’on compte que la nourriture et les boissons sont très bon marché dans les différents cafés et petits kiosques de la rue, il est clair qu’une soirée au souk de Jounieh, c’est l’amusement à petits prix. Un autre avantage qui ne gâte rien : les boutiques restent ouvertes très tard et les commerçants offrent des rabais exceptionnels sur une marchandise diverse. Magasins et marchands ambulants, frappés par la crise économique à l’instar du reste du marché libanais, voient dans les promeneurs nocturnes une aubaine. Ephrem Chemaly, propriétaire d’une boutique de chaussures, nous confie que « la vente est plus fructueuse la nuit que durant la journée ». Il ajoute qu’ « il est très satisfaisant pour nous de constater que les touristes et les Libanais des autres régions reprennent la route de Jounieh, ce qu’on n’avait plus vu depuis longtemps.» Roger Dicharadjian, qui possède un commerce à Bourj Hammoud, a loué un petit espace pour exposer ses produits dans le cadre du festival. « Nous sommes présents à beaucoup d’expositions dans les différentes régions, mais il faut avouer que ce festival à Jounieh est beaucoup mieux organisé que d’autres », affirme-t-il. Des ambitions artistiques L’idée d’organiser un tel festival a commencé par un projet pilote lancé en 2001 par l’association Apsad, après la création de sa branche de Kesrouan et Jbeil, aujourd’hui présidée par Marita Frem. « Nous avons pensé faire revivre le vieux souk et mettre à profit son énorme potentiel », explique Roger Tanios, coordinateur du projet « Tmacha w shar » et membre de l’Apsad. « Nous avons tout d’abord fermé le souk aux voitures durant trois jours pour y organiser des activités. Le succès a été phénoménal. Quelque 100 000 personnes ont foulé le sol de Jounieh durant cette brève période, sans compter ceux qui ont assisté à la Fête de la musique qui y a été organisée en juin. C’est ce qui nous a encouragés à lancer le festival la même année. » Un mois et demi plus tard, les podiums animés et la rue piétonne avaient attiré 33 000 personnes. L’aventure avait commencé... Les organisateurs du projet recherchent trois objectifs principaux : le premier, évidemment, est de faire de la ville une destination touristique privilégiée. « Non seulement Jounieh, mais toute la région du Kesrouan en profitera, souligne M. Tanios. Les activités proposées sont destinées à toutes les catégories de la population et à tous les touristes, de quelque culture qu’ils soient. » Le second objectif devra être atteint à long terme, celui de faire de Jounieh une capitale de l’art. Déjà, comme le rappelle M. Tanios, plusieurs expositions de peinture et de sculpture ont été organisées dans le hall du siège de la municipalité, un bâtiment ancien d’une grande beauté. « Nous espérons que, dans quelques années, les artistes pourront considérer Jounieh comme une étape obligée, dit-il. Un projet de bâtir un musée d’ici à cinq ans est aussi envisagé. » Le dernier objectif est très lié aux deux autres : il s’agit de changer l’image de marque de la ville et de sa population. « Nous voulons véhiculer l’image d’une population hospitalière, d’un marché qui offre un bon rapport qualité/prix », indique le coordinateur du projet. Les frais du festival sont couverts par des sponsors du secteur privé, mais surtout « par un effort collectif. Nous essayons de lancer un mouvement associatif pour le développement de la région », poursuit M. Tanios. Par ses vieilles pierres, Jounieh s’est refait une jeunesse. La ville offre désormais, dans un pays où la privatisation bat son plein, un espace vivant et ouvert, un accès à l’amusement gratuit et la possibilité d’une bonne marche nocturne. Mode, cinéma 3D, universités, ambassades... Le festival « Tmacha w shar » est un projet de quatre mois, qui a commencé en juin et se terminera en septembre. Pour éviter la monotonie, les organisateurs ont placé chacun des quatre mois sous un thème précis. Juin a été le mois de la musique et de l’art : la Fête de la musique y a été célébrée en grande pompe durant toute une soirée. Une exposition de peinture, intitulée « Salon du printemps », a été inaugurée dans le hall de la municipalité, et on peut toujours la visiter au même endroit. Des concerts de différents genres, du rap à l’arabe, ont été organisés sur la place. Juillet est dédié à la mode. Chaque week-end, ce sera au tour d’un commerçant ou d’un couturier de présenter sa collection sur les podiums. L’animation musicale se poursuivra sur la place. Par ailleurs, du 23 au 27 s’est déroulé le Forum universitaire de Jounieh. Toutes les universités du pays ont été invitées à faire de l’animation culturelle et exposer leur programme aux futurs étudiants. Il faut notamment signaler l’ouverture, le 17 juillet dernier, du premier cinéma 3D au Liban, situé juste devant le bâtiment de la municipalité. Plusieurs séances par jour (jusqu’à minuit) sont ouvertes aux spectateurs pour la somme de 4000 LL pour les enfants et 6000 LL pour adultes. Le cinéma, installé à Jounieh par une société privée, y demeurera pour quelques mois. Août sera le mois de la fiesta, avec encore plus de musique. En septembre, retour au sérieux avec la culture, l’art et le patrimoine. Il y aura notamment un week-end international avec un forum destiné aux ambassades, du 20 au 22. Celles-ci auront la possibilité de réserver des kiosques pour y exposer les produits typiques de leur pays, favorisant ainsi l’échange culturel avec la population libanaise. Avec Abou Rita, le « tarab » se déplace à Jounieh Les habitués des soirées estivales de Jounieh le connaissent bien, tout comme c’était le cas des passants de la rue Hamra, il n’y a pas si longtemps de cela. Maroun Nachef, surnommé Abou Rita, a une belle voix, et il imite à merveille les grands chanteurs disparus, comme Abdel Wahab ou Farid al-Atrach. Quand il vendait des billets de loterie à Hamra ou ailleurs, il offrait une chanson à chacun de ses clients (il avait d’ailleurs fait l’objet d’un article de L’Orient-Le Jour). Mais aujourd’hui, il a décidé de vivre de son talent. Et il fait le bonheur des passants de Jounieh cet été. « Chante-nous une chanson de Abdel Wahab, Abou Rita », lui lance une passante, apparemment une habituée. Son imitation de plusieurs voix célèbres suscite des applaudissements de la part d’un groupe de jeunes filles. Avec son béret, son sourire qui ne quitte pas ses lèvres, son oud (luth oriental) inséparable et sa partition toujours ouverte devant ses yeux, il charme son «public» qui le récompense par des appaudissements, et une contribution qui lui assure sa subsistance. En effet, Abou Rita ne chante pas que pour le plaisir. Une série de circonstances malheureuses l’a contraint à se retrouver dans la rue. Ancien réfugié du village de Maghdouché (Liban-Sud), d’où il est originaire, il vit, à 57 ans, dans les locaux d’une école publique avec sa femme, qui y est employée. Il a deux filles (l’aînée s’appelle Rita, d’où son pseudonyme) qu’il a élevées de son mieux, leur assurant « l’éducation et l’affection », comme il le raconte lui-même. Les mésaventures passées de Abou Rita n’entament cependant pas sa bonne humeur. Il est visiblement heureux d’être là, d’offrir sa voix en don aux passants, pour lesquels il fait revivre l’âge d’or du « tarab », non loin de la musique moderne jouée sur la place. Suzanne BAAKLINI
Il n’y a pas si longtemps, à Jounieh, le soir il n’y avait pas un chat. Ou plutôt presque que des chats. Les choses ont bien changé depuis l’été passé, depuis que le festival « Tmacha w shar » (« Promène-toi en soirée ») a été lancé par la municipalité de la ville et l’association de préservation du patrimoine Apsad (branche du Kesrouan et de Jbeil), en collaboration avec...