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RÉFLEXION - Quatre approches du « Roi des Aulnes » Un archétype redécouvert

Docteur en littérature comparée et sémiologie de l’Université de Paris VII, Hoda Rizk-Hanna avait choisi d’orienter sa thèse sur «la fonction des figures de l’ogre et de l’androgyne dans “Le roi des Aulnes” et “Les météores”», deux romans de Michel Tournier. Professeur de lettres à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et, depuis 1982, à la section II (Fanar) de l’Université libanaise, elle enseigne la méthodologie de la dissertation aux étudiants de première année et l’approche critique du roman contemporain en DES. «Je fais les arrivées et les départs», plaisante cette spécialiste de Tournier, dont nous publions une étude succincte du Roi des Aulnes. Michel Tournier emprunte à Goethe le titre du roman qui lui vaut le prix Goncourt en 1970. Le Roi des aulnes est initialement un personnage fantastique qui séduit un enfant, l’arrache de force à son père et le tue. Quand Tournier entreprend d’écrire un roman sur l’Allemagne nazie, c’est avec les fils de la tradition ogresse qu’il choisit de tisser la trame de son récit. Abel Tiffauges, un anarchiste français en quête de lui-même, se laisse piéger par le nazisme et rédige des Écrits sinistres qui le consacrent à son tour Roi des aulnes, ogre en puissance dans les villages dévastés de la Prusse-Orientale. Trois approches critiques nous serviront de grilles de lecture pour présenter ce roman. L’approche structurale du récit Elle permet de découvrir qu’une logique rigoureusement identique commande les sept séquences narratives du Roi des Aulnes. L’écrivain s’arrange toujours pour reconstituer un espace clos, carcéral, où un personnage puissant recense et dispose à loisir de sujets captifs, soumis et exposés à toutes sortes d’abus. La syntaxe intérieure à chaque séquence (lieu clos, objets disponibles, consommateur puissant) se répète identique dans les sept séquences en subissant à chaque fois une modification au niveau des trois termes. L’étude des modifications établit des réseaux relationnels de type paradigmatique entre, d’une part, des lieux, des victimes, des pouvoirs fictifs, et d’autre part, un cadre référentiel (Allemagne avant et pendant la seconde guerre mondiale), un peuple mystifié et sacrifié (le peuple allemand) et un pouvoir cannibalique (le régime nazi). La méthode d’approche psychocritique Elle vise à reconstituer le mythe personnel d’un auteur, d’une part à travers une superposition des situations et des actants dans ses romans, d’autre part à travers un classement et une analyse des réseaux d’images et de symboles qui parcourent le discours narratif. En effet, dans le choix de l’imposante figure de l’ogre, dans le recours spécifique à telle strate mythique ou à telle autre (l’homme porte-enfant, saint Christophe, Orion), dans les valeurs novatrices rattachées à ces strates, l’écrivain inscrit des conflits, tente de les résoudre, sème des désirs et réalise des fantasmes. L’approche psychocritique nous permet d’affirmer et de motiver le caractère «oral» de l’écriture de Tournier : une tendance constante à «incorporer» (dévorer) d’autres corps ou à se laisser engloutir par eux (à se résorber en eux). Également, une révolte perpétuelle contre les limites imposées au corps, un désir de s’annexer l’autre sexe, l’autre âge, accompagnés paradoxalement d’une propension à construire au fil des pages des espaces clos, des matrices destinées à protéger un corps chétif, déliquescent, fréquemment agressé au niveau du cou. La méthode sociocritique Appliquée au texte de Tournier, cette méthode montre comment une nouvelle version du mythe de l’ogre peut présenter des structures analogues à celles mentales et sociales de l’Allemagne nazie. La structure narrative a fait à la chronique du nazisme des emprunts allusifs et allégoriques. Le glissement subtil de la quête ogresse de chair fraîche à l’exaltation raciste du sang aryen, au «juvénilisme» exacerbé et au culte du muscle caractéristiques de l’éducation nazie, dénonce une double promotion de la chair en valeur absolue et sacro-sainte. Si les strates mythiques de la tradition ogresse recueillent aisément la chronique du nazisme, c’est que l’enjeu est dans ce rapport cannibalique où l’exploitation et l’aliénation d’autrui se manifestent littéralement (ou symboliquement) par l’incorporation, la consommation et la destruction de sa chair. Hoda RIZK-HANNA
Docteur en littérature comparée et sémiologie de l’Université de Paris VII, Hoda Rizk-Hanna avait choisi d’orienter sa thèse sur «la fonction des figures de l’ogre et de l’androgyne dans “Le roi des Aulnes” et “Les météores”», deux romans de Michel Tournier. Professeur de lettres à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et, depuis 1982, à la section II (Fanar) de...