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Actualités - REPORTAGE

Mémoires - L’ancien chef de l’État signera ce soir, à l’hôtel « Bristol », l’ouvrage de Camille Menassa, « La renaissance de la République : des mini-États à l’État » Hraoui dévoile les secrets de ses deux mandats(PHOTO)

Vendredi 24 novembre 1989, 53 députés réunis au Park Hotel de Chtaura élisent Élias Hraoui à la première magistrature de l’État. Le même jour, à Zghorta, ont lieu les obsèques nationales du président assassiné René Moawad. Dixième président de la République depuis l’Indépendance, M. Hraoui exercera un double mandat aussi long que celui de cheikh Béchara el-Khoury, neuf années. Amplement de quoi donner à Camille Menassa matière à écrire un livre : La renaissance de la République : des mini-États à l’État. Dix-neuf chapitres déroulent 700 pages ponctuées de documents inédits, de procès-verbaux et de photographies. Chronique de rencontres marquantes ou de moments forts, avec George Bush, Bill Clinton, François Mitterrand, Jacques Chirac, le pape, Kadhafi, Khameneï. Les froids calculs de Madeleine Albright concernant la 425. Ou encore l’image, dénuée de toute vassalité, qu’il donne de ses relations, bonnes et solides, avec la Syrie et plus particulièrement avec le président Hafez el-Assad... Mais ce qui domine surtout, c’est la fresque du monde politique libanais où les empoignades, les discussions violentes entre les ministres et Hariri se croisent et se conjuguent avec les bouderies des trois pôles du pouvoir, rythmées par une cascade de révélations, savamment distillées. L’ancien chef de l’État offre aussi un panorama d’histoires truculentes, comme celle d’un déjeuner chez le président Hafez el-Assad qui réunissait Hraoui, Berry, Hariri, Khaddam et Tlass. Le président syrien s’adressant à Rafic Hariri : – On me dit que vous avez une ferme au Zimbabwe ? – Oui, répond le Premier ministre. – Que cultivez-vous dans cette ferme ? – Rien. C’est une exploitation pour la chasse. – Vous chassez quoi ? – Le lion (assad), dit Hariri, soucieux de répondre plutôt que d’épater. – Et quoi encore ? – La panthère (fahd). Un ange passe. Les présents se dévisagent. Hraoui s’écrie : « Vous allez abattre tous les chefs d’État arabes, cheikh Rafic ! » Éclat de rire général. Affable, le président syrien de s’exclamer : « Wallahi (par Dieu) Abou Georges, vous êtes vraiment sympathique. » Connu pour son franc-parler, qui est souvent une forme de courage, M. Hraoui se veut un homme d’action. Dès son accession au pouvoir, il menace « d’éliminer les obstacles internes » qui s’opposeraient à son projet. Celui de rétablir « l’autorité de l’État un et unitaire » ; de reconstruire une « société juste et démocratique » ; de trouver une « solution radicale » au problème des réfugiés ; et de lancer le processus de reconstruction... « Notre marche ne s’arrêtera pas, quels que soient les obstacles », avait-il déclaré. D’une part, la situation économique et sociale et d’autre part le mur d’intransigeance que lui opposait le général Michel Aoun. Sans oublier les Forces libanaises et les Kataëb qui ne se décidaient pas à assumer l’option de Taëf et les milices qui investissaient des « mini-États confessionnels »... Parachuté ainsi en pleine jungle, quelles seront ses armes ? Une volonté ferme de laisser une empreinte historique, la rage d’appliquer son programme de travail, quel que soit le prix à payer « même aux dépens de ma personne ». Toutefois, on le voit, au fil des pages, tantôt amer et désabusé parce qu’il ne détient pas tous les leviers de commande, tantôt écumant de colère contre les « abus », les « tergiversations », les « stratagèmes » des pouvoirs législatif et exécutif, tantôt sarcastique, passant sans grande transition des railleries acérées à une attitude de sage arbitre. M. Hraoui raconte la vérité. Sa vérité. Il ne dit pas tout dans ce tour d’horizon, mais beaucoup de secrets sont dévoilés et d’aucuns pourraient considérer cet ouvrage comme un règlement de comptes. En effet, son témoignage ouvre au lecteur la boîte de Pandore, faisant jaillir les crises et les marasmes résultant des enjeux politiques, les pièges tendus et les démêlés entre les trois présidents, parfois amis mais souvent rivaux. Et en toile de fond, la lutte pour sauvegarder les prérogatives de la présidence « réduites depuis Taëf », le besoin suraigu, presque douloureux, de se justifier (loi de la naturalisation à titre d’exemple) ; de dire ce qu’on ne l’a pas laissé faire ou proclamer. Comme le projet de loi sur l’état civil ou, si l’on préfère, le mariage civil facultatif. Mr. President, Take Your Time Le franc-parler est sa religion, comme nombre de références en témoignent de façon magistrale. Ainsi, sa rencontre avec Bill Clinton, en 1996, après l’hécatombe de Cana. En signant le livre d’or, Hraoui note que sa première visite à la Maison-Blanche se déroule en « ces circonstances douloureuses où nos compatriotes sont tués par des armes ». Point. « Quelles armes ? » demande Clinton. « Américaines », répond Hraoui qui, irrité par les petites 15 minutes qui lui sont accordées, enchaîne : « C’est à peine si on a le temps de se dire bonjour, au revoir, et de poser pour la photo officielle. » Bill Clinton, conciliant, rétorque : « Please, mister president, take your time. » L’entrevue va durer 50 minutes. Le président américain demande de quoi l’État libanais aurait besoin. « De l’application de la résolution 425 », dit Hraoui. Sujet épineux pour l’Américain qui répond par une question sur le terrorisme au Liban. Révolté par cette injustice qui permet qu’un résistant soit taxé de terroriste, Hraoui rappelle à Clinton que ces « terroristes » ne diffèrent en rien des Français qui l’ont accueilli en Normandie, un an plus tôt, et qui ont combattu l’occupation allemande. Ajoutant, par la même occasion, que les services de sécurité lui avaient présenté, lors de sa visite à New York en 1991, une liste des quartiers dangereux à ne pas fréquenter, à cause du fort taux de la criminalité aux États-Unis... Contrarié, Clinton dévie la conversation en proposant une aide humanitaire... que Hraoui décline dignement. « Je vous remercie, mais c’est d’une aide politique que nous avons besoin, monsieur le Président. » En sortant, il déclare à la presse que « les USA devraient rendre la statue de la Liberté à la France » ! Absence de réserve dans ses propos. Le scénario est désormais classique, de Paris à New York, d’Arabie en Libye, d’ Algérie au Gabon, des Étas-Unis au Brésil. M. Hraoui défend la juste cause du Liban, évoque les liens du passé, resserre ceux du présent et organise ceux de l’avenir... Ainsi, dans la salle des fêtes de l’Élysée, où un dîner est offert en son honneur par François Mitterrand, Hraoui soumet un marché au chef de l’État français : ne pas confier la dette libanaise (un milliard deux cent mille FF dont 32 % partis en commission), héritée du mandat d’Amine Gemayel pour l’achat d’armes et de Pumas, au « Club de Paris ». Sinon, il divulguerait à la presse les noms des personnalités françaises qui ont touché un pot-de-vin. Il ajoute une autre condition : que la France lui vende des armes et des pièces de rechange sans « aucun intermédiaire ». Voilà en gros ce qui domine dans cet ouvrage qui se propose de contribuer à l’histoire du Liban. Il faut y prendre, y goûter chaque chose pour ce qu’elle est. « En ce lundi 5 octobre 1998, en rentrant de Damas après une rencontre avec Hafez el-Assad qui a duré cinq heures et au cours de laquelle il a été décidé de la candidature d’Émile Lahoud à la première magistrature, j’éprouvais deux sentiments : de frustration d’abord, pour n’avoir pas pu réaliser, en raison des conjonctures régionale et internationale, tous mes rêves pour le Liban. De satisfaction ensuite, pour ce que j’ai pu accomplir en dépit des écueils et des ingratitudes »... Ainsi commence la biographie d’Élias Hraoui. Écrite et présentée par Camille Menassa. Préfacée par Ghassan Tuéni, qui en résume l’esprit et l’impact en ces termes : « Ces mémoires sont un réservoir de faits qui donneront matière à des débats et polémiques. » Ils s’imposent comme le best-seller de l’été. Le baiser d’Albright Suite à l’opération Raisins de la Colère, en 1996, Élias Hraoui débarque à New York, à la veille de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, pour plaider la cause du Liban. Dès son arrivée, on lui remet une note de Madeleine Albright lui demandant de la recevoir à 22 h. Prenant ombrage de cette arrogance, M. Hraoui s’énerve et fixe le rendez-vous pour 20 heures. Ce qui ne convenait pas à Mme Albright qui dînait ce soir-là avec Lea Rabin. La rencontre n’a donc pas lieu. Le lendemain, alors que le président Hraoui prononçait son discours, Albright débarque au Palais de Verre. Retard voulu, selon M. Hraoui, pour marquer le rejet américain de la résolution 425, et des indemnités réclamées par le Liban à l’État hébreu (11 millions de dollars). Et pour confirmer cette position, la secrétaire d’État n’adressera pas la parole au président libanais. Un an plus tard, en septembre 1997, Albright effectue sa première visite au Liban. Du palais de Baabda, elle annonce la levée de l’embargo qui frappe notre pays. La bonne humeur régnant ce jour-là, Albright se promène dans les appartements privés des Hraoui, s’arrête devant une série de photographies disposées sur un guéridon et demande : « C’est qui ? ». - « Mes enfants et 11 petits-enfants », explique le chef de l’État qui ajoute « Et vous, combien en avez-vous ? ». - « Trois filles et deux petits-enfants », répond la secrétaire d’État. Très peu pour M. Hraoui qui aussitôt tâte le ventre de Mme Albright en demandant : « Ne seriez-vous pas enceinte, par hasard ? » Albright, pouffant de rire, s’exclame : « May I kiss you ? ». Et ce faisant, plante un baiser sur sa joue. À propos du mariage civil Le président Hraoui raconte : « Alors que nous étions d’accord la veille, j’ai été surpris par le refus véhément du président Hariri de signer le décret sur le mariage civil, sous prétexte que “ le Conseil des ministres se suffit d’approuver le principe ”. Cela a déclenché une bonne querelle entre nous... Il a encouragé le clergé musulman à se prononcer de manière catégorique contre le sujet, voire contre moi personnellement... Le refus est peut-être dû au fait que le mariage civil annulerait le rôle des tribunaux musulmans et priverait les employés des salaires que leur verse l’État. Ces tribunaux coûtent annuellement aux contribuables entre 20 et 22 milliards de LL. Alors que les communautés chrétiennes ne reçoivent pas de subventions de l’État. Ce n’est que tout dernièrement qu’il a été décidé de leur débloquer une somme globale de 1 milliard 500 millions de LL ». Intraitable Hariri Les ministres accusaient Hariri d’« autoritarisme », d’« hégémonisme » et d’« individualisme ». Le président du Conseil rétorquait de façon non moins péremptoire que ses « interventions avaient pour but d’assurer la coordination entre les différents ministères, et que si cela ne plaisait pas, il démissionnerait ». Qualifiant Hariri d’ « intraitable », Hraoui ajoute que « vu sa mentalité, le Premier ministre considérait qu’il pouvait obtenir tout ce qu’il désirait ». Et que le Conseil des ministres était « sa chose, le manipulant à sa guise ». Que Washington se souvienne En 1993, raconte Hraoui, Warren Christopher est en tournée dans la région. En débarquant de l’hélicoptère au ministère de la Défense, à Yarzé, il perd l’équilibre et serait tombé sans l’aide de Farès Boueiz. Et le secrétaire d’État de lancer : - « C’est bien la première fois que les Américains sont soutenus par Beyrouth ». - « Espérons que Washington ne l’oubliera pas », lui rétorque le ministre libanais. La région et les secrétaires d’État Selon Albright, les secrétaires d’État ne visitent la région que pour deux raisons : soit que la situation est si mauvaise qu’une tournée s’impose. Soit qu’elle a atteint le stade d’évolution souhaité, alors ils viennent pour peaufiner la solution finale. May MAKAREM
Vendredi 24 novembre 1989, 53 députés réunis au Park Hotel de Chtaura élisent Élias Hraoui à la première magistrature de l’État. Le même jour, à Zghorta, ont lieu les obsèques nationales du président assassiné René Moawad. Dixième président de la République depuis l’Indépendance, M. Hraoui exercera un double mandat aussi long que celui de cheikh Béchara...