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Actualités - REPORTAGE

LIVRES - L’effort de toute une société pour penser son histoire Liban, « conscience critique du monde arabe »

Michel de Bustros publie aux éditions Dar an-Nahar une chronique des années de guerre sous le titre «Tourmente d’une guerre dite civile». L’intérêt de l’ouvrage réside d’abord dans la chronologie qu’il offre. Un peu la même, d’ailleurs, que cette série faite par la chaîne al-Jazira ou encore les reportages sur les partis diffusés sur la NBN. Travail de mémoire salutaire et, surtout, indispensable. Il y a un côté fastidieux peut-être, répétitif, dans ce genre d’œuvres. Mais le moyen de s’en dispenser ? Ils incarnent l’effort de toute une société pour penser son histoire, tenter de donner un sens à la violence qui nous a emportés, de tirer les leçons de ce qui s’est produit. Et justement, très justement, quelles sont ces leçons ? Michel de Bustros en livre une, sous forme d’interrogation, en conclusion de son ouvrage. Il s’interroge sur la place du nationalisme à l’ère des grands ensembles politiques et économiques qui se forment. «Tout indique, dit-il, que l’on se dirige vers les autres, par la création de grandes unions, sans préjudice du respect des particularismes régionaux». Et d’ajouter : «Encore faut-il que le vouloir vivre en commun en soit le moteur. Sans points communs, sans intérêts communs, sans une culture commune, les individus auront du mal à s’assembler (...) le tout passant par l’égalité des droits, le libéralisme économique, la coexistence interconfessionnelle et le respect de la démocratie avant l’unification monétaire, économique, militaire et politique. Toutes choses qu’il est vain de chercher à obtenir par l’humiliation, par la colonisation, par l’exploitation de l’un par l’autre», ajoute-t-il en une conclusion tout à fait claire. C’est un peu comme si l’auteur disait que, durant les années de violence, durant ces années où violence était faite au Liban, l’histoire avait franchi une distance qui rend caduc l’effort pour retrouver notre souveraineté dans la forme qu’elle revêtait avant l’explosion, l’éclatement du Liban, sa désintégration sociale. Car c’est bien un Liban désintégré que nous ont laissé les années de guerre, un Liban dont les communautés semblent en désaccord total sur sa place dans l’ordre régional et son identité, non pas seulement par rapport à lui-même, mais par rapport aux autres, à la Syrie en particulier. Souverainistes contre confédéralistes cherchant à arrimer une fois pour toutes le Liban à la Syrie, voilà la lutte sourde à laquelle, dirait-on, nous assistons. Est-ce que nous nous trompons de combat ? Kornet Chehwan, Forces libanaises, PNL, Aoun se trompent-ils de combat ? Cette guerre de libération a-t-elle un sens aujourd’hui, à l’heure des grands ensembles, se demande en quelque sorte Michel de Bustros, en une interrogation qui rejoint sur certains points la vaste réflexion qui parcourt le monde, après les attentats du 11 septembre, et qui se résume dans l’alternative : «Choc des civilisations» ou «Fin de l’histoire». On pourrait choisir le «choc des civilisations». Après tout, qui peut exclure que le monde puisse retourner à la barbarie des guerres de religion ? Le cœur de l’homme est un terrain continuellement à reconquérir. C’est l’œuvre de chaque génération, et même de chaque être humain. Mais nous supposons que les hommes sont conscients de cette menace et ont choisi d’habiter cette «fin de l’histoire», une expression du politologue Fukuyama qui signifie simplement que la démocratie est la forme la plus avancée d’organisation sociale à laquelle l’homme peut parvenir. En ce sens, «nous sommes toujours à la fin de l’histoire», disait Fukuyama, après les attentats du 11 septembre, «rien n’a changé». Si Fukuyama a raison, si nous sommes vraiment à la fin de l’histoire, s’il n’y a pas d’alternative à la démocratie et si la formation des grands ensembles en est l’une des composantes, les conséquences, pour le Liban, en sont que nous pourrions mener, par moments, des combats d’arrière-garde. Car si tous les grands ensembles sont soumis au même déterminisme qui oriente les sociétés humaines vers la démocratie, alors en effet, peut-être que notre effort devrait être d’œuvrer à l’humanisation de l’état de fait, plutôt que dans l’effort désespéré de faire reculer les aiguilles de la montre. La question de Michel de Bustros se pose donc à nouveau : Y a-t-il toujours de la place, dans ces grands ensembles, pour les nations et les peuples ? Et faut-il qu’ils se battent pour elle ? Au regard de ce que nous savons de l’histoire et de qui se produit, la réponse est oui, cette place existe. L’histoire n’est pas linéaire, les régressions existent. L’histoire des XIXe et XXe siècles a ruiné tous les positivismes. Et même si la planète entière converge vers la démocratie, même si l’évidence démocratique s’impose sans violence à la raison humaine, il faut des milliers de combats pour qu’elle advienne dans nos rapports sociaux à tous les niveaux, compte tenu de l’entropie sociale, de cette tendance au grand désordre et à la tyrannie qui habite les hommes et les sociétés. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe aux États-Unis. Quel autre sens revêt le combat de Colin Powell pour imposer aux talibans le statut de prisonnier politique, contre l’avis du ministre de la Défense, qui veut les traiter comme des «terroristes» criminels ? L’un reconnaît devant lui un être humain, un adversaire et le respecte. tradition démocratique. L’autre ne voit qu’un criminel qu’il s’agit de neutraliser : retour à la barbarie, à une loi du plus fort qui reproduit la haine, en en reproduisant les conditions d’apparition, alors que la clémence serait tellement plus fructueuse. Le Liban n’échappe pas à ce mouvement oscillatoire de l’histoire. Pour occuper sa place dans le monde et la communauté internationale, il doit mener son combat, mais selon les nouvelles règles. La démocratie ne s’instaure que par des moyens démocratiques. Le Liban devra choisir entre la loi du plus fort, qui le fera régresser, ou la démocratie, qui imprégnera les sociétés politiques qu’il affronte. Dans un opuscule paru récemment, l’évêque maronite de Damas, Antoine Hamid Mourani, discernait la fonction du Liban comme «conscience critique du monde arabe». Voilà un combat digne d’être mené. Le combat essentiel que l’on peut mener indépendamment même de la souveraineté, mais auquel l’histoire et la souveraineté apporteront à n’en pas douter la garantie d’un cadre étatique indépendant. Car un Liban de la haine et des discordes confessionnelles, quel intérêt ? Mais un Liban «conscience critique du monde arabe», quelle nécessité ! Fady NOUN Vient de paraître : Michel de Bustros – «Tourmente d’une guerre dite incivile» – Éditions An-Nahar – postface de couverture de Ghassan Tuéni. Mgr Antoine Hamid Mourani – «Culture libanaise et francophonie» – Dar el-Machreq – avec une dédicace à Ghassan Tuéni.
Michel de Bustros publie aux éditions Dar an-Nahar une chronique des années de guerre sous le titre «Tourmente d’une guerre dite civile». L’intérêt de l’ouvrage réside d’abord dans la chronologie qu’il offre. Un peu la même, d’ailleurs, que cette série faite par la chaîne al-Jazira ou encore les reportages sur les partis diffusés sur la NBN. Travail de mémoire salutaire...