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Charles Hélou, ou la nostalgie d’une époque

Par Joe Khoury-Hélou Commémorer la disparition du président Charles Hélou, c’est un peu se commémorer un ancien Liban, une certaine idée désormais révolue et disparue de ce qu’était notre pays. Il en était l’un des derniers piliers. De son école restent quelques retraités et d’autres, sciemment marginalisés. Charles Hélou faisait partie de la génération politique qui a vu naître le Grand Liban proclamé en 1920, et il a vécu la République indépendante de 1943. Cette génération était formée essentiellement dans les prestigieuses institutions incrustées au Liban, déjà lors de la période ottomane, par les missions étrangères, dont les pères jésuites. L’influence française, et plus largement francophone, y était notoire. Le mandat français devait accentuer encore plus cette influence, tant et si bien que, pour certains, l’âge d’or de la magistrature libanaise était celui des tribunaux mixtes. À l’instar de ses aînés qui avaient appris l’esprit de rigueur, de synthèse et de rhétorique dans les différents collèges des missions étrangères, Charles Hélou s’est vite distingué chez les pères jésuites où il devient le protégé, celui qui raflait tous les prix. En parallèle à l’enseignement traditionnel des matières, on se souciait de former des hommes de culture, d’inculquer le sens de l’humanisme. Le grand apport des pères jésuites au Liban, il l’est incontestable aussi, au niveau de l’enseignement universitaire, à l’Université Saint-Joseph, notamment à l’École de droit de Beyrouth, la seule à l’époque. Cette école s’est singularisée par le niveau de l’enseignement, et surtout par la formation des futurs juristes à un esprit d’État de droit, ancrant en eux les valeurs républicaines, au point que le professeur Sélim Jahel a écrit : «L’apport majeur, capital, fondamental de l’Université Saint-Joseph a été celui d’avoir réussi à répandre dans le pays la culture de l’État de droit». La plupart des dirigeants politiques, des grands commis de l’Administration et presque tous les magistrats étaient des diplômés de cette école. Francophones, voire même francophiles, les hommes de l’époque ne renonçaient toutefois pas à leur histoire propre, leurs racines, leur langue d’origine. D’où la richesse du modèle libanais. De surcroît, ils refusaient tout diktat; et l’on sait que c’est grâce à des hommes de cette trempe que l’indépendance fut proclamée. C’est dans cette atmosphère du début de siècle qu’à évolué le jeune Charles Hélou comme élève, étudiant; puis avocat, diplomate, journaliste et politicien. Il a eu certes, l’insigne privilège d’être adopté par Michel Chiha, un des plus grands penseurs de l’histoire contemporaine, dont il devient le disciple. Les conflits politiques – essentiellement entre destouriens et partisans du Bloc national – ne dépassaient jamais le cadre de joutes oratoires, l’échange d’arguments, à travers des préfaces journalistiques, véritables pièces littéraires, à «L’Orient» et au «Jour», sous la signature de Charles Hélou dans l’un, et celle de Georges Naccache dans l’autre. Bien sûr qu’il y avait des débordements dans la gestion de la chose publique. Mais en face, il y avait une justice tenue par des magistrats d’élite, et une presse qui stigmatisait librement toute dérive. Le rêve libanais ne pouvait perdurer. Des changements majeurs éclaboussant le Proche-Orient ne pouvaient rester sans répercussions au Liban. De la création de l’État d’Israël et l’affux de réfugiés palestiniens, au changement de la plupart des régimes dans les pays arabes, de l’Égypte à l’Irak, anciennement monarchiques, les passions, ici, s’enflammaient, alimentées par les capitales étrangères. Charles Hélou a vécu ces bouleversements. Au pouvoir, il se démenait, presque en solitaire, pour imposer, coûte que coûte, la démocratie et la liberté, suscitant l’animosité des puissants de l’époque. En dépit de l’effroyable crise de pouvoir, à la suite de la débâcle de 67 et du déchaînement hystérique des masses en faveur de la cause «fedaï», il a œuvré pour assurer malgré tout une passation de pouvoirs selon les principes républicains. Au cours de la guerre, amalgame de conflits internes et de convoitises étrangères, Charles Hélou a eu recours à son arme préférée, la plume, pour plaider, défendre ou accuser. Il a cofondé la francophonie pour monter la face humaniste du Liban. Il n’avait en vue que la défense de «son» Liban, phare des civilisations, hâvre de paix et de liberté. Avec la naissance de la Deuxième République, tout a changé : la culture, l’enseignement, les valeurs, les hommes, le style, les accointances. Charles Hélou observait, la mort dans l’âme. Il avait été enchanté par le discours d’investiture du président actuel, et le style de l’homme. Mais il avait deviné que les forces du mal obstrueraient son action. Nous ne pouvons certes pas s’arroger le droit de préférer telle période à telle autre. Peut-être même que le Liban d’aujourd’hui est mieux intégré dans l’environnement ambiant. Mais peut-on s’empêcher d’être nostalgique ?
Par Joe Khoury-Hélou Commémorer la disparition du président Charles Hélou, c’est un peu se commémorer un ancien Liban, une certaine idée désormais révolue et disparue de ce qu’était notre pays. Il en était l’un des derniers piliers. De son école restent quelques retraités et d’autres, sciemment marginalisés. Charles Hélou faisait partie de la génération...