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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Le politologue répond aux questions de « L’Orient-Le Jour » La double dépendance éventuelle, selon Dominique Chevallier, entre le Liban et la Syrie(photo)

Dominique Chevallier a le cœur – et la tête – clairement portés côté Levant. Il a longtemps occupé la chaire d’histoire du Proche-Orient contemporain à la Sorbonne : un but en soi, une consécration. Dominique Chevallier est donc orientaliste, on lui doit Les Arabes publié sous sa direction chez Fayard. La société du Mont-Liban à l’époque moderne également, un classique sur la question communautaire au Liban. Dominique Chevallier est aussi islamologue : il dirige le centre d’études sur l’histoire de l’islam contemporain. Il a beaucoup de contacts dans le monde arabe, grâce sans doute aux nombreuses missions dont le Quai d’Orsay, dit-on, continue de le charger. Dominique Chevallier a tenu hier une conférence, à l’invitation du CERMOC, sur la culture et l’amitié franco-arabes. Quelques heures plus tôt, il répondait aux questions de L’Orient-Le Jour. Sur le P-O, ou le Liban... Ariel Sharon débordé à sa droite par un Netanyahu plus hargneux que jamais, Yasser Arafat qui fait des mea culpa comme il ne l’avait jamais fait et promet une refonte de l’Autorité palestinienne sans être pris le moins du monde au sérieux, tout cela peut-il faire évoluer, positivement cela s’entend, la situation proche-orientale ? « C’est la nouveauté qui apparaît, mais est-ce réellement nouveau ? Sharon en homme de la paix, c’est effectivement énorme. En plus, il impute tous les péchés du monde à Arafat, alors que celui-ci ne semble plus avoir un très grand pouvoir. Il n’est plus désormais qu’un symbole. Un symbole que peut-être Sharon a contribué à restaurer en l’emprisonnant pratiquement pendant plus d’un mois. Mais un symbole largement dénué de pouvoir. Il y a donc une grande démagogie de la part de Sharon et de son gouvernement dans le fait de rejeter toutes les responsabilités des attentats sur Arafat. » Vous parlez de lui comme un roi nu, alors que sa popularité n’a jamais été aussi forte, aussi visible. « La rue plébiscite son symbole. Et non un réel président d’une Autorité palestinienne réduite à sa plus simple expression de l’espérance d’un État palestinien qui n’a jamais existé jusqu’à présent puisqu’au moment du démembrement de l’Empire ottoman, des États, même sous mandat, ont été créés. » Dominique Chevallier prévient, « je vais être un peu blasphématoire, s’excuse-t-il. Les accords d’Oslo ont été présentés comme un processus de paix. Lors de leur négociation, les Palestiniens ont revendiqué plusieurs points, pas nécessairement partagés par leurs interlocuteurs israéliens – Shimon Peres notamment. Mais les Israéliens ont eu l’habileté d’envoyer d’excellents juristes qui ont tout fait pour que cet accord serve, juridiquement, le point de vue israélien. À chaque fois qu’il y a eu des difficultés entre Israël et l’Autorité palestinienne potentielle, celle-ci a toujours cédé. » Vous avez l’air de ne pas du tout considérer cet accord comme mort et enterré. « Cela n’a pas été un processus de paix, mais un processus de guerre qui a abouti à la situation actuelle. Le but des Israéliens est de contrôler légalement l’ensemble des territoires palestiniens placés jadis sous mandat britannique et de maintenir leur présence au Golan. Eux ils n’appellent pas cela des territoires occupés. Pour eux, c’est Eretz Israël (le Grand Israël). Je vous rappelle que dans les projets d’Eretz Israël, tels que cartographiés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est intégrée la Jordanie. » « Le grand dessein US » Cette aberration de Sharon en homme de paix ? En homme qui glisse, bon gré mal gré vers le centre ? « Il ne faut pas trop se polariser sur ce que représentent uniquement les intentions d’Ariel Sharon, ou de certaines tendances de la droite israélienne. Le problème israélo-arabe et israélo-palestinien se développe dans un contexte mondial. Avec un pays qui appuie fondamentalement Israël : les États-Unis. Qui ont, d’autre part, un véritable projet, qui va de l’Afghanistan jusqu’au Maroc : contrôler les plus grandes réserves de pétrole, recomposer ces régions selon leurs intérêts stratégiques, etc. Ils veulent que ce projet aboutisse. Ils ont de nouveaux ennemis auxquels leur formidable armée n’est pas adaptée et ils ont également l’exaltation de Sharon qui peut les gêner. Voire même devenir dangereuse. » Poser, enfin, la question fondamentale et toute simple : est-ce qu’Israël pourra finir par exister dans le P-O à l’intérieur d’un environnement majoritairement arabe et musulman ? « Une solution pacifique et politique permettrait de répondre oui. Sinon, tous les dangers sont possibles, étant donné que des pays comme Israël ne peuvent pas occuper des territoires arabes, mais ils ont une armée, qui peut atteindre ces territoires arabes. Par contre, il y a des forces qui peuvent occuper les territoires arabes, sans être nécessairement mal accueillies partout. L’armée turque après tout contrôle aujourd’hui le nord de l’Irak. En cas de tensions internationales très graves et où l’armée turque serait obligée de faire manœuvrer ses troupes, et pas uniquement dans le nord de l’Irak, combien de temps lui faudrait-il pour arriver à Beyrouth ? Trois ou quatre heures au maximum. » Dominique Chevallier sourit. Sauf que lorsqu’on l’interroge sur la situation qui prévaut depuis quelques semaines au Liban – à savoir l’exacerbation de ce qui se passe depuis 1998 : un Exécutif bipolaire en crise et qui n’arrête pas de montrer les limites de sa propre existence – le politologue a cette réponse, catégorique : il est citoyen français, il n’interviendra donc pas dans les affaires intérieures libanaises. « C’est aux Libanais de se décider. » Vous pourriez peut-être les conseiller ? Non plus : « Je n’ai pas de conseils à donner aux Libanais. J’ai un jugement sur le Liban, c’est tout. Le Liban a eu et doit conserver un rôle médiateur fondamental. » Est-ce que ce rôle-là est compatible avec la satellisation, la mise sous tutelle politique du Liban – une mise sous tutelle à 80 % par Damas, 20 % par Ryad, un peu par Téhéran ? « Il peut avoir ce rôle, parce que la satellisation que vous indiquez est peut-être plus limitée et complexe qu’on ne le pense. Vous avez raison de dire qu’il n’y a pas que la Syrie, de parler de ce contrôle syro-irano-saoudien. Avec la possibilité pour Israël d’intervenir aussi dans les affaires libanaises. » C’est un peu plus difficile aujourd’hui... « Ne vous faites pas trop d’illusions. Le Liban existe à travers ses dix mille et quelques kilomètres carrés, les Libanais existent à travers le monde, ont de nombreuses relations, subissent beaucoup de pressions dans leurs affaires... ». D’une protection à l’autre Revenons à la tutelle syrienne, même si cette question semble vous déplaire assez. « Je vais vous répondre franchement en vous posant une question qui va vous scandaliser : si l’armée syrienne n’était pas intervenue au Liban en 1976, le Liban existerait-il aujourd’hui en tant qu’État territorial défini dans ses frontières de 1920 ? » Avec des si, on peut tout supputer, a posteriori, mais même si l’on vous répondait oui, aujourd’hui, 25 ans plus tard, c’est plutôt merci et au revoir que les Libanais sont en droit de dire à leurs voisins. « Il faut être réaliste. Le Liban a consolidé son existence au moment de son indépendance. En tant qu’État. Mais il est passé d’une protection française à une autre protection – l’ensemble arabo-musulman de la région – et c’est ce qui lui a permis de subsister, à travers différentes crises. Le Liban – et ça peut déplaire à certains Libanais – est un membre fondateur de la Ligue arabe. Et les États arabes, dont la Syrie, savent que le Liban est un facteur de stabilité dans la région, pour eux. Peut-être y a-t-il aujourd’hui une dépendance politique du Liban... » Vous dites peut-être... « ...à l’égard de la Syrie, peut-être y a-t-il une dépendance économique de la Syrie à l’égard du Liban. Mais si la Syrie avait annexé le Liban comme le revendiquaient les nationalistes arabes syriens entre les deux guerres, le Liban n’existerait peut-être plus. Mais la Syrie ? Existerait-elle encore ? Si le Liban disparaît, la Syrie disparaît. » Vous avez vu le président de la République il y a deux jours. Vous êtes très écouté dans les capitales arabes, vous avez prodigué vos conseils au général Lahoud ? « Le président de la République ne m’a pas demandé de conseils, je n’en ai pas à lui donner. Je voudrais juste insister sur toute l’estime que j’ai pour lui. Comme ça arrive souvent dans tous les pays, on brocarde son président. Moi j’ai un grand respect pour le président Émile Lahoud, c’est un homme averti, sage, compétent, et contrairement à ce que disent certains Libanais, un véritable homme d’État. Qui a une véritable vision politique pour le Liban, pour son rôle dans les affaires régionales, dans les relations méditerranéennes, et notamment avec la France. » À bon entendeur... Dominique Chevallier était hier chez le Premier ministre ultrachiraquien, Rafic Hariri. « Si j’ai un souhait à émettre... c’est que, sans supprimer la réalité confessionnelle, l’âme du Liban, l’esprit civique et citoyen des Libanais dépassent tout cela. » Ziyad MAKHOUL
Dominique Chevallier a le cœur – et la tête – clairement portés côté Levant. Il a longtemps occupé la chaire d’histoire du Proche-Orient contemporain à la Sorbonne : un but en soi, une consécration. Dominique Chevallier est donc orientaliste, on lui doit Les Arabes publié sous sa direction chez Fayard. La société du Mont-Liban à l’époque moderne également, un...