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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Psychanalyse et politique : chercher le lien - Chawki Azouri : En chacun de nous, dort un King-Kong

Psychanalyse et politique : chercher le lien. Et le trouver. Une connexion éventuelle, et puis, sans doute, une interdépendance. Connexion et interdépendance tantôt difficiles à cerner, tantôt tellement évidentes, tellement prégnantes, qu’on ne les voit même pas. «La meilleure cachette : sous la lumière», dit-on. Soit. Psychanalyse et politique, psychanalyse et actualité, psychanalyse en plein dans l’actualité... Chawki Azouri pense qu’un psychanalyste invité par exemple sur un plateau de télévision pour gloser et commenter l’actualité, «eh bien, c’est réducteur». Certes. Sauf lorsqu’il vient éclairer cette actualité – tout comme le feraient un sociologue, un politologue, un économiste, un scénariste même. Et c’est ce que ce psychanalyste libanais qu’on ne présente plus a fait pour L’Orient-Le Jour. C’est-à-dire que tout en s’employant à trouver ce lien – parce qu’il existe bel et bien – entre psychanalyse et politique, il a éclairé l’actualité post-11 septembre que l’on connaît. Essayé de répondre aux questions que tout un chacun se pose et les appréhensions que tout un chacun vit, plus ou moins difficilement, depuis l’écroulement en direct des Twin Towers. Liban, totems et tabous... Chawki Azouri éclaire, d’abord, la Journée de la SLP, parle de cette nécessaire transmission, aux profanes, aux néophytes, de la psychanalyse. Pour que cette dernière ne finisse pas par sombrer dans le plus pur occulte. Difficile de rentrer dans le vif du sujet, de trouver le lien : psy et politique... «Non. On est en plein dedans. Parce que la question est simple : qu’est-ce qui spécifie le politique sinon le lien social entre les individus ?» Ce rapport à l’autre, ce lien social dont vous parlez, est valable pour tout et pour tous, il ne concerne pas uniquement le politique. Vous l’avez avec votre plombier, votre avocat, votre boucher... «Non. Parce qu’en ce qui concerne le politique, il y a une relation de pouvoir. Comme entre le magnétiseur et le magnétisé, l’hypnotiseur et l’hypnotisé, le psychanalyste et son patient, il y a un rapport de pouvoir entre un homme politique et un citoyen». La dépendance entre ces deux derniers existe selon vous ? «Bien sûr. C’est un lien de sujétion. Le citoyen est d’une certaine façon assujetti au pouvoir de l’homme politique – pour ne pas dire à l’homme politique lui-même». Comment un psychanalyste libanais appréhende la politique au Liban ? Comme ses collègues étrangers ? Ou bien les spécificités énormes de «la» politique telle qu’elle est pratiquée ici font que l’on envisage différemment «le» politique ? «Le psychanalyste libanais qui veut s’interroger sur le politique au Liban est dépendant de la politique pratiquée, une politique, elle aussi, à la libanaise. De laquelle la dimension noble est réduite. Avant la guerre, le pays fonctionnait comme n’importe quel pays étranger. Sauf que la guerre a ramené le pays au fonctionnement en hordes primitives. Les hordes primitives, pendant la guerre, c’étaient des groupes ou groupuscules fondés, en apparence, sur une conviction, une idéologie, et qui se sont avérés, à terme, ne répondre à aucune idéologie, à aucune politique». Des exemples ? «La guerre entre chrétiens, à la fin. Elle a montré que la guerre civile au Liban n’était ni une guerre religieuse, ni une guerre idéologique, ni une guerre politique. Que rien n’avait de sens. C’était une guerre fratricide et mortifère». Les hordes primitives, c’est comme les meutes animales... «En un peu plus évolué tout de même... Bref, à cette notion darwinienne, Freud est venu ajouter un mythe qui n’a aucune trace anthropologique, aucune validité universelle, mais qui a fonction de vérité. Un jour, révoltés par la toute-puissance du père qui possédait toutes les femmes, toutes les richesses, les fils ont décidé de l’assassiner pour profiter de toutes ses prérogatives». Nous sommes en plein dans le politique. «Les fils l’ont assassiné puis mangé, incorporé : ils voulaient tous occuper sa place, avoir son énergie, etc. À ce moment-là, au lieu de fonctionner comme le père, la culpabilité les frappe, et au lieu de posséder toutes les femmes du groupe, ils se l’interdisent et instaurent l’exogamie. Ils vont énoncer l’interdit de l’inceste, et en même temps celui du régicide et du parricide, et instaurer le totem. Qui va devenir tabou. C’est le début de l’humanité qui commence, pour Freud». Pour en revenir aux hordes primitives libanaises pendant la guerre ? «Ça ce n’est pas typique du Liban, mais de tout pays qui cesse d’être un État de droit. Du fait de la guerre, d’une situation donnée, d’une politique suivie qui pourrait résulter de cet État de non-droit né de la guerre». Mais l’État de non-droit n’est pas un fait immuable ? «Non, du tout. Mais je n’ai pas de solution, encore moins politique. Je pourrais imaginer dans la déduction de ce que je dis, une solution : faire comme les fils de la horde primitive... Assassiner le père et instaurer un régime démocratique. Avec des totems et des tabous». Tout est dit... 11 septembre et actualité Toutes les discussions, qu’elles soient de salons ou d’ailleurs, tournent depuis deux mois autour d’une seule et même chose : les terroristes qui ont été s’encastrer dans les tours du WTC, et l’attentat en lui-même. Le profil de ces «nouveaux» terroristes qui ne connaissent pas la drogue est fascinant : trois jours avant leur «mission», on dit qu’ils dînaient dans les meilleurs restaurants de Californie, buvaient le meilleur vin, avec femme et enfants... Comment ? Pourquoi ? «Je suis sous l’influence du meilleur article écrit depuis le 11 septembre, sur le 11 septembre : celui de Jean Baudrillard, “l’Esprit du terrorisme”. Il parle de comment la société occidentale, la société américaine, en sont arrivées à un tel degré de puissance qu’elles ont sécrété le ferment de leur propre destruction. C’est très loin de la théorie huntingtonienne du choc des civilisations, parce que Baudrillard estime que tout être humain ne peut supporter la vision ou l’idée d’une toute-puissance face à lui. On revient à la horde primitive. Il montre qu’il y a eu chez tout le monde une jubilation secrète lorsque les deux tours se sont écrasées. Fascination et en même temps répulsion, horreur». Le jeune Pakistanais qui manifeste contre les Américains habillé en Nike... «C’est ça. Et ce qui explique l’action des terroristes, c’est simple et très caractéristique : c’est leur relation à la mort. Ils sont tout à fait normaux, comme vous et moi». C’est terrifiant ça : n’importe qui peut donc faire ce qu’ils ont fait ? En chacun de nous il y a un King-Kong qui dort... «Absolument. Sauf que eux, ils n’ont pas peur de la mort». C’est l’islam qui fait que l’on n’ait pas peur de la mort ? «Non. Des chrétiens auraient pu le faire. Ils le faisaient au cirque, se laissaient bouffer par les lions, il y avait un sacrifice. Ce n’est pas une culture ou une religion qui peut expliquer ce rapport à la mort. Il est inimaginable, et encore indéfinissable : cela fait à peine deux mois, et c’est la première fois que l’on est face à un profil pareil, même s’il existait autrement chez les Palestiniens». Comment se motive-t-on pour aller mourir ? «Il y a la foi. Mais pas que cela. On ne leur a promis ni clé ni passeport pour le paradis. Ils sont très cultivés, et ont non seulement programmé leur mort et celle des autres, mais ils se sont attaqués à un symbole. Voilà pourquoi le 11 septembre est pour nous terrifiant, mais en même temps terriblement attracteur». Comment vous expliquez leur sang-froid, psychanalytiquement ? «Il y a deux choses qui terrifient l’être humain : la mort et le changement de sexe. Il a ces deux limites. L’explication peut se trouver là. Si vous n’avez plus peur de la mort, plus rien ne vous arrête. Pour eux, la mort est réversible avec l’ennemi. Et si on réfléchit un peu, il n’y a qu’en Occident où l’on ait peur de la mort – enfin, dans les cultures judéo-chrétiennes». Dans tous les cas, s’il s’avère de plus en plus clair, surtout au Liban, que les hommes politiques ont besoin d’être psychanalysés, il pourrait – plus sérieusement – être utile, pour ce pays, de penser à y politiser la psychanalyse. À bon escient...
Psychanalyse et politique : chercher le lien. Et le trouver. Une connexion éventuelle, et puis, sans doute, une interdépendance. Connexion et interdépendance tantôt difficiles à cerner, tantôt tellement évidentes, tellement prégnantes, qu’on ne les voit même pas. «La meilleure cachette : sous la lumière», dit-on. Soit. Psychanalyse et politique, psychanalyse et...