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Actualités - REPORTAGE

Reportage - Un petit village entré dans l’histoire À Kaakour, les habitants ne croient pas beaucoup au scénario du double décompte(photos)

Avec ses 1 050 électeurs, Kaakour est entré dans l’histoire. Pourtant, la plupart des Libanais ignoraient l’existence de ce village peuplé de près de 2 000 habitants à grande majorité maronite, avec une petite communauté grecque-catholique et une famille de Syriens naturalisés, à cause de leur mère originaire du village. C’est donc cette localité en apparence paisible qui a fourni une issue à la crise qui a fait trembler le Metn. Si, les kaakouriens sont d’accord pour estimer que le scénario n’est pas très crédible, ils restent très divisés sur leurs affinités politiques... «Il n’y a que quatre voix d’écart entre Myrna Murr et son oncle. Si le vote a été compté doublement, cela ne fait que huit voix de plus en sa faveur. Avec quatre de moins, elle reste gagnante, si l’on n’a pas compté Hemlaya ». Partisans de l’un ou l’autre des deux Murr, les habitants de Kaakour n’en reviennent pas de « la faiblesse du compromis » (selon leurs propres termes) trouvé pour les résultats définitifs de l’élection partielle de dimanche. Ceux qui sont avec Michel Murr attendent sa conférence de presse annoncée pour aujourd’hui avant de se prononcer, alors que les autres, essentiellement partisans de Nassib Lahoud et des Gemayel, dénonçent toutes les irrégularités qui ont contraint finalement les autorités à trouver n’importe quoi pour en finir, tout en essayant de sauver leur propre face. Dans cette mer de passion, une voix tente de tenir le langage de la raison et de fournir une explication logique. Halim estime ainsi que l’écart qui a été compté doublement proviendrait de l’un des deux bureaux de vote du village, celui des hommes qui auraient été très nombreux à choisir Mme Murr Aboucharaf, alors que les femmes auraient préféré son oncle. Il ne s’agirait donc pas de l’ensemble des voix du village dont le total serait de 661 voix, 332 pour Myrna, 328 pour Gabriel et une voix pour Ghassan Moukheiber. Des divisions par affinités En attendant les précisions officielles, les habitants de Kaakour sont d’accord pour juger suspecte la version du double décompte mais restent profondément divisés sur les leçons à en tirer : certains sont heureux que l’on parle enfin de leur village, d’autres estiment qu’il méritait une toute autre publicité. Dans ce village niché sur le flanc de la montagne, au milieu des pins qui constituent l’une des principales ressources des habitants, deux grandes familles mènent le jeu : les Bou Antoun et les Mazloum. Mais comme la plupart des familles (politiques ou anonymes), elles sont, elles aussi, divisées entre elles. Le président de la municipalité est Élias Abou Antoun, mais ses principaux adversaires politiques sont ses propres cousins. Même chose pour le moukhtar Youssef Mazloum. Le président de la municipalité et le moukhtar sont des partisans de Michel Murr et à les entendre, le village de Kaakour lui serait grandement redevable, l’ancien vice-président du Conseil ayant été le seul à fournir des services au village : asphaltage des routes, éclairage municipal, projets agricoles. Ce qui met littéralement hors de lui un membre de la famille Abou Antoun, favorable à Nassib Lahoud. « Comment osent-ils dire cela ? Ce sont eux qui ont profité des bienfaits de Michel Murr, mais non tout le village. Il les a autorisés à ouvrir une carrière et tout le reste, c’est nous qui le payons puisque nous payons nos impôts. Voulez-vous la vérité ? Tous ceux qui sont avec Michel Murr ont des ennuis avec la loi et il les protège, mais les honnêtes gens qui n’ont pas besoin de lui sont avec Nassib Lahoud ». À Kaakour, Gabriel Murr n’est pas très connu et s’il a obtenu 328 voix, c’est essentiellement à cause de la popularité de Nassib Lahoud et des Gemayel. En 2000, Michel Murr avait obtenu la grande majorité des voix du village parce que les Kataëb avaient voté pour lui, le chef du parti Mounir el-Hajj étant sur la liste et Pierre Gemayel n’ayant pas donné d’instructions strictes. Cette fois, selon les habitants, les instructions étaient claires et les électeurs les ont suivies. Ceux qui ont voté pour Gabriel considèrent que les autres ne sont mûs que par la crainte ou par l’intérêt. Mais ils préfèrent garder l’anonymat, alors que les partisans de Michel Murr dévoilent leur identité. Le moukhtar Youssef Mazloum est donc assez déçu. Pour lui, Michel Murr est un bienfaiteur pour le village, et ses partisans n’ont commis aucune irrégularité. « Au contraire, ce sont eux (les partisans de Gabriel ) qui ont été incorrects. Leurs délégués avaient des listes électorales différentes des nôtres et lorsque deux membres de leur famille se sont présentés au bureau de vote, ils ont refusé de les laisser entrer sous prétexte que leurs noms ne figurent pas sur la liste. Tout ça parce qu’ils voulaient voter pour Myrna. Nous avons cédé parce que nous voulions éviter un clash au village. Mais ils ne cessaient de nous provoquer ». Des délégués en surnombre et toujours l’isoloir Leurs adversaires sortent de leurs gonds lorsqu’on leur rapporte ces propos. « Et le nombre de leurs délégués quatre fois plus important que le nôtre ? Et la question de l’isoloir, alors qu’ils poussaient les électeurs à ne pas l’utiliser ? ». Qui a élu le président de la municipalité et le moukhtar ? « Nous bien sûr, mais les critères sont différents. Ce sont des questions familiales qui commandent les élections municipales, mais là c’est différent. Michel Murr a un comportement féodal et nous sommes contents de lui avoir coupé les ailes ». En filigrane, il y a l’hostilité aux Syriens tout proches, installés encore à Dhour el-Choueir. « Au village, nous vivons essentiellement de la construction et de la récolte du pin. Or, dans ces deux domaines, les Syriens nous privent de nos ressources. Les pignons venant de Turquie via la Syrie concurrencent les nôtres, et les travailleurs syriens construisent à notre place ». Les partisans de Michel Murr ne contestent pas cela, mais précisent que l’ancien vice-président du Conseil essaie de composer au mieux avec une situation imposée. « Ce n’est pas lui ni eux qui ont le pouvoir de faire sortir les Syriens, alors il vaut mieux utiliser au mieux cette présence et c’est ce qu’il essaie de faire... » Ce discours ne convainc pas ceux qui ont voté pour Gabriel. La discussion menace de s’envenimer. Heureusement qu’un jeune lance alors un cri, détournant l’attention générale : le Portugal vient de marquer un but contre les Américains et il en est tout choqué. La conversation marque une pause, mais les clivages demeurent bien profonds. « Vous trouverez la même division dans tous les villages du Metn : d’un côté ceux qui profitent du système Michel Murr et ceux qui aspirent à un véritable État de droit. Mais le processus d’assainissement est déclenché et il est irréversible », déclarent les partisans de Nassib Lahoud. À Kaakour, ce village longtemps oublié, le calme n’est qu’apparent. Chacun connaît les affinités de l’autre et les relations personnelles deviennent plus compliquées. La grande question pour les partisans de Gabriel c’est de savoir si Michel Murr utilisera ses moyens immenses, selon eux, pour se venger du village. Le moukhtar proteste vivement : « Jamais il ne s’abaissera à de tels actes. D’ailleurs, il ne nous a jamais demandé de faire pression sur qui que ce soit ». Ce n’est certes pas ce que pensent ses adversaires. Et, dans cet imbroglio électoral, le plus impressionnant, c’est encore l’immense divergence des points de vue. Scarlett HADDAD
Avec ses 1 050 électeurs, Kaakour est entré dans l’histoire. Pourtant, la plupart des Libanais ignoraient l’existence de ce village peuplé de près de 2 000 habitants à grande majorité maronite, avec une petite communauté grecque-catholique et une famille de Syriens naturalisés, à cause de leur mère originaire du village. C’est donc cette localité en apparence paisible...