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Actualités - OPINIONS

Ministère amer

Au sein de tout gouvernement, dans un État de droit, indépendant, souverain, mature – un État qui jouit de son entière libre décision – il y a des ministères principaux et des ministères de première catégorie. Le ministère de l’Éducation nationale est un ministère de première catégorie. Respectable et respecté. Un poste-clé, que l’on donne généralement à une femme ou à un homme de grande compétence. Au Liban, les ministères principaux n’ont pratiquement aucune espèce d’intérêt. Les Affaires étrangères, par exemple, sont aliénées à la Syrie, la Défense est déliquescente et la Justice carrément inexistante. Quant à l’Intérieur, il reste fonction de plusieurs paramètres abscons et ubuesques : l’atavisme, l’hérédité d’Élias Murr, les desiderata d’une grande décideuse ou d’une pathétique troïka, la tête du contrevenant, etc. Ne reste plus donc au pauvre Libanais que d’espérer, pour prétendre à un quotidien décent, des ministères de première catégorie impeccablement gérés et loin de toute influence nauséabonde. En tête desquels vient, tout naturellement, le ministère de l’Éducation nationale. Doublé, qui plus est, de celui de l’Enseignement supérieur. Or, trois fois hélas... Petit jeu à l’intention de ceux, de plus en plus nombreux, qui préfèrent désormais en rire, jaune, que d’en pleurer : Qui collectionne les promesses faites aux citoyens libanais et jamais tenues ? Qui a promis de modifier les modalités d’examens, les bonifier ? Qui fait en sorte que le niveau des écoles publiques baisse, chaque année un peu plus – parce qu’il ne leur donne pas les moyens d’avoir le minimum en matière de technologies ou d’assurer l’enseignement des langues vivantes ? Qui veut se débarrasser du brevet, et permettre ainsi à n’importe quel élève de 3e de passer en 2nde ? Qui veut avoir un droit de regard – biaisé évidemment –, et de veto, sur les programmes scolaires ? Qui parle de panarabiser ces programmes-là, enlevant au Liban une de ses très rares dernières vertus : l’exception éducativo-culturelle dans une entière région ? Qui a promis de faire en sorte que les monstrueuses et énormes cotisations du secteur privé à la Sécurité sociale – des cotisations dont ne profitent même pas les contractuel(le)s – soient réduites et n’a pas tenu parole ? Qui ne bronche pas d’un cil à la vue de l’état déplorable des écoles publiques ? Qui ne fait rien pour que les élèves cessent d’aller à l’école au mieux un jour sur deux par manque de place ? Qui n’applique pas la loi – et pourtant elle existe – de l’enseignement obligatoire à tous jusqu’à la 6e ? Qui ne parle pas un traître mot de français ou d’anglais ? Une réponse à tout cela. Une seule : Abdel-Rahim Mrad. L’homme est peut-être parfait, irréprochable, ce n’est pas de lui qu’il s’agit. Mais de l’homme politique. Du ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Qui avait pondu, entre autres perles, le 12 mai dernier, le jugement suivant – c’était l’époque de la crise de la fusion des différentes sections de l’Université libanaise : «Ce qui a motivé la décision du Conseil des ministres, c’est le fait que certaines universités se singularisent par leurs mouvements estudiantins et leurs grèves. Il faudrait que le corps estudiantin soit interactif, qu’il adopte la pensée unique. Il faut éviter qu’il y ait deux mentalités différentes». Superbe. Même Ceaucescu n’y aurait pas pensé. Et pas plus tard que ce week-end, le même Abdel-Rahim Mrad a estimé que «la grève est un moyen négatif pour exprimer ses revendications. Les étudiants vont gêner leurs camarades qui veulent réussir», a-t-il, encore une fois, osé. Quant à son collègue à la Défense, Khalil Hraoui : «La rue n’est pas aux étudiants, mais aux citoyens». Un bijou. Et n’importe quel commentaire serait et trop facile et bien superflu. Plus personne aujourd’hui au Liban ne demande un remaniement ministériel. Sachant pertinemment que cela ne servirait à rien. Que ce sont les mentalités, la praxis politique qu’il faudrait changer. Mais il y a des urgences. De l’indispensable rafistolage, de la rustine. Le ministre de l’Éducation nationale, le seul à fédérer autour de lui une presque parfaite unanimité, doit partir. Et c’est à son tuteur – c’est-à-dire l’un des trois présidents, Lahoud, Berry ou Hariri, qui puisqu’ils ont tous fini par faire leur, plus ou moins publiquement, le statement ultra-clientéliste de Sleimane Frangié – de le remplacer dans la semaine. Puisque même ses silences, à Abdel-Rahim Mrad, sont coupables. Que l’on se foute royalement du présent des adultes libanais est une chose. Faire sombrer l’économie de tout un pays, ou aliéner sa souveraineté, est également une chose. Mais hypothéquer l’éducation et la culture – l’avenir – des petits et des jeunes en est une autre. Inacceptable. Partez, Monsieur Mrad.
Au sein de tout gouvernement, dans un État de droit, indépendant, souverain, mature – un État qui jouit de son entière libre décision – il y a des ministères principaux et des ministères de première catégorie. Le ministère de l’Éducation nationale est un ministère de première catégorie. Respectable et respecté. Un poste-clé, que l’on donne généralement à une...