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Actualités - REPORTAGES

urbanisme - Dépoussiérer une législation remontant à 1933 - Un projet de loi moderne pour la sauvegarde - du patrimoine architectural

Une première du genre depuis sept décennies. Mais aussi une idée révolutionnaire : le transfert d’exploitation est mentionné pour la première fois dans un texte officiel. Le ministre de la Culture, Ghassan Salamé, a soumis au gouvernement un projet de loi pour la sauvegarde et la gestion du patrimoine archéologique, architectural et historique. Une première, en effet, puisque les lois libanaises protégeant le patrimoine archéologique et architectural remontent à 1933 ! Et ne couvrent que les vestiges et les bâtiments antérieurs à 1700. En 1996, la décision du ministre Michel Eddé de placer «sous étude» les maisons répertoriées par le groupe de l’Apsad – en attendant qu’une loi vienne planifier les choses – a été le premier pas vers la recherche d’une solution. Le projet Salamé comporte des dispositions administratives, techniques et institutionnelles pour la sauvegarde et la gestion des sites archéologiques et du tissu architectural présentant un cachet historique (article 1). - L’article 2 propose d’étendre la loi aux biens-fonds construits ou non, intégrés au sein des ensembles classés et donc soumis à des lois particulières, mais aussi à des droits de préemption et de passage. - Article 3 : pour les raisons citées dans les articles 1 et 2, et après délibération avec la Commission du conseil supérieur de la Culture, le ministre détermine la configuration des parcelles à sauvegarder. Celles-ci seront placées dans un cadre légal «transitoire» qui précisera certains points sur leur réaménagement, leur (re)construction, leur restauration ou encore leur démolition. La configuration issue de tout arrangement se trouvera consignée ou relevée dans les bordereaux du cadastre. L’ordre provisoire d’écriture court sur deux ans, renouvelable une seule fois. La mention sera biffée si le décret organique définitif (par opposition au transitoire) n’est pas promulgué. Il s’agit ici de l’article 4, règlement n°1, qui stipule que le réaménagement du complexe à protéger découle d’un décret pris après avis du ministère de la Culture et de la direction de l’Urbanisme, mais aussi après une enquête menée sur le terrain par une commission d’architectes et de spécialistes. - L’indice d’exploitation est abordé dans les articles 5 et 6. Pour comprendre cette notion, il faut savoir que chaque terrain au Liban est affecté d’un coefficient d’exploitation (allant de 1 à 6) qui détermine, en fonction de la zone, la surface à bâtir. Une personne qui possède un terrain de 1 000 m2 dans une zone à coefficient 3 par exemple, peut construire 3 000 m2. Mais s’il existe déjà sur cette parcelle un bâtiment «classé», donc «intouchable» totalisant 1 500 m2 de surface bâtie, le propriétaire peut invoquer son «droit de construire» les 1 500 m2 restant de son coefficient d’exploitation et les vendre à un promoteur. Le texte prévoit également ce qui suit : - Dans le cas de travaux de restauration, les ayants droit seront exemptés de la taxe municipale (cela peut aller de cinq à dix ans, suivant le volume des travaux), de l’impôt prélevé sur la valeur locative ainsi que du droit fiscal à acquitter pour le permis de construction ou de rénovation. - L’article 11, assez flou, stipule que les ayants droits pourront bénéficier de l’aide de la «caisse indépendante pour les vestiges et les entreprises culturelles du patrimoine». - Le ministère planchera sur le plan détaillé de tous les complexes et bâtiments à sauvegarder : hauteur, agencements architecturaux, conditions de restauration, de démolition, ou de travaux exécutés à l’intérieur ou en façade mais aussi les matériaux à utiliser… Tout sera inventorié et noté. Outre les permis de construction, de ravalement de façade et de démolition délivré par le mohafez ou la municipalité, les ayants droit des bâtisses «classées» ne pourront entreprendre des travaux sans un permis délivré par le ministère de la Culture. Parallèlement, un dédommagement financier est prévu pour toute démolition imposée par le ministère. Dans le cas, par exemple, d’une ancienne demeure dénaturée par un rajout (un ensemble de maçonnerie), le ministère peut obliger le propriétaire à démolir. - Le ministère ou la direction de l’Urbanisme peuvent entreprendre à tout moment une inspection afin de s’assurer que le bâtiment classé ou placé «sous étude» est conservé en bon état. Toute personne qui ne se conforme pas aux dispositions relatives à cette loi sera poursuivie en justice et/ou condamnée à payer une amende. L’article 15 stipule une peine allant d’un mois à un an de prison ; et une amende d’un million à 10 millions de livres libanaises. De même, les ministères de la Culture et des Travaux publics ainsi que la direction générale de l’Urbanisme pourront faire appel aux forces de l’ordre pour prévenir ou réprimer toutes les formes de dégradation des biens-fonds répertoriés. - Dans un autre chapitre (article 9), et toujours en cas de déprédation d’un bien-fonds, le ministre peut obliger l’ayant droit à des travaux de consolidation ou de restauration, sous la supervision d’un ingénieur. En cas de dérobade, le ministère effectuera lui-même les travaux, en les mettant à la charge du propriétaire ou alors en réquisitionnant les biens-fonds. - Article 12. Si le propriétaire d’une demeure ancienne se lance dans une rénovation, il est autorisé à négocier un nouveau loyer ou à renvoyer son locataire, après paiement des indemnités (une somme proportionnelle à la valeur locative). - Article 13. Deux listes seront dressées. L’une regroupant les «sites classés», l’autre les ensembles ou biens-fonds placés «sous étude». Les deux listes déclineront la configuration de chaque biens-fonds. Une fois par an, paraîtront dans le Journal Officiel les indications et les informations des biens-fonds enregistrés dans ces deux listes. En cas de vente d’un bien-fonds, le ministre doit être informé du nom de l’acheteur et ce dans le délai des 15 jours qui suivent la signature de la vente. - Article 14. Dès la publication des articles 3 et 4 dans le Journal Officiel, les administrations publiques devront s’abstenir de s’approprier un bien-fonds situé dans la région placée sous cette nouvelle loi. Mais elles devront aussi se garder de délivrer des permis de construction ou de démolition si elles ne reçoivent pas l’approbation du ministère de la Culture et de la Commission du conseil supérieur dudit ministère. Ce projet loi, qui donne un droit presque discrétionnaire au ministre, suscite plusieurs remarques des juristes et des ingénieurs architectes. Une idée à creuser «C’est un projet de loi avant-gardiste, puisqu’il s’agit pour la première fois de protéger des ensembles immobiliers», soulignent les juristes. «Cependant, la structure qu’il offre est trop simple. Elle peut toutefois servir de base à une étude plus approfondie qu’il faudrait mettre au point, car il y a nombre de modifications à prévoir et de suggestions à faire». Ainsi en est-il de l’article 1 sur la sauvegarde des sites archéologiques ou du tissu architectural présentant un cachet historique. «Le projet de loi concerne les ensembles immobiliers, alors qu’il devrait englober des biens-fonds individuels mais aussi des sites naturels», disent ces spécialistes. «Cette loi décline des délais excessifs», ajoutent-ils. Tant que la décision est «temporaire», elle stipule qu’un bâtiment peut être mis «sous étude» durant quatre ans et demi. «Cela peut porter préjudice à l’ayant droit qui verrait son bien gelé durant toute cette période. Il faudra à cet effet soit trouver un système d’indemnisation, soit réduire les délais». Ces experts s’interrogent par ailleurs sur la structure de la Commission du conseil supérieur de la Culture, son mode de désignation et sa forme juridique. D’autant plus qu’aux côtés du ministre, elle assumera un «pouvoir décisionnel très grave». De qui sera-t-elle constituée ? Sera-t-elle compétente ? Ses décisions seront-elles objectives ? Dans ce pays où les intérêts privés s’immiscent dans les affaires politiques, sera-t-elle soumise à des pressions politiques ? C’est l’inconnu. En ce qui concerne l’«indice d’exploitation», les juristes considèrent que les textes sont à «remodeler entièrement». Le projet de loi ne définissant pas les régions de transfert, la procédure est considérée «inadéquate». «Il faut penser au critère du transfert et à ses organismes. Il n’est pas logique de transposer la même surface dans une autre zone, puisque cette même superficie peut avoir une valeur différente d’une région à l’autre». Les régions doivent donc être «prédéfinies» par la loi et non pas «définies ultérieurement», on ignore quand, par la direction de l’Urbanisme. Par ailleurs, on note qu’il existe deux références distinctes : le ministère et la direction de l’Urbanisme. Il y a là un partage des compétences qui pourrait alourdir ou faire traîner les procédures, aux dépens de l’ayant droit. «Il faut qu’il y ait une seule autorité de recours pour traiter l’ensemble». De même, le circuit est limité au domaine administratif. Si un ayant droit veut s’opposer à une décision, il ne peut faire appel à la justice, prévoit le projet de loi : «Or il faudrait qu’il ait une voie de recours», soulignent encore les juristes. Halte à l’asphyxie Abordant le chapitre du «droit de construire», l’architecte Ziad Akl, doyen de l’Institut d’urbanisme de l’Alba ( IUA) et membre du Conseil supérieur de l’urbanisme, considère que l’adoption de cette loi est la solution pour stopper l’érosion du patrimoine architectural. «Les ayants droit refusent d’assumer seuls la sauvegarde de cet héritage et l’État n’a pas les sommes nécessaires pour assurer son entretien, il fallait bien arriver à un compromis», dit l’architecte Akl. «Le transfert d’indice permet aux propriétaires de vendre le droit de construire lié à leur parcelle à des promoteurs qui en auraient besoin pour leurs projets». Il souligne toutefois que «l’indice de coefficient» ne doit pas dépasser «un plafond de 20 %» et devra être transféré «en priorité au quartier lui-même, ou alors à l’agglomération de Beyrouth, plus précisément aux zones présentant des infrastructures suffisantes et, par conséquent, pouvant accueillir des surfaces bâties». Ces régions seront «déterminées» dans le cadre d’une révision du plan directeur de la ville de Beyrouth. «Mais, signale M. Akl, le report de densité est une réédition de la loi Murr. Or les effets de cette loi n’ont pas été particulièrement bénéfiques sur l’environnement urbain. Ainsi, la majoration de 20 % en ville pourrait densifier des zones urbaines qui ne sont pas prêtes au niveau des infrastructures. D’autant plus qu’avec ses densités actuelles, Beyrouth arrive à la saturation de ses réseaux». Toujours selon le doyen Akl, une révision de l’étude d’occupation du sol est nécessaire pour répartir le transfert d’une manière rationnelle. La distribution se fera suivant des critères déterminés : l’adaptation des infrastructures ; l’équilibre des densités et les besoins de la ville. «On réaliserait ainsi deux objectifs au lieu d’un : la préservation du patrimoine architectural d’une part ; l’ordre et la régulation urbaine de l’autre. Les outils réglementaires de cette mesure sont une révision du plan directeur de la ville de Beyrouth en fonction de l’ensemble de ces données. Mais dans ce contexte, le volontarisme de l’État est la condition sine qua non pour l’exécution des décisions». Donnant à titre d’exemple le bâtiment abritant l’hôtel Albergo, M. Akl propose par ailleurs une «loi de compensation» qui autoriserait le rajout d’un étage pour les immeubles datant des années trente et comportant déjà trois niveaux. «L’opération serait évidemment menée dans un cadre de servitudes sévères et rassurantes». «On ne pourra jamais tracer un plan d’urbanisme si on considère que le coefficient de construction est un droit acquis», rétorque M. Assem Salam, ancien président de l’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth. «Le droit de propriété est un droit constitutionnel mais il est accordé par l’État selon les lois qu’il établit. Renoncer à ce principe entraînerait l’annulation de tout plan urbain. Or il faut minimiser les dégâts en respectant les réglementations établies par la direction de l’Urbanisme qui, elle, fixe la fonction et la densité de l’occupation du sol», ajoute M. Salam. Il rappelle qu’un plan directeur a été établi en 1954 pour l’ensemble municipal de Beyrouth, fixant le coefficient de construction de 2 à 6, suivant les zones. «Chaque dix ans, le plan directeur doit être révisé, parce que les données changent avec le développement d’une ville. Le coefficient de construction peut alors être augmenté ou être réduit et aucune loi ne prévoit une indemnisation à cet effet. Or, depuis bientôt 50 ans, l’État n’a pas eu le courage de reconsidérer ces indices. Le résultat est là qui nous prend à la gorge : c’est l’asphyxie totale. Sans compter les 40 % de biens-fonds ou parcelles non construits encore dans le Beyrouth municipal ! Sans penser surtout à cette infrastructure datant de plusieurs décennies et qui n’en peut plus d’absorber une telle densité. C’est la saturation. En bref, le coefficient c’est l’État qui le fixe ; et dans l’intérêt public, il a l’obligation de le réduire. S’il veut faire le jeu des spéculateurs fonciers en instaurant le droit de transfert, il annihilera tout concept d’urbanisme. Mais à supposer qu’il y ait transfert. Quels sont ses mécanismes ? Se fera-t-il au sein d’une même zone ? Et, dès lors, nuira-t-il à l’environnement d’un tissu urbain qu’on veut préserver ? Se fera-t-il d’une zone à une autre ? Alors il sera difficile de l’appliquer en raison des prix des terrains qui varient d’une région à l’autre. De même, vu les fluctuations du marché, si l’ayant droit n’arrive pas à vendre son coefficient ou le vend à un prix très bas, il va se considérer lésé ce qui est contraire au principe de l’indemnisation. À chercher, on trouvera toujours une faille. Ailleurs, partout dans le monde, c’est le promoteur qui paye à l’État quand il dépasse le coefficient 1. Au Liban, ils veulent non seulement faire cadeau de la plus-value sur le terrain, mais aussi exempter l’ayant droit de taxes municipales et d’impôts ! Alors que la conservation est une plus-value du terrain. L’étude doit être gérée par la direction de l’Urbanisme qui utilisera le droit de l’État : un bâtiment classé est classé. Point à la ligne. La question ne devrait pas être discutée», conclut M. Salam.
Une première du genre depuis sept décennies. Mais aussi une idée révolutionnaire : le transfert d’exploitation est mentionné pour la première fois dans un texte officiel. Le ministre de la Culture, Ghassan Salamé, a soumis au gouvernement un projet de loi pour la sauvegarde et la gestion du patrimoine archéologique, architectural et historique. Une première, en effet,...