Rechercher
Rechercher

Actualités - BOOK REVIEWS

LIVRES - Vient de paraître aux Éditions Autrement, Paris - « Beyrouth, la brûlure des rêves », une ville terrifiante, tendre... en quête d’auteur

Beyrouth «ne ressemble plus à rien à force de s’être brûlée à l’imaginaire des autres», dit l’architecte Jade Tabet qui a dirigé la réalisation de l’ouvrage «Beyrouth la brûlure des rêves». Aux Éditions Autrement, Paris, et bientôt chez nos libraires. Le volume, qui déroule 221 pages, est illustré de croquis, type bande dessinée, signés Jacques Liger-Belair. Ils représentent des instants volés au grand chambardement et les quartiers réhabilités de Foch-Allenby et de la place de l’Étoile. En annexe, une chronologie synthétique de l’histoire de la ville, de ses lointaines origines, en l’an 5 000 avant Jésus-Christ, jusqu’à l’an 2000. Voilà donc Beyrouth démythifiée, banalisée. Il ne s’agit plus de chanter la ville sept fois détruite sept fois reconstruite. Ni de la représenter à travers des clichés, comme la place du farniente au Moyen-Orient autrefois alanguie dans ses habits de lumière avant de sombrer sous le déluge du feu et du fer. Ni de débattre des rêves réalisés ou avortés de la reconstruction. Ce n’est pas un livre d’histoire ou d’urbanisme. Mais une série de réflexions sur «une ville irresponsable où se croisent sans se voir les rescapés des utopies d’hier, les nostalgiques de l’islam, les nouveaux riches et les miliciens devenus hommes d’affaires». Un groupe d’architectes, d’historiens, de politologues, de sociologues et d’écrivains tissent une histoire dans laquelle le passé éclaire le présent. En se fixant un but : trouver ou «imaginer, avant qu’il ne soit trop tard, des espaces ouverts à la pluralité des cultures et des appartenances, où l’expression des différences ne vienne pas, à chaque fois, remettre en cause les bases de la convivance», explique Jade Tabet.Il n’en fallait pas beaucoup pour faire plancher sur le sujet Adonis, Amin Maalouf, Élias Khoury, Samir Kassir, Ahmad Beydoun, Fawaz Traboulsi, Omar Boustany, Bilal Nsouli, Jihane Sfeir Khayat, Christine Delpal, Jean Hannoyer, Élisabeth Picard et Maud Santini. Comme un personnage de Pirandello Beyrouth, miroir aux alouettes où le luxe masque une misère silencieuse. Laboratoire de populations, de cultures et d’expériences intellectuelles menacées par les possibles totalitarismes ou déchirés entre la globalisation uniformisante et les replis identitaires. Grammaire complexe d’une ville à différentes facettes, rétive rebelle, à l’ordre, à la rationalité, mais toujours fascinante, attachante. Et pour cause, vers elle ont convergé «les révolutionnaires du monde arabe et d’ailleurs, Égyptiens, Irakiens, Syriens, Yéménites, ceux du Golfe et de l’Arabie, mais aussi les déçus de toutes les révolutions avortées, les Brigades et les Fractions rouges du monde entier, les Zenkaguren japonais, et les aventuriers de tous bords : la guerre civile libanaise aura aussi son côté guerre civile espagnole, où les membres des brigades arabes et internationales mèneront les guerres de substitution qu’ils n’ont pas pu ou pas voulu entreprendre dans leur propre pays», écrit Fawaz Traboulsi. Aujourd’hui, après avoir été jusqu’au bout de ses fantasmes auxquels on l’a si souvent identifiée, au point de s’y détruire, «Beyrouth se retrouve désemparée, comme à la recherche d’un rôle que personne ne veut plus lui proposer. Elle ressemble de plus en plus aux personnages de Pirandello, une ville en quête d’auteur…», ajoute Traboulsi. Beyrouth de l’après-guerre ne sait plus où elle en est, ne sait plus que faire ou que dire de son conflit entre la culture du mythe et celle de la vie. «La première se nourrit de nostalgie, d’antiquités et d’oubli. La seconde se construit à partir de la mémoire critique et de la multiplicité des formes du vivre ensemble. Partant de l’hypothèse que la culture, l’écriture et les arts sont des formes de la vie elle-même, et non pas de simples expressions de la vie, elle tente de peindre une grande fresque pluraliste qui intégrerait les différences en s’appuyant sur l’expérience vécue et les pratiques de la quotidienneté. Ce conflit culturel se produit dans un monde où la perte des repères traditionnels, sacrifiés sur l’autel de la rentabilité économique, se conjugue avec un accouplement hybride entre une modernité devenue postmoderne et une obéissance aveugle aux valeurs religieuses et sociales les plus rétrogrades. C’est dans ce conflit que naît le nouveau Beyrouth : non plus une ville arrogante par son assurance, unifiée dans le mythe d’un passé idéalisé ou d’un futur projeté à l’image de ce passé, mais une terre de conflits, de turbulences et de rêves. Un lieu terrifiant et tendre, beau et laid à la fois», écrit Élias Khoury. Beyrouth, c’est aussi le camp misérable de Chatila. Jihane Sfeir-Khayat, jeune historienne, a interviewé des Palestiniens qui y sont nés et qui ont décidé d’y rester parce que ce camp est leur seule Palestine même si maintenant tous les crève-la-faim de Beyrouth (Syriens, Kurdes, Sri Lankais, et même Libanais) y sont installés. De l’autre côté de la barrière, les îlots rénovés du centre-ville, les quartiers bouillonnant de vie de la célèbre corniche, et au centre du spectacle, la boîte la plus branchée, la plus insolente : le B018 où l’on vient «s’ébattre frénétiquement» et rencontrer les filles. «Une charge érotisée label Méditerranée qui a vite fait de vous électriser ou de vous tétaniser», écrit Omar Boustany. «Aguicheuses, enjouées, bêcheuses, allumeuses, nombril découvert parfois, souvent. On se trémousse, on fait la moue, on allume la galerie. À la libanaise, même techno, c’est baroque !». Beyrouth qui parle de calumet de la paix depuis 1990, veut s’étourdir pour oublier «l’ordinaire de la normalité». Mais les clivages subsistent ! «Les habitants de Beyrouth continuent à discuter la question de savoir ce qu’ils sont réellement : Arabes ou non ? Libanais ou plus ? surhommes ou sous-monstres ?», note Ahmad Beydoun. Fragments d’une ville telle qu’elle est ressentie du dedans par les auteurs. Fragments d’un quotidien passé souvent sous silence. Morceaux choisis qui traitent de la vie dans ce qu’elle a de moins grandiose et donc de plus réel et qui demande autant d’implication du lecteur qu’il en a exigé de l’auteur.
Beyrouth «ne ressemble plus à rien à force de s’être brûlée à l’imaginaire des autres», dit l’architecte Jade Tabet qui a dirigé la réalisation de l’ouvrage «Beyrouth la brûlure des rêves». Aux Éditions Autrement, Paris, et bientôt chez nos libraires. Le volume, qui déroule 221 pages, est illustré de croquis, type bande dessinée, signés Jacques Liger-Belair. Ils...