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Actualités - OPINIONS

Les leçons du 11 septembre - Le Liban à la croisée des chemins

De par sa situation géographique particulière et ses rapports tumultueux avec l’histoire, le Liban est condamné pour survivre à faire preuve d’intelligence. Gérer la diversité qui le compose, demeurer en harmonie avec son environnement arabe et musulman sans pour autant se couper de l’apport culturel qui lui vient d’Occident, rejeter la tentation minoritaire que suggère l’exemple israélien, coopérer avec la Syrie voisine sans perdre sa spécificité et se trouver réduit au statut de «bantoustan» ne disposant que d’une autonomie relative, ne sont pas chose facile. La tentation est grande de vouloir réduire la complexité à quelques idées simples. Certains ont tenté de le faire en optant, en 1982, pour le modèle israélien et en proposant de transformer leur pays en base avancée de l’Occident. Aujourd’hui, ce sont d’autres Libanais qui, avec quelques idées simples, essayent de «syrianiser» le Liban espérant ainsi le «normaliser». Faire preuve d’intelligence consiste tout d’abord à prendre conscience de la réalité complexe du pays, de la gérer et de transformer la faiblesse inhérente à la diversité en facteur de force. Le Liban est aujourd’hui à la croisée des chemins. Il peut sombrer victime de ses contradictions internes ou tirer les leçons de son expérience et se positionner en tant que fer de lance du changement dans le monde arabe, retrouvant ainsi tout à la fois sa raison d’être dans cette partie du monde et sa spécificité originelle en tant que lieu privilégié de la convivialité islamo-chrétienne. Ce rôle est aujourd’hui essentiel à assumer. Pourquoi ? Parce qu’après le 11 septembre 2001, le monde a basculé dans la violence. Le conflit latent qui opposait le nord de la planète au sud, exclu des bienfaits de la mondialisation, a été porté en quelques heures à son paroxysme. Les États-Unis, seule puissance mondiale après la chute de l’Union soviétique, ont été atteints de plein fouet et ont découvert avec stupeur leur vulnérabilité. Le choc a été immense. L’énorme machine militaire américaine s’est mise en branle pour riposter. Et là, nouvelle découverte : l’ennemi à abattre est un ennemi «virtuel», qui ne dispose d’aucun territoire et n’a aucune armée. Dans sa lutte contre les États-Unis, cet ennemi «virtuel» a «militarisé» les instruments de la vie quotidienne. Il en a changé le mode d’application, les a «détournés» de leurs fins premières pour en faire des armes redoutables. Il n’a pas d’aviation militaire, mais dispose de toutes les flottes aériennes civiles du monde ; il n’a pas de territoire, de «sanctuaire», mais utilise ce territoire virtuel qu’est la Toile ; il n’a pas d’armée pour envahir les pays ennemis, mais recrute une diaspora établie dans les pays mêmes qu’il combat ; il n’a pas de sources de financement connues, mais bénéficie de toutes les subtilités financières mises au point par le système libéral. Bref, Ben Laden a «mondialisé» le terrorisme en le transposant au cœur même du système qu’il cherche à abattre. Le conflit entre le Nord et le Sud ne se déroule plus uniquement entre des régions géographiquement délimitées, il se situe désormais au cœur même des grandes métropoles du Nord. En 1957, dans une conférence au Cénacle libanais, Arnold Toynbee mettait les Libanais en garde : «À l’heure actuelle, les pays arabes sont devenus l’objet d’une lutte entre l’Amérique et la Russie pour déterminer le tracé, au Levant, entre ces deux empires mondiaux. Cette frontière doit-elle coïncider avec les limites, au Nord, de la Turquie et de l’Iran ? Ou doit-elle coïncider avec la frontière entre les croisés et les musulmans ? Évidemment, cette question est d’une importance capitale pour l’avenir du Liban. Si la frontière russo-américaine se stalibise aux limites septentrionales de l’Iran et de la Turquie, les perspectives pour le Liban sont assez favorables. Au contraire, si cette frontière s’établit sur la crête de l’Anti-Liban, (…) le Liban n’est pas viable». En 1958, cette frontière s’est établie sur les crêtes de l’Anti-Liban, et le pays a connu une première guerre. En 1975, cette frontière s’est déplacée sur les crêtes du Mont-Liban, et les Libanais se sont retrouvés au cœur même de l’affrontement entre l’Est et l’Ouest. Aujourd’hui, la situation est encore plus délicate. La guerre froide, qui avait dominé la seconde moitié de ce siècle, a cédé la place à un affrontement entre le Nord et le Sud qui ne s’exprime plus en termes idéologiques – capitalisme contre communisme –, mais religieux – chrétienté contre islam. Ce «choc des civilisations» signifie, s’il s’installe durablement, une condamnation à mort du Liban. Peut-on échapper à cette mort annoncée ? Certainement, à condition de faire preuve d’intelligence et de mettre à profit l’expérience de la guerre que nous avons vécue pour tenter de définir un nouveau projet culturel et briser ainsi le cycle stérile des régressions et des fuites en avant dans lequel le monde arabe est aujourd’hui engagé. Cette démarche est nécessaire, elle est déjà amorcée au niveau de la société civile et, notamment, de l’opposition qui cherche à intégrer les revendications essentielles qu’elle a déjà formulées dans une nouvelle vision du rôle que le pays est appelé à jouer. Reste à y impliquer nos dirigeants politiques dont la tâche essentielle devrait être aujourd’hui d’œuvrer à réhabiliter un État qui n’est plus désormais adapté aux nouvelles réalités internationales.
De par sa situation géographique particulière et ses rapports tumultueux avec l’histoire, le Liban est condamné pour survivre à faire preuve d’intelligence. Gérer la diversité qui le compose, demeurer en harmonie avec son environnement arabe et musulman sans pour autant se couper de l’apport culturel qui lui vient d’Occident, rejeter la tentation minoritaire que suggère l’exemple...