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Actualités - OPINION

Au jugé

C’est un bien étrange missionnaire d’une bien étrange paix qui débarque en terre arabe (en commençant par Rabat...), avec des idées beaucoup trop simples pour, dans une conjoncture aussi complexe, être mises en pratique. Et qui s’est bien gardé – délicate inattention à laquelle la diplomatie yankee nous a habitués depuis quelques années – d’inclure le Liban dans son itinéraire, alors même que le chaudron sudiste recommence à bouillir. Colombe solitaire au milieu d’une nuée de faucons notoires, sacré hier héros de la guerre du Golfe (on en est encore à se demander pour quel haut fait d’armes), Colin Powell reprend ainsi le bâton de pèlerin des mains du falot Zinni dont le triple passage en moins de deux mois n’aura pas laissé un souvenir impérissable. Comme pour ôter toute illusion à ceux des responsables arabes qui pourraient en avoir, le chef d’une diplomatie qui donne la désolante impression de naviguer désormais «au pif» a pris soin de souligner que George W. Bush «n’a pas fixé de date butoir précise pour la fin du retrait» de l’armée israélienne des territoires autonomes palestiniens, tout en se disant «encouragé» par les intentions de Tél-Aviv. Et, avec un regard en coin à l’adresse de ceux qui auraient jugé peu clair un tel langage, cette dernière précision : «Je suis sûr que Sharon comprend le message». Reçu cinq sur cinq par le destinataire, qui a aussitôt donné instruction à son état-major de passer à la vitesse supérieure dans les rafles, bombardements, démolitions et assassinats. Pour l’heure, rien n’indique que la boucherie sera terminée d’ici à vendredi, jour de l’arrivée à Jérusalem du secrétaire d’État. Ni surtout que la Maison-Blanche passera alors à l’action, aucune menace en ce sens, plût au Ciel, n’ayant été formulée à ce jour. On s’est gardé de le dire jusqu’à présent – la politique à l’échelle internationale a de ces pudiques omissions... –, mais il s’agit bien moins de calmer le sinistre jeu de massacre auquel se livre l’État hébreu que de sauver une situation régionale qui risque, bien plus tôt peut-être qu’on ne le croit, d’éditoriaux rageurs en prêches virulents, de manifestations en attentats, d’échapper à tout contrôle. Premier à l’avoir fait publiquement, le ministre jordanien de l’Information Mohammed Adwan a sonné le tocsin. Ce qui se passe depuis quelque temps, a-t-il dit à l’adresse de Washington, «est en train de miner tous les régimes modérés». c’est-à-dire ceux d’entre eux qui ont fait le pari d’une paix à venir et qui se trouvent aujourd’hui confrontés à une rue au bord de l’explosion, traumatisée par les images que transmettent à longueur de journée les chaînes de télévision. D’autres dirigeants arabes ont tenu ce même langage lors d’entretiens téléphoniques avec des responsables américains. Dans une conjoncture aussi dangereuse, il aurait été difficile pour l’Administration actuelle de ne pas tenir compte d’avertissements qui résonnent comme autant d’appels au secours. C’est pourquoi, semble-t-il, le dossier irakien a été relégué au second plan, à tout le moins pour quelque temps, au grand dam de Paul Wolfowitz, numéro deux du Pentagone et partisan d’une guerre US, cette fois la bonne, contre Saddam Hussein. Depuis la fin des années quarante, les maîtres de la politique étrangère des États-Unis ont eu deux soucis premiers : protéger leur vassal israélien et assurer leurs sources d’approvisionnement en pétrole. À ces objectifs sont venus s’ajouter par la suite des impératifs d’égale importance: la pérennité du régime jordanien, pièce maîtresse à leurs yeux de la construction régionale, et la solidité de l’Égypte postnassérienne, surtout après l’assassinat d’Anouar Sadate. Sur le plan interne américain, le difficile exercice d’équilibrisme a consisté, au lendemain du 11 septembre, à tenter de sauvegarder les intérêts du clan pétrolier représenté par le tandem Bush-Cheney tout en s’attaquant à ce qui devait devenir dans la phraséologie officielle l’«axe du mal», dans le même temps que l’on flattait, par Israël interposé, les juifs américains, qui avaient voté dans leur immense majorité pour le ticket Gore-Lieberman. Comment courir autant de lièvres à la fois sans risquer d’en rater au moins quelques-uns ? Et suivant quels critères classer les dossiers par ordre de priorité ? On voit mal l’équipe républicaine, plutôt pataude, apporter des réponses valables à ces questions. Et surtout, au milieu du gué, être capable de changer de barque. Ce qui appelle une autre interrogation : mais alors, nouvellement entraîné dans la galère proche-orientale, le général Powell est-il capable de réussir ? Christian MERVILLE
C’est un bien étrange missionnaire d’une bien étrange paix qui débarque en terre arabe (en commençant par Rabat...), avec des idées beaucoup trop simples pour, dans une conjoncture aussi complexe, être mises en pratique. Et qui s’est bien gardé – délicate inattention à laquelle la diplomatie yankee nous a habitués depuis quelques années – d’inclure le Liban dans...