Raisons et déraison

De grâce, jeune Libanais, donne-toi des raisons de partir ou de rester, n’attends pas qu’on t’en donne. Tu entends tes aînés se lamenter sans cesse sur ton sort et supplier l’État de freiner l’exode de toute une génération. Et celui-ci promet de t’assurer l’emploi et le logis, persuadé ainsi de te donner envie de rester, comme si tout ton avenir se résumait en deux mots : boulot, dodo. De grâce, évite en tout cas de végéter au Liban. D’y rester avec la seule envie de le quitter au plus vite. N’y vis surtout pas avec la mentalité de l’émigré qui attend simplement d’avoir les moyens de partir. Prends vite ta décision. Mais auparavant, efforce-toi de connaître le passé de ton pays, de t’assurer que, si tu choisis d’y vivre, vous resterez fidèles l’un à l’autre parce que vous regarderez dans une même direction. Or tu l’as déjà compris, ton passé, ce ne sont pas les manuels d’histoire qui te l’apprendront. Demande plutôt à tes parents de te raconter la dernière guerre, de te dire pourquoi ils ont choisi de résister, de collaborer ou de se résigner. Ecoute tes aînés, jeune Libanais, exige d’eux toute la vérité, même s’il s’agit uniquement de la leur. Tu sauras ainsi qu’on est loin d’avoir atteint l’équilibre parfait, que nous vivons dans une espèce de trêve-purgatoire dont on voit mal l’issue. Mûris ton choix en sachant enfin qu’il y a toujours dans ce pays des raisons, en tout cas, une raison millénaire d’y vivre : lutter sans répit pour faire de ces 10 000 km2 un espace de liberté comme on n’en a jamais vu dans cette région du monde. Un vrai pays où tu seras libre d’être ce que tu es, ou du moins ce que tu crois être. Bref, une patrie où plus personne ne s’avisera de t’imposer une conduite, une idéologie, ou même une identité. José JAMHOURI