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Actualités - REPORTAGE

HISTOIRE - Le Liban populaire et officiel célèbre demain le souvenir du père fondateur de la communauté maronite Saint Maron, l’ermite qui a fui les hommes mais que les hommes ont suivi(photos)

Par Hareth BOUSTANY Le Liban populaire et officiel célèbre le 9 février de chaque année le souvenir de Maron, un saint ermite qui vécut au IVe et début du Ve siècle en Syrie du Nord et dont les disciples aujourd’hui ont essaimé dans le monde entier après avoir élu domicile au Liban. Du temps de saint Maron, la Syrie du Nord se divisait administrativement en trois régions : la Syrie première ou Syrie creuse (Koïlésyrie) dont le chef-lieu était Antioche ; la Syrie seconde ou Syrie la bonne dont le chef-lieu était Apamée ; la Syrie troisième, enfin, ou Syrie de l’Euphrate dont le chef-lieu était Hiérapolis ou Manbig. À l’ouest de la Syrie euphratique et au nord de la Syrie première s’étendait une région immense dont la superficie atteignait quarante mille carrés environ. On l’appelait Cyrrée ou la Cyrrhestique, du nom de Cyr, sa plus grande cité. Cyr, qui était à deux jours de marche au N.-E. d’Antioche et à 70km environ au N.-O. d’Alep, se trouvait dans une sorte de vallée spacieuse entourée de montagnes peu élevées en une chaîne de sommets dont l’altitude ne dépassait guère 800 mètres. C’est à cette ville, dont les ruines sont encore visibles à 15km au N.-O. de Killis en Turquie, que fut envoyé, en 423, le prédicateur et historien Théodoret d’Antioche, sacré récemment évêque de la région. Il écrivit un livre sur l’Histoire religieuse où il rapporte de nombreux détails sur les œuvres des ascètes, leurs mortifications, la manière dont Dieu, par leur médiation, manifestait sa générosité et opérait des miracles ; citant, en particulier, ceux qui, dans son évêché, étaient devenus célèbres et dont la sainteté avait eu un rayonnement bienfaisant et, à leur tête, Maron le «divin» comme il l’appelait. Mais qui était au juste ce saint homme ? C’est dans une lettre que saint Jean Chrysostome a envoyé de son lieu d’exil, Cucuse, ville d’Arménie, à «Maron le prêtre ermite», autour des années 404 – 405, qu’il est fait mention, pour la première fois, de saint Maron. Il s’agit de la trente-sixième lettre du saint précité publiée dans la Patrologie Grecque de Migne. Ce document-témoin, écrit par un contemporain, prouve que le grand patriarche connaissait bien le prêtre ermite, qu’il entretenait des relations épistolaires directes avec lui, qu’il appréciait sa piété et lui demandait même, du lieu de son exil, de se souvenir de lui dans ses prières. La lecture de l’Histoire de Théodoret montre que Maron l’ermite naquit dans son évêché, y a vécu sa vie d’ermite, y est mort et y fut enterré. D’où son dire – après avoir mentionné les ermites d’Antioche et de ses environs – «qu’il inaugure les biographies des ermites de Cyr». Puis, après avoir rapporté les faits de Mycimas et d’Achbicymas il passe à saint Maron et enchaîne : «La plupart des ermites de la région de Cyr ont suivi la voie tracée par Maron l’ermite se faisant ses disciples». Il y a quelque désaccord sur la détermination du lieu de naissance du saint. Toutefois, la plupart des historiens admettent qu’il est né dans la région de Cyr et non à proximité d’Antioche. Toujours est-il que les premières personnes prises par ce rayonnement spirituel jaillissant de l’une de leurs collines ce sont les habitants de Cyr. Sur cette colline, on avait jadis construit un temple païen tombé en ruines au cours des siècles. La région est ainsi devenue déserte et soustraite à l’activité des habitants. C’est alors, au cours de la deuxième moitié du IVe siècle, qu’un moine ermite recherchant la solitude et la tranquillité s’y installa. Il «consacra» le temple païen – réservé aux démons depuis les temps anciens, comme le dit Théodoret – et s’en servit pour l’adoration du Dieu unique. Il passait ses jours et ses nuits «sous la voûte du ciel» veillant et adorant. Si le temps devenait mauvais, s’il faisait plus froid et si la neige venait à tomber, il se réfugiait alors non pas dans les ruines du temple où il n’allait que pour célébrer la messe, semble-t-il, mais dans une petite tente faite de peau de chèvre – et les chèvres existaient en grand nombre dans ces régions montagneuses – pareille à cette tente décrite par Théodoret même dans sa biographie de Jacques l’ermite, disciple de Maron. Toutefois il «s’abritait peu souvent» sous cette tente et si le ciel se calmait, il revenait dans son lieu d’ermitage dénudé. Pour ce qui est de ses exercices ascétiques, «il ne se contentait pas d’exercer son âme à ceux devenus habituels», tels le jeûne, les longues prières, les nuits de veille consacrées à la pensée de Dieu, la pratique prolongée de la génuflexion et de l’adoration, la récitation de la prière à heures fixes, la méditation sur les perfections divines, la contemplation de Dieu, la claustration dans un espace étroit dont il ne sortait que pour travailler la terre en vue d’épuiser le corps et d’en étouffer les désirs ; le fait de mâter le corps avec des vêtements rudes, des bures en poils, celui de se priver parfois de s’asseoir et de dormir durant des nuits entières, puis enfin le fait de se consacrer à prêcher les visiteurs, à les conseiller et à consoler ceux qui, parmi eux, étaient tristes ou malheureux ; Maron ne se contentait pas de tout cela. Il y ajoutait ce que «sa sagesse inventait afin d’atteindre la pleine sagesse, car le combattant se soucie d’équilibrer la grâce et les actes, la récompense du lutteur étant à la mesure de ses actes». Maron l’ermite a fui les hommes et les hommes l’ont suivi. Il a fui la célébrité sur le sommet d’une montagne isolée, mais ses actes l’ont rendu célèbre et le parfum de sa sainteté s’est propagé jusqu’à la grande capitale du pays, jusqu’à Antioche et de là il parvint aux confins de l’Empire. Saint Jean Chrysostome parle de lui dans son lieu d’exil à Cucuse, ville d’Arménie. Le saint patriarche avait connu l’ermite en personne – ainsi que cela ressort de sa lettre célèbre – et la valeur de sa sainteté ; aussi a-t-il pensé à lui dans son exil et lui a-t-il écrit cette lettre précieuse, chargée d’affection spirituelle réciproque, de respect mutuel, de fraternité dans le Christ, malgré la différence hiérarchique entre le grand patriarche et le simple moine. Il écrivit en 404 ou 405 alors que les deux saints parvenaient au terme de leur vie : «À Maron le prêtre ermite, «Les liens d’affection et d’amitié qui nous unissent à vous, vous rendent présent à nous, car les yeux de l’amour percent naturellement les distances et l’usure du temps ne les affaiblit pas. Nous aurions aimé vous écrire plus souvent, mais certaines difficultés et la rareté des voyageurs qui vont vers vous nous en empêchent. À présent, nous vous envoyons nos meilleures salutations et nous aimons vous assurer que nous portons toujours vivant votre souvenir où que nous soyons, vu la place de choix que vous occupez dans notre pensée. Ne soyez donc pas avare de vos bonnes nouvelles, car les nouvelles de votre bonne santé nous procurent, dans notre solitude et exil, la plus grande joie et la plus grande consolation, et nous nous réjouissons beaucoup de savoir que vous vous portez bien. Tout ce que nous vous demandons c’est de prier Dieu pour nous». «Maron le bienheureux, temple de l’esprit saint et pur, s’est épuisé au service du Seigneur depuis le matin jusqu’au soir». Aussi a-t-il mérité le repos au crépuscule de cette vie pleine. C’était vers l’an 410. Nous déduisons cela de la confrontation des faits et des textes ; nous savons ainsi que saint Jean Chrysostome a écrit sa lettre à Maron en 405, dans les meilleures suppositions, donc deux ans avant la mort de Chrysostome. D’autre part, nous apprenons, dans l’Histoire de Théodoret, qu’après la mort de Maron une grande église a été érigée en son nom, qui est devenue un lieu de pèlerinage. Et l’on sait que Théodoret a écrit son Histoire au cours de son épiscopat (423 – 458), ce qui fait que la mort de saint Maron a dû avoir lieu entre 405 et 423. Si à présent nous devions admettre que quelques années se sont écoulées après la mort du saint et la construction de cette grande église qui ont permis à celle-ci de devenir assez célèbre pour que Théodoret en parle avec insistance, nous ne serions pas éloignés de l’année 410 historiquement convenue pour la mort de saint Maron. Telle était l’opinion du père jésuite Rosuidos exprimée dans ses commentaires de l’Histoire de Théodoret. Telle est aussi l’opinion de Mgr Pierre Dib dans le dernier écrit paru sur saint Maron. Le saint est mort entouré d’un grand nombre de ses disciples qui avaient peuplé les monts et les vallées de la Cyrrhestique ainsi que ses grottes, si bien qu’elle était devenue un jardin fleuri où s’épanouissaient les fruits d’une sainteté riche de diversité. Peut-être que le disciple le plus attaché au Maître et le plus proche de l’idéal de la spiritualité était-ce directeur de conscience que fut saint Zabéna. Il semble, en effet, qu’il fut plus âgé que saint Maron, et saint Maron respectait sa vieillesse sainte, en louait les vertus, imitait certaines de ses pratiques ascétiques, l’appelait père et maître, lui envoyait ses visiteurs en vue d’obtenir sa bénédiction. C’est pourquoi certains historiens font de Zabéna le maître de saint Maron, alors que d’autres le considèrent son disciple. Il s’est fait aussi que Zabéna est mort avant Maron. Celui-ci demanda alors, vers la fin de ses jours, d’être enterré dans la tombe de Zabéna, voulant confirmer par là les vertus du vieillard disparu et visant à donner à ses disciples une leçon d’humilité et d’abnégation. Toutefois sa dernière volonté n’a pas été exaucée. À peine avait-il rendu l’âme que les foules affluèrent des villages nombreux vers son corps. Les uns et les autres ne désiraient qu’une chose : ravir le corps et l’enterrer dans leur village. La dispute a failli dégénérer en bataille. Et ce sont les habitants d’un village du sud de Cyr qui, ayant finalement triomphé, ont emporté le corps et l’ont enterré dans leur village. C’est alors qu’ils ont édifié sur la tombe cette église que mentionne Théodoret et qu’il situe loin de Cyr, son siège épiscopal, sans qu’elle soit pourtant en dehors de son évêché. À ce sujet il écrit : «Bien que nous soyons loin du saint, sa bénédiction nous touche, et son souvenir tient pour nous lieu de ses reliques». Ainsi, la tombe du saint et la première église érigée en son nom se situeraient «au nord de la Syrie, vers le sud de Cyr, à mi-distance entre elle et Alep». Telles sont les déductions du P. Lammens. La tradition maronite veut que le crâne de saint Maron ait été transporté, d’abord, de cette église, au couvent de Maron le Grand ou «Maison de Maron», Beit Marum, construit au bord de l’Oronte, puis de là au Liban dans le couvent de Maron sis à l’est du village dit «Kfarhay» dans le Batroun. Et ce, d’après l’histoire de Douayhy qui écrit : «Une fois Jean Maron établi à Kfarhay, il fit construire un temple et un couvent au nom de saint Maron. Il plaça le crâne miraculeux de ce dernier à l’intérieur de ce temple. D’où le nom du couvent “Rich Moro” c’est-à-dire : tête de Maron. Mais le crâne du saint n’est resté au Liabn que quelques siècles seulement, après quoi il fut transporté en Italie par un moine bénédictin». Le même Douayhy écrit : «En l’an 1130 après Jésus-Christ, l’un des moines de saint Benoît, qui était supérieur du couvent de la Croix sis près de Foligno en Italie, vint en Syrie. Après avoir visité les lieux saints et alors qu’il était sur le point de rentrer chez lui, il retrouva le crâne de saint Maron. Il eut une joie indescriptible. Et quand il parvint chez lui, il se mit à raconter au peuple les vertus de l’Abbé Maron… On lui édifia alors une église en son nom. Puis comme l’évêque de Foligno, nommé Luc, était de ceux qui honoraient le saint, il transporta son crâne honorable dans la ville même, et ce en 1194, et il le plaça dans l’église épiscopale. C’est alors que les fidèles lui coulèrent une statue en argent et l’y mirent». Assemani se trouve d’accord avec Douayhy pour dire que saint Jean Maron avait transporté «le crâne de saint Maron depuis le couvent de Hama jusqu’au couvent de Kfarhay». Car Douayhy et Assemani situent le grand couvent de maron à Hama. Le P. Lammens écrit : «La tradition confirme que le crâne du saint ermite a été transporté au Liban après la destruction de son couvent près d’Apamée. Mgr Youssef Debs (1907) a eu la chance d’avoir une partie de cette relique précieuse pendant son séjour en Italie». Il écrit à ce sujet : «J’ai eu l’occasion, lors de mon séjour à Rome en 1887, de rencontrer l’évêque de Foligno et de lui parler de ce sujet. Il m’a confirmé que la tradition chez eux confirme ce que j’ai relaté et qu’il reste encore dans leur église une partie du crâne de saint Maron dont on distribue des reliques aux fidèles. Je lui ai demandé de m’en accorder quelque partie. Il me fit cadeau de cinq reliques. Je l’ai remercié pour ce cadeau qui, pour moi, était plus précieux que l’or et que les bijoux». (*) Principale référence : «Saint Maron» de Fouad E. Boustany, dans la traduction française de César Nasr. À partir du Liban et de la Syrie, un rayonnement qui s’est étendu à Chypre, Rhodes et Malte La spiritualité est rayonnement qui passe les frontières et couvre les distances sans vacarme ni bruit. L’ascète abandonne le monde et se réfugie, cœur et esprit, en Dieu ; il mène ainsi une vie d’ermite, de prisonnier volontaire, loin des préoccupations de la vie et des sollicitations de la société, loin de tout contact humain direct. Il ne vit pas au grand jour ni ne proclame ses opinions dans le monde. Aucun journal ne parle de lui, aucune bouche ne propage ses défauts ou ses hauts faits. Sur cette terre, rien ne lui importe davantage que de glorifier le Créateur pour la beauté de ce qu’Il fait. Il déserte les hommes, traçant entre le monde et lui une ligne de volonté qu’il ne retraversera plus. Il s’élève, pas à pas, dans son ascèse, s’éloignant des hommes et du tumulte de leurs désirs et de leurs espoirs, ou bien élit demeure dans le creux d’un tronc d’arbre quelconque pour échapper au regard des curieux ; ou bien, enfin, il escalade le sommet d’une montagne solitaire pour se réfugier dans les ruines abandonnées, croyant ne plus marquer par son influence les hommes ni en être marqué. Mais il s’aperçoit, progressivement, que sa charité illumine des horizons où la vue se perd, que ses méditations spirituelles et ses prières muettes trouvent des échos qu’il n’imaginait pas pouvoir entendre, et qu’au pied de son ermitage afflue une moisson qu’il n’a pas eu le sentiment d’avoir auparavant semée. En fait, notre monde est un univers clos où rien de ce que nous mettons ne se perd. Nous agissons et nous pensons, nous souhaitons le bien et projetons le mal, nous entassons nos actions – et nos intentions surtout – qui se répercutent dans les espaces de ce monde puis retombent sur ceux qui le peuplent soit pour l’améliorer, soit pour en accentuer la pourriture. Tel est le secret qui pousse quelques âmes élues à la solitude et à l’isolement. Tel est le principe même des ordres contemplatifs et des maîtres de cellules d’ermitages. Sinon les premiers aliénés eussent été ces anachorètes, ces ermites, ces moines, ces pèlerins, ces ascètes, ces soufis et tous ceux qui se sont isolés du monde afin de prier pour le monde. Et qu’est-ce que la prière, sinon cette tension qui élève, vers son Créateur, l’âme humaine illuminée, pleine de reconnaissance et de louanges. Sa lumière retombe alors en grâces et bénédictions même sur ceux qui ne prient pas! N’est-ce pas là le principe où reviennent ceux qui sollicitent les invocations des justes et la prière des saints. N’est-ce pas dans ce même principe que se réfugie le peuple pour expliquer certains événements graves? Les malheurs l’accablent et il en ignore les causes occasionnelles. Alors il recourt spontanément à cette explication : ce sont là les conséquences du mal que nous faisons et de nos péchés. Les voilà au cœur même de l’humaine vérité ; ils apprécient l’influence que l’acte aussi bien que l’intention individuels exercent sur le niveau moral de l’humanité. En effet, aucun acte, aucune pensée ne se perdent dans ce monde clos ; aucun désir, aucune intention n’y échappent. Comme si notre ciel ressemblait à une couverture d’airain qui répercute toute pensée humaine condamnée à s’élever à partir de l’homme pour retomber sur l’humanité entière. Par où il apparaît que chaque individu est responsable de la société des hommes et celle-ci de chaque individu. Gibran écrit dans ce sens : «De même qu’une feuille d’arbre ne jaunit que par une acceptation tacite de l’arbre tout entier, de même le malfaiteur, parmi vous, ne fait le mal que par votre unanime complicité». Peut-être que le principe des vases communicants, familier en physique, s’applique-t-il de façon éclatante au monde humain. J’entends que les individus sont en rapport étroit les uns avec les autres, qu’ils le veulent ou non, qu’ils s’unissent ou se divisent, si bien qu’il est impossible de séparer l’homme de l’humanité entière dont il participe. Ne nous étonnons donc pas de voir les bienfaits d’un homme ainsi que ses méfaits se heurter un temps dans la conscience d’une société qu’il trouble. Mais bientôt leur interaction avec d’autres faits venus d’individus différents conduit à un certain niveau d’équilibre modifié de la collectivité qu’elle élève ou abaisse. Pareil à cet équilibre d’un liquide dans des vases communicants qui finit par se stabiliser à un même niveau. C’est ainsi qu’on peut comprendre la cause de ces vagues qui secouent un peuple de temps à autre, l’élevant au faîte de la spiritualité ou l’enfonçant dans les abîmes de la pourriture matérielle. Ceux qui parmi ce même peuple tiennent à un monde de corruption n’affrontent pas le premier mouvement de houle ; de même que ceux qui s’efforcent de s’élever au-dessus de la corruption ne peuvent s’opposer à son second mouvement. C’est ce niveau collectif régularisé et équilibré qui crée chez le peuple un climat propice au ferment spirituel, mental et esthétique, et qui prépare l’émergence des maîtres de la spiritualité, de la politique, de la poésie et des autres arts. De même qu’il peut mener le peuple sur la pente de la dissolution, et c’est alors que se manifestent les politiciens véreux, les suppôts de la corruption morale et de l’art dégénéré. Aussi est-il rarissime de voir apparaître un seul génie au cours d’une période unique. Mais on peut y rencontrer un certain nombre de génies qui se soutiennent, rivalisent les uns avec les autres ou se combattent. Ils se présentent ainsi comme l’incarnation des penchants inconscients et anonymes de la nation entière. Ou bien faudrait-il admettre que l’apparition de St Maron avec St Jean Chrysostome, à une même époque, était vaine? Ainsi que celle de St Basile le Grand, de St Jérôme, de Théodoret, des autres moines, ermites et pèlerins de Dieu ? Ou bien que la prospérité de ce jardin de la vie érémétique au IVe siècle et dans ce coin de l’Orient était spontanée et sans raison. St Maron a décidé de s’éloigner des hommes et les hommes l’ont suivi ! Il a opté pour une vie humble et inconnue, et les gens se sont livré bataille pour conserver son corps. Il a mené une vie de chasteté, s’est refusé à cohabiter avec des parents, s’est privé d’enfants et n’a pas voulu fonder une famille. Mais à peine a-t-il quitté ce monde de vanité que ses fils spirituels se répandirent par centaines, par milliers, par dizaines de milliers même dans tous les coins de la terre. Nous les retrouvons dans la Cyrrhestique, ermites et cénobites, sur les rives de l’Oronte, moines et communauté, défendant jusqu’au martyre et dès l’aube du VIe siècle la foi orthodoxe pure ; nous les retrouvons à Édesse, savants, poètes et historiens, exerçant leur influence, au début de l’époque des Abbassides et jusqu’à Bagdad même. À Homs, Hama, Sayzar, Ma’arrat an-Nu’man, Alep, Antioche, Manbig, Qinnisrin et Damas, nous retrouvons une multitude importante, au prestige considérable et à l’influence profonde. À partir du VIe siècle, nous les retrouvons enfin au Mont-Liban où ils s’abritent dans les grottes et les cavernes pour fuir la persécution des Jacobites que secondent les autorités politiques. Ils colonisent les hauteurs de ces montagnes, les cultivent, y installent fermes et villages, édifient couvents et églises. Ils tâchent à élever le niveau de piété et de spiritualité des indigènes grâce aux sermons de leurs moines et à l’exemple de leurs ermites. De nombreux Araméens et Grecs se joignent à eux, au dire d’Ibn al-Batriq, ainsi que les Garagimahs et les esclaves en fuite réfugiés au Liban pour recouvrer leur liberté. Puis à leur tour, les Mardaïtes s’unissent à eux au cours de la seconde moitié du VIIe siècle. Ainsi ils achèvent de devenir, grâce à l’appui de Byzance, une force qui a pu menacer, par deux fois, l’État des Omayyades à l’époque de Mo’awiah (660 – 680) et l’obliger deux fois de suite à un armistice avec les empereurs de Byzance, Constantin IV puis Justinien II, et à l’acceptation, enfin, des conditions sévères imposées. Depuis lors, les Mardaïtes se joignent aux maronites et aux autres peuplades du Liban, ce qui accroît leur puissance et renforce leur liberté et leur autonomie dans leur montagne imprenable. Si bien qu’ils n’ont pas reculé devant la révolution contre les Abbassides, en 759, alors que cet État était au sommet de la gloire et de la puissance. Ils dévalent ainsi de Mnaytrah, occupent fermes et plaines, et se dirigent sur Baalbeck. Mais là ils tombent dans une embuscade dressée par le gouverneur abbasside et leur révolution échoue. Cependant, elle revigore en eux cet esprit de fierté et de refus de toute servitude. D’une génération à l’autre, leur nombre augmente, surtout après la destruction du grand Couvent, dans la première moitié du Xe siècle. C’est alors qu’ils émigrent vers la montagne et que leur territoire s’étend depuis le littoral et les montagnes du Nord du Liban jusqu’au centre. Peut-être que leurs premières régions d’immigration étaient-elles Jebbet Bécharré et le littoral de Batroun. Ils y sont parvenus en suivant le cours de l’Oronte depuis Apamée, Hama et Homs, pratiquant cette faille naturelle jusqu’au littoral de Tripoli. De là, ils ont dû remonter la vallée de Qadisha, distribuant leurs anachorètes et ermites dans les grottes, les cavernes et autres ermitages naturels, ou bien continuant leur chemin le long de la côte jusqu’aux alentours de Kfarhay et ses environs. Une partie d’entre eux a dû suivre la route sud de l’Oronte jusqu’à ses sources près de Ras-Baalbeck ; de là ils ont escaladé les failles parvenant, ainsi, aux alentours de Akoura, Kartaba et Laklouk. Très rapidement, ils ont édifié leurs églises et couvents et se sont constitués en hiérarchie ecclésiastique ordonnée, depuis le patriarche jusqu’aux autres supérieurs en passant par les archevêques et évêques. Leur organisation était si complète qu’on peut affirmer, à juste raison, que depuis cette époque ils ont formé une nation particulière et autonome assimilant tous ses éléments à une réalité sociale unique, à un rite unique et à une langue unique. Tant et si bien que lorsque l’avant-garde des Croisés apparut, les maronites les soutinrent avec 30 000 archers dont les Francs, à l’unanimité, admiraient le courage et l’adresse. Depuis ces temps-là, les maronites émigrèrent vers les régions proches d’abord. C’est ainsi qu’on les retrouve dans la Ville Sainte où leurs églises nombreuses confirment leur grand nombre. Puis ils traversent la mer vers les îles et s’installent à Chypre, Rhodes et Malte. Depuis le XIe siècle, leur plus grande colonie se trouve à Chypre, disséminée dans trente villages différents avec ses églises et couvents nombreux et un évêque pour s’en occuper. Le nom de l’évêché de Chypre existe jusqu’à la date de ce jour et figure sur la liste des évêchés maronites, de même qu’il existe toujours, dans l’île, un reste d’authentiques maronites. Toutefois, la langue grecque a dû dominer leurs rapports avec les habitants de l’île. C’est pourquoi ils ont conservé, pour leurs seules conversations intimes, leur langue d’origine qu’ils ont véhiculée du Liban pendant le Moyen Âge, qu’ils se transmettent oralement et avec laquelle ils s’entendent à l’exclusivité de toute autre langue. Cette langue apparaît comme un mélange de syriaque et d’arabe, pareille à celle que les Libanais utilisaient il y a quelques siècles. En revanche, à Malte, l’arabe n’a pas été entièrement oublié grâce à leur présence. D’autre part, les maronites restés dans leur lieu d’origine se sont étendus dans le nord de la Syrie. La zone d’influence des habitants d’Édesse, dont le personnage le plus en vue était Simon le Maronite mentionné dans l’Histoire des Croisés, s’étendait jusqu’à Aïntab à l’ouest, jusqu’au Mossoul et Bagdad au sud où l’on trouvait une colonie importante, dont s’occupait un évêque particulier. Quant aux maronites d’Alep, ils ont bénéficié d’une affluence nouvelle de Libanais au cours du XVe siècle. Ils se sont ainsi réorganisé conservant, de même, leur évêque propre. Toutefois, le vrai pays de la communauté maronite c’est, aujourd’hui, le Liban. Elle s’y est réfugiée, installée et y a fait souche depuis le VIe siècle nouant son destin avec le sien. Elle y a vécu, s’y est constituée, y a enraciné son arbre généalogique qui a poussé ses ramifications dans le monde entier. Toutefois, elle a conservé l’habitude d’y revenir dans la joie de même que dans le malheur. La communauté maronite est fille du Liban et le Liban, dans ses nombreux aspects et particularités, a été façonné par les maronites. Il n’est donc pas étrange de considérer son fondateur comme la plus belle figure libanaise qui, du haut de l’Éternité, veille sur ses fils dans leur patrie et sur le destin de ce pays placé entre leurs mains. Les disciples de saint Maron s’épuisaient en sacrifices et mortifications Après avoir conté l’histoire de «Maron le Divin», Théodoret a parlé abondamment de ses nombreux disciples répartis dans toute la région de Cyr. Le plus célèbre d’entre eux, après Zabéna que nous avons mentionné, fut saint Jacques que Théodoret connaissait personnellement. Il l’a mentionné comme il a mentionné tous ses compagnons ; toutefois il lui a réservé des qualificatifs qu’il n’attribua à nul autre, contant son histoire, après celle de Maron, dans les termes que voici : «Et Maron a planté pour Dieu ce jardin qui a fleuri dans toutes les parties de Cyr». Or la meilleure et la plus belle fleur de ce jardin c’est le Grand Jacques auquel s’appliquent ces paroles du Prophète David : «Le juste poussera comme un palmier, il grandira comme un cèdre du Liban». Jacques s’était rendu célèbre par sa générosité d’âme et par sa consécration au service de Dieu. D’abord il s’était enfermé dans un lieu étroit, ensuite il avait fui les visiteurs dans une montagne éloignée, demeurant dans son ermitage durant trente-huit ans, chargé de fer, ne mangeant que des lentilles mouillées, faisant des miracles, ressuscitant même des morts, ainsi qu’en témoigne son évêque Théodoret qui lui avait rendu visite et qui s’était étonné de ce qu’il avait vu. L’évêque mentionne ensuite, parmi les disciples de Maron, saint Limnaius, qui s’était isolé dans une montagne proche de la ville de Targala. Il y construisit une enceinte en pierres et s’y enferma, résigné devant les intempéries, ne parlant aux gens, pour les consoler, les bénir et guérir leurs malades, qu’à travers une lucarne pratiquée dans le mur. Théodoret cite aussi Jean, Moïse, Antiochus et Antonios qui s’épuisèrent tous en sacrifices et mortifications tels qu’il nous paraîtraient aujourd’hui incroyables, n’était-ce le témoignage d’historiens de confiance. Mais cette vie monacale ne se limitait pas aux hommes seulement. Théodoret cite un certain nombre de femmes disciples de saint Maron qui avaient opté pour une vie monacale difficile malgré la faiblesse de leur constitution. Sainte Domnina fut au nombre de ces vertueuses. Elle était d’une grande lignée. Mais elle abandonna, après la mort de son père, une vie de luxe, fit construire, dans le jardin de sa mère, une hutte en tiges de maïs et s’y installa. Elle passait ses jours à l’église et auprès des pauvres et des nécessiteux, dépensait pour eux l’argent de sa mère et de ses frères et ne se nourrissait que de lentilles mouillées. Parmi elles, mentionnons aussi Kyra et Marana, deux vertueuses alépines de noble origine, qui avaient vécu dans un enclos étroit se vêtant de poils alourdis de fer et jeûnant à l’excès. Il faut croire que l’épreuve la plus pénible qu’elles se soient imposée ce fut de garder le silence tout le long de l’année, sauf durant les cinquante jours qui suivent la fête de Pâques.
Par Hareth BOUSTANY Le Liban populaire et officiel célèbre le 9 février de chaque année le souvenir de Maron, un saint ermite qui vécut au IVe et début du Ve siècle en Syrie du Nord et dont les disciples aujourd’hui ont essaimé dans le monde entier après avoir élu domicile au Liban. Du temps de saint Maron, la Syrie du Nord se divisait administrativement en trois régions : la Syrie...