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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

ÉDUCATION - Importance du dépistage et de l’intervention précoce spécialisée - La souffrance au quotidien de l’enfant dyslexique

C’est dans le but d’éveiller les parents, éducateurs et directeurs d’établissements scolaires aux problèmes de la dyslexie et de la dysorthographie, troubles de l’acquisition de la lecture et de l’écriture, que la psychologue et orthophoniste belge Marianne Klees, professeur honoraire à l’université libre de Bruxelles et expert conseil du CLES (Centre libanais pour l’éducation spécialisée), a donné une conférence au siège de la Byblos Bank à Achrafieh. Une conférence au cours de laquelle elle a retracé l’histoire et le parcours d’une enfant dyslexique que nous nommerons Michèle, et démontré que les enfants dyslexiques ont besoin d’un enseignement approprié, car ils ne peuvent apprendre ni s’épanouir dans une classe ordinaire. Comprendre un enfant dyslexique et revoir avec lui, lentement, les notions apprises à l’école ne peutvent suffire à résoudre son problème. C’est à l’âge de 4 ans que Michèle, fille aînée d’une famille d’intellectuels belges aisés, a été présentée, pour la première fois, au professeur Klees. Enfant gaie, intelligente, sociable et stable, Michèle ne souffrait d’aucune déficience intellectuelle ni de troubles sensoriels, comportementaux ou neurologiques. Mais elle éprouvait de la difficulté à faire des phrases correctes, à retenir les comptines de même que les prénoms et était sujette à des rhumes fréquents, accompagnés d’otites séreuses, comme de nombreux enfants dyslexiques. «Par rapport aux autres enfants de son âge, se souvient Marianne Klees, la fillette ressemblait à un véritable petit canard. Elle était très maladroite, portait ses habits à l’envers, inversait ses souliers, coloriait en dépassant les lignes et était même incapable de pédaler ou de suivre un rythme». Si son père, brillant intellectuel, a mis du temps à accepter ses difficultés d’apprentissage, sa mère, alertée par ces signes précurseurs, a encouragé sa prise en charge par la logopède, tout en l’inscrivant, parallèlement à des cours de peinture, à des cours de solfège en guise d’exercices. Ces activités étaient supposées être valorisantes pour la fillette, mais son intégration ne se faisait pas, malgré une volonté acharnée d’y arriver : elle oubliait rapidement ce qu’elle avait appris et en souffrait sans pouvoir y remédier. Une enfant maladroite Mais c’est à partir de l’âge de 6 ans, lors de l’apprentissage de la lecture, que le problème de Michèle a pris de l’ampleur. Tout aussi intelligente que ses camarades, elle n’arrivait pas à acquérir et à développer, comme ils le faisaient, les habiletés de lecture et d’orthographe. Elle tenait mal son crayon et son écriture était trop grande, pointue, hachée. Elle inversait les lettres, collait les mots, sans distinction des articles ou des apostrophes, et n’allait pas à la marge, donnant à sa présentation une allure désordonnée. Elle était même incapable de recopier correctement son prénom. Et l’orthophoniste de préciser que pour un dyslexique, les lettres comportant des obliques, comme la lettre M, sont plus difficiles que les autres. Par ailleurs, retenir les jours de la semaine, les mois de l’année, mais aussi les moments de la journée représentait pour Michèle une difficulté majeure, car la fillette était incapable de s’organiser dans le temps, de même qu’elle ne parvenait pas à organiser son travail, souffrant de difficultés d’orientation et de latéralisation. Quant à ses difficultés de parole et de langage, elles se traduisaient par l’inaptitude à trouver le mot recherché et par des phrases parsemées d’hésitations et de mots comme «euh», «truc», «machin»… alors que la lecture à voix haute, devant la classe, représentait pour l’enfant une véritable torture. Michèle n’était ni stupide ni paresseuse, et pourtant les efforts qu’elle faisait n’aboutissaient à aucun résultat. «Si la lecture est un processus naturel dans un enseignement ordinaire, il n’en est pas de même pour l’enfant dyslexique», remarque Marianne Klees. Aussi, insiste-t-elle sur la nécessité d’appliquer quelques principes de base pour apprendre à lire et à écrire à l’enfant dyslexique, de reconnaître et de respecter ses difficultés en adaptant des stratégies sur mesure et en enseignant de manière mutlisensorielle, selon une séquence progressive. Il faudra par exemple commencer par enseigner à l’enfant les voyelles, puis les consonnes, au moyen de lettres mobiles, tout en associant chaque lettre à un geste ou à un signe, afin d’éviter la confusion entre les lettres phonétiquement proches. «Il est évidemment important, note l’orthophoniste, de faire écrire l’enfant en même temps que lui apprendre à lire, et de lui présenter des mots qui se lisent comme ils s’écrivent, avant de lui demander de lire ou d’écrire les mots irréguliers. Par ailleurs, ajoute-t-elle, ce n’est qu’une fois la voie gestuelle bien intégrée que l’on peut commencer à faire des dictées à l’enfant». Parallèlement, il serait bon que l’enfant dicte lui-même des mots à l’enseignant, car il prendra plaisir à relire ses propres idées et en retiendra les mots plus facilement. Et d’ajouter que l’enseignant ne doit pas faire deviner l’enfant, mais lui montrer comment un mot se prononce et s’écrit, car ce dernier ne peut deviner seul le principe de la fusion syllabique. Recommencer parfois à zéro À partir de 8 ans, le langage écrit s’installe finalement chez Michèle. Les fautes sont encore nombreuses, mais l’enfant n’omet plus de lettres ou presque pas. Cependant, explique l’orthophoniste, l’enfant ne parvient pas au sens abstrait ou sacré d’un mot, mais se limite encore à son sens concret, comme tout enfant dyslexique. C’est pour l’aider à capter ces mots abstraits, mais aussi les mots vides de sens, comme les prépositions, qu’il est important de partir du langage écrit pour arriver au langage oral. «Par ailleurs, ajoute Mme Klees, des exercices de motricité comme la lecture rythmée, durant quelques lignes, peuvent s’avérer très utiles dans la reconnaissance des sons par l’enfant dyslexique. Une lecture qui devra se faire de manière artificielle, en prononçant les lettres muettes, afin d’éviter l’omission de mots ou de syllabes et qui entraînera une amélioration de la lecture et de l’orthographe de l’enfant». Parallèlement, il est nécessaire de favoriser certaines lectures enfantines où les mêmes mots sont fréquemment répétés, entraînant chez l’enfant dyslexique l’installation d’un automatisme au niveau des mots fréquents. Le langage oral de la fillette se transpose, vers 9 ans, avec un certain automatisme et moins de réflexion et de lenteur. À ce stade, note la logopède, il a fallu passer du langage oral au langage écrit, par une analyse de sens découlant de l’analyse phonologique. «Aussi, a-t-il été nécessaire de procéder, avec Michèle, à des exercices de sensibilisation à l’écoute et de répétition des phrases». Mais comme tout enfant dyslexique, Michèle montre une grande lenteur d’apprentissage et sa mémoire n’est pas fiable. Il faut parfois tout recommencer à zéro et effectuer de fréquentes révisions qui risqueraient de la décourager si elles ne sont pas accompagnées d’encouragements. Vers l’âge de 11 ans et demi, Michèle n’utilise toujours pas la ponctuation et omet de mettre des majuscules, alors qu’à 13 ans, ses progrès sont remarquables, malgré des séquelles de retard dans le langage chez la jeune fille. Michèle a aujourd’hui 19 ans. Après avoir passé toute son enfance dans une école ordinaire et suivi une rééducation une fois par semaine, car son père refusait de la mettre dans une école spécialisée, elle a été contrainte de redoubler une classe dans le secondaire. Mais elle n’a pas encaissé ce redoublement qu’elle a vécu comme un échec, car elle sentait qu’elle n’était pas digne de son père. «Si les difficultés phonologiques s’atténuent avec l’âge, conclut Marianne Klees, elles persistent néanmoins». C’est la raison pour laquelle l’orthographe spontanée restera toujours en deçà de l’orthographe réflexive. En effet, l’enfant dyslexique ne pourra jamais faire confiance à ce qu’il écrira spontanément, même après avoir lu et vu les mots de très nombreuses fois. Parler à l’enfant dyslexique, l’encourager, le rassurer et surtout éviter de le sanctionner sont à la base de toute intervention. Une intervention qui se doit d’être précoce et spécialisée, car la dyslexie n’est pas un trouble qui passe avec l’âge. La souffrance de Michèle qu’elle traîne encore à l’âge de 19 ans en est l’exemple le plus concret, à l’instar de tous les dyslexiques.
C’est dans le but d’éveiller les parents, éducateurs et directeurs d’établissements scolaires aux problèmes de la dyslexie et de la dysorthographie, troubles de l’acquisition de la lecture et de l’écriture, que la psychologue et orthophoniste belge Marianne Klees, professeur honoraire à l’université libre de Bruxelles et expert conseil du CLES (Centre libanais pour...