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Actualités - CHRONOLOGIE

Cellulaire - La dangereuse hypothèse de voir le secteur échoir à l’État est désormais bien plus plausible Le projet de loi, « bâtard et illogique », voté par 64 voix contre 12(photo)

«Moi j’ai honte de cette loi. » Les mots de ce député, ni lahoudien ni haririen, au sortir des trois heures de débat hier place de l’Étoile, résument parfaitement une sorte d’état d’esprit quasi général. Le vote – et les discussions cacophoniques qui l’ont précédé – du projet de loi sur la téléphonie mobile a été le prix (sans doute onéreux) payé pour assurer à une trop difficile cohabitation un répit, une pause, sûrement momentanés. Ainsi, pour que les rouages de l’Exécutif continuent de fonctionner, l’on a ménagé la chèvre et le chou, et donné naissance « contre toute logique à un accord complètement bâtard ». Et ouvert la porte à tous « les voleurs, les escrocs et les magouilleurs » qui vont se dépêcher de profiter des immenses lacunes du projet de loi pour acquérir un secteur-poule aux œufs d’or. Comment peut-on, en même temps, lancer des enchères publiques internationales et organiser une adjudication publique internationale ? « Le résultat des enchères aura beaucoup de mal à échoir à ceux que cette option intéresse. De par la présence même de l’adjudication. D’un autre côté, qui pourrait être intéressé par cette dernière, puisqu’elle impose aux sociétés privées, de par ce projet de loi, le paiement préalable d’une garantie. Sachant que, légalement, c’est le secteur public qui se doit d’assumer toutes pertes éventuelles. » Voilà, en résumé, ce qui a été dit et répété hier, sous la coupole, par Boutros Harb et Salah Honein, notamment. C’est-à-dire, en des termes moins pudiques, que ce projet de loi a été doublement piégé. À malin, malin et demi : chacune des deux parties « qui se sont mises d’accord » avait, apparemment, caché dans son chapeau un drôle de lapin qu’elle réservait à l’autre. Seule certitude : cette bâtardise du projet de loi et la décrédibilisation du gouvernement n’éloignent en rien, et bien au contraire, l’hypothèse monstrueuse de voir ce secteur échoir, le 1er septembre 2002, à l’État. C’est Nicolas Fattouche, comme presque à chaque fois, qui prend en premier la parole. Pour rappeler à Nabih Berry, à l’instar d’un Hussein Husseini ou d’un Boutros Harb par exemple, l’anticonstitutionnalité du projet de loi. Conformément à l’article 89, qui stipule qu’aucune concession ayant pour objet l’exploitation d’une richesse naturelle du pays ou d’un service d’utilité publique et aucun monopole ne pourront être accordés qu’en vertu d’une loi et pour un temps limité. Le président de la Chambre soumet cette requête aux députés, qui la rejettent. Et le député de Zahlé finit, mi-figue mi-raisin, par décréter que ce projet, « étant donné qu’il va être approuvé, est sain ». Et qu’il ne retardera plus le débat. Le très virulent Sélim Saadé enchaîne, hurlant que l’on n’est pas « en train de vendre un Picasso ou un Van Gogh. Personne au monde ne vend quelque chose dont il ne connaît pas le prix », répète-t-il, en relevant au passage l’absence remarquée du ministre des Finances. Il s’intéresse surtout au sixième paragraphe de l’article 2, exigeant qu’un audit financier et technique accompagne les lancements d’offres, par le biais des ministères des Télécommunications et des Finances. « C’est notre dernière cartouche, martèle-t-il, que ce ne soit pas une cartouche tirée en l’air », supplie-t-il presque. Ali el-Khalil et Georges Kassarji proposent ensuite plusieurs amendements – notamment que la période maximale de l’octroi par enchères des deux permis soit ramenée à dix ans au lieu des vingt initialement prévus – qui seront rejetés. « Vous nous demandez un chèque en blanc », explose Boutros Harb, pendant que Salah Honein s’emploie à convaincre l’hémicycle qu’il faut, avant de privatiser, « voter la loi sur les télécommunications ». Hussein Husseini pimente le tout et rappelle bien haut que Rafic Hariri aurait dit la veille à Nabih Berry « qu’il est contre l’adjudication ». Et entre les récriminations du premier et les « pas du tout » du second, décidément acharné à faire passer ce projet de loi – on se souvient de ses entremises entre Baabda et Koraytem –, l’ancien n° 2 de l’État s’inquiète de savoir quel (mauvais) sort le gouvernement réserve aux capitaux libanais, résume le credo du gouvernement en un « donnez-nous le pouvoir mais déchargez-nous des responsabilités », et finit par poser la question qui fait mal : « Où va l’argent de l’État et celui des consommateurs ? » Le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, se déchaîne contre le gouvernement et son chef : « Nous sommes en train de commettre un crime aujourd’hui », dénonçant tous ces « secrets » que l’on cache au Parlement. L’ultralahoudien Antoine Haddad hurle à pleins poumons que « l’essentiel, c’est la réforme administrative » ; Omar Karamé annonce très calmement qu’il « n’a de sa vie jamais vu un gouvernement qui refuse de répondre aux questions des députés » ; et Sélim Saadé revient à la charge, manquant de sortir Rafic Hariri de ses gonds en demandant pourquoi les bénéfices de LibanCell ont atteint les 30 millions de dollars, alors que ceux de Cellis atteignaient à peine les 2 millions. « Rédigez une question au gouvernement », lui assène le Premier ministre. Et pendant que Jean-Louis Cardahi multiplie ses allers-retours chez Nabih Berry, Rafic Hariri, plein de bonne volonté, explique à Boutros Harb des points de détails techniques, on parle beaucoup de la garantie bancaire irrévocable – laquelle garantie devra, après moult discussions, « se renouveler chaque année et de façon automatique, durant toute la période du contrat ». Pour les litiges, les députés rajoutent, à l’arbitrage, la possibilité d’un recours juridique, et l’on arrive au paragraphe consacré au contrôle, la cacophonie est à son comble, Mikhaël Daher éructe contre Rafic Hariri, Jean-Louis Cardahi commence sérieusement à s’énerver, Samir Jisr essaie de calmer le jeu en rappelant que tout cela se fait par le biais de contrats plutôt que par la loi. Le Premier ministre répète « pour la vingtième fois » que même s’il n’est pas très chaud pour l’adjudication, il ne faudrait pas que les conditions qui la concernent soient rédhibitoires. Pavant ainsi la voie à Mohammed Safadi, qui en profite pour se déchaîner, très calmement, contre le projet de loi, allant jusqu’à dire que « nous n’avons qu’Ogero pour prendre en charge le réseau quand personne n’en voudra. Et Ogero est incapable de le gérer », assène-t-il. En exigeant une garantie, aussi, pour les enchères. Et Rafic Hariri clôt, ou presque, le débat, en martelant que ce qui lui importait, c’était que l’État n’assume aucunement la responsabilité financière de se secteur. Et s’en va se promener, tout sourire, dans les travées des députés, affichant sans complexe une très bonne humeur. Le texte est ensuite voté par 64 voix contre 12 – dont celles de Omar Karamé, Hussein Husseini, Boutros Harb, Salah Honein, Mohammed Safadi, Sélim Saadé, Georges Kassarji, Nicolas Fattouche, Mikhaël Daher... Juste après que le député de Batroun eut posé la question que tout le monde se pose : et si, pour une raison quelconque, l’appel d’offres n’est pas couronné de succès à partir du 31/8/2002 ? La loi stipule que les ressources des deux réseaux de téléphonie mobile iraient, dans ce cas, à l’État. En clair : droit dans les mains d’une Administration sclérosée et dégénérescente. Et qui en paiera le prix, sinon les Libanais ? Les Conseils des ministres à venir seront, sans doutes aucuns, des plus houleux. Ziyad MAKHOUL
«Moi j’ai honte de cette loi. » Les mots de ce député, ni lahoudien ni haririen, au sortir des trois heures de débat hier place de l’Étoile, résument parfaitement une sorte d’état d’esprit quasi général. Le vote – et les discussions cacophoniques qui l’ont précédé – du projet de loi sur la téléphonie mobile a été le prix (sans doute onéreux) payé pour...