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Actualités - OPINION

Kaakour, ville franche

La guerre de Troie n’aura pas lieu, Zeus soit loué, quitte à ce que la belle Hélène voie partir en fumée l’exquis strapontin qui l’attendait bien au chaud, au Parlement. Comment ce qui pouvait n’être au départ qu’un chapitre particulièrement piquant de la morne chronique des familles politiques libanaises – un duel électoral entre l’oncle et la nièce, se déroulant sous les auspices naturellement très partiaux du neveu, ministre de l’Intérieur – a-t-il pu tourner à l’affaire d’État, sinon à une amorce de crise de pouvoir ? L’explication en est tragiquement simple : face à une opposition adroitement restructurée, savamment mobilisée, des responsables, et non des moindres, ont perdu toute mesure, toute prudence, toute clairvoyance, tout sens des réalités et des responsabilités. M. Élias Murr n’y est évidemment pour rien si sa sœur a envie, elle aussi, de tâter de la politique. Mais pris qu’il était au beau milieu de cet imbroglio, l’éthique la plus élémentaire lui commandait de ne pas user et abuser de sa charge officielle pour faire partager ses légitimes sympathies en se livrant par exemple, le 30 mai sur le petit écran, à une outrecuidante séance de déballage de linge familial. À cette piètre performance s’ajoutait, le lendemain, la décision de rendre facultatif l’usage de l’isoloir : incroyable initiative que seul pouvait logiquement motiver le besoin, soudain pressant, du clan Murr de s’assurer de la fidélité de ses propres troupes. En réalité, M. Murr était moralement et politiquement tenu de disparaître carrément du devant de la scène, de s’octroyer un congé administratif le temps du scrutin. Une petite virée à l’étranger lui aurait en tout cas épargné les affres du dilemme politico-affectif dans lequel il se trouvait plongé, les insoutenables tortures endurées par sa noble conscience durant le décompte des suffrages : tourments qu’il a cru devoir évoquer tout au long de sa non moins singulière apparition télévisée d’hier. Passe encore que M. Murr s’accorde un satisfecit des plus immérités. Passe qu’il attribue à ses propres et diligents services la providentielle « découverte », hier même, de cette urne deux fois comptabilisée par erreur dans le hameau de Kaakour lequel, après celui de Hamlaya, accède ainsi au rang des sites électoraux historiques (que l’on pense un instant aux dizaines d’autres Kaakour que rapporterait une pêche miraculeuse en eau profonde dans les glauques registres de l’Intérieur). Ce qui ne passe absolument pas en revanche, c’est que M. Élias Murr, visiblement mal remis de toutes ses émotions, persiste et signe en nous assénant une nouvelle fois ses choquantes et alarmantes prédictions : à savoir que le résultat du scrutin, tel qu’apparu enfin hier, augure de grands malheurs pour les habitants du Metn et même pour l’ensemble des chrétiens. Intolérable assertion en vérité – c’est le monde à l’envers – quand elle émane du ministre expressément chargé de veiller à la sécurité publique. Et qui a le devoir de se dépenser jour et nuit pour garantir en toute circonstance la sécurité des citoyens : même et surtout s’il vient d’essuyer une déconfiture électorale, même si l’opposition, de son côté, a menacé de descendre dans la rue au cas où on oserait lui voler sa victoire. Ce n’est pas encore là, hélas, le plus grave. Ce qui est consternant et alarmant, c’est que toute cette invraisemblable affaire a fini par investir le palais de Baabda, par s’y barricader même de longues heures durant. Pourquoi le président Lahoud a-t-il paru couvrir l’atteinte portée par son gendre à l’institution de l’isoloir en tolérant que soit soumis à l’exégèse un élément essentiel de l’opération électorale ne souffrant aucune interprétation ? Pourquoi la salutaire rencontre des grands courants chrétiens, longtemps occultés ou brimés, n’est-elle perçue par l’entourage du chef de l’État que comme une sombre machination conduite par le cousin ennemi Nassib Lahoud et visant seulement à déstabiliser le régime ? Fallait-il vraiment que le chef du gouvernement et le président de l’Assemblée se rendent à Baabda pour y sonner le tocsin, que le patriarcat maronite y délègue de nuit des émissaires, que le leader druze Walid Joumblatt adjure publiquement le président de ne pas laisser commettre l’irréparable pour que le lapin de Kaakour se décide à sortir du chapeau du magicien ? Pour la dignité du Liban et de la présidence, on répugne à croire qu’en dépit de la gravité du moment, toutes ces démarches seraient sans doute demeurées sans effet si elles n’avaient été suivies au finish d’une intervention syrienne aussi ferme qu’inhabituellement discrète. Ils savent y faire avec les alliés, les Syriens : ami-ami, c’est l’idéal. Sauf que quand les amis se mettent à accumuler consciencieusement boulette sur boulette, ils finissent par devenir des boulets. Issa GORAIEB
La guerre de Troie n’aura pas lieu, Zeus soit loué, quitte à ce que la belle Hélène voie partir en fumée l’exquis strapontin qui l’attendait bien au chaud, au Parlement. Comment ce qui pouvait n’être au départ qu’un chapitre particulièrement piquant de la morne chronique des familles politiques libanaises – un duel électoral entre l’oncle et la nièce, se...