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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Lire en français et en musique 2001 - Andreï Makine : L’écriture, cette langue étrangère…

Stature impressionnante, visage taillé à la serpe, fin bouc blond et regard bleu clair, Andreï Makine, exilé des steppes slaves à Paris, compte aujourd’hui parmi les grands écrivains français. Et pour cause, il a raflé, en 1995, simultanément trois prix, pour son premier roman français – intitulé – Le Testament français : le «Goncourt», le «Médicis» et le «Goncourt des lycéens». Depuis ce livre, où il raconte comment un petit Soviétique transcende la dure réalité de son pays en rêvant, avec sa grand-mère française, à une France idéalisée, Makine mélange inéluctablement dans ses romans le monde occidental et l’univers russe. Auteur de sagas romanesques, sa prose poétique, son vocabulaire riche, son lyrisme – parfois emphatique – lui confèrent un statut particulier parmi les écrivains français contemporains, plutôt nombrilistes et au style moins élaboré. Mais ce n’est pas là sa seule particularité. Ce natif de Sibérie porte profondément en lui l’empreinte des régimes dictatoriaux. Un homme d’une grande politesse, très aimable, volubile et néanmoins opaque. Son attitude, toute en réserve, s’appuie sur des propos souvent énigmatiques. Rencontre, dans sa tanière parisienne au pied de la butte Montmartre, avec un spécialiste des circonvolutions verbales, qui sera l’un des invités majeurs du Salon «Lire en français et en musique 2001». Destins brisés Lorsqu’on lui demande de parler du parcours qui l’a mené des confins de l’ex-URSS, – où il est né et à vécu jusqu’à l’âge de trente ans – à Paris, Andreï Makine coupe court en assurant qu’«un écrivain n’a que son seul parcours littéraire». Celui-ci semble semé de vies douloureuses, de destins brisés par les guerres, l’esclavage, la terreur sous le régime soviétique… Du Crime d’Olga Arbélina (le récit nimbé de surréalisme de la vie d’une Russe blanche), à son dernier roman La musique d’une vie (le destin contrarié d’un musicien) en passant par Requiem pour l’Est (fresque romanesque qui dénonce la politique des deux grandes puissances, à travers les tribulations d’un médecin espion, de la Russie à l’Afrique), il y a là une vision à la fois sombre et désespérée de la vie. Mais en même temps, cette vision est imprégnée d’humanisme. La marque sans doute de la double culture de l’auteur. Fatalisme russe et humanisme français ? «Peut-être, mais Dostoïevski par exemple, qui est-il : un pessimiste noir ou au contraire un optimiste béat. Je ne le sais pas. De toute manière, se récuse Makine, tous mes romans n’ont pas une fin sombre. Le “Testament français”, par exemple, décrit un destin accompli. Celui d’un jeune qui s’ouvre à un monde poétique et qui devient écrivain. Qu’y-a-t-il de plus beau ?». Son histoire, en somme… «Si on veut». La grand-mère, née à Neuilly-sur-Seine, qui apprend à son petit-fils russe sa langue au moyen de coupures de journaux français, est-ce la sienne ? «Ne schématisons pas. Vous savez le personnage naît et, à partir de la cinquième page, il ne nous appartient plus. Si vous le laissez vivre, il se développe comme il veut. Et, en même temps, tout est toujours autobiographique. Un roman porte le tissu mental de son auteur. Flaubert disait : “Dans un roman, un écrivain est partout. C’est comme Dieu le père. Il est partout et il parle”». Andreï Makine a quelques recueils de poèmes en russe, mais il a toujours écrit ses romans en français. Est-ce que le fait d’écrire dans une langue étrangère confère à l’auteur une aura, une spécificité particulière ? «La langue littéraire n’a rien à voir avec la langue d’usage courant. Il s’agit tout simplement d’un mode d’expression différent. Lorsque nous écrivons, nous le faisons toujours dans une langue étrangère. En littérature, il n’y a pas de langue maternelle». l’élégance des Libanaises Pourquoi choisit-on d’écrire ? «Pour conjurer la mort», répond sans hésiter le romancier. «On écrit pour abolir le temps. Pour libérer l’homme, le lecteur, de la peur permanente de la mort. Parce qu’en créant un univers romanesque, l’écrivain est en train de dupliquer le monde. Écrire, c’est recréer le monde. L’entreprise est presque “antidivine”. Et en même temps, c’est au contraire à la suite de Dieu que nous le faisons. C’est là, à mon avis, la seule justification de la vraie littérature. Je ne parle évidemment pas du courant actuel de littérature “pansexualiste”. Une mode tellement infantile, s’insurge Andreï Makine. Je ne comprends pas les motivations de ces écrivains. À treize ans, on s’intéresse à la mécanique sexuelle, mais à quarante ans, s’ils en sont encore là, c’est qu’il y a un problème !». Ce n’est à l’évidence pas le sien. Andreï Makine s’intéresse pour sa part à l’homme, dans sa vérité profonde. Celle de l’âme, qui transparaît dans les moments de lutte, dans les tourments familiaux et historiques… «Ce sont les instants de paix dans les fors intérieurs, ces moments rares où l’homme peut enfin se dire : “Là c’est moi”, qui me passionnent», affirme-t-il. Cet écrivain à plein temps, qui n’est pourtant pas «un forçat de l’écriture», nourrit sa plume d’un foisonnement de sensations, d’observations et d’images du monde. De Beyrouth – qu’il connaît, pour y avoir participé il y a deux ans à un séminaire sur la langue – il a gardé l’image «d’un condensé de tant de choses. D’un harmonieux mélange oriental et occidental». Il évoque avec un enthousiasme non feint «l’élégance des femmes libanaises, qui rappelle celle des années trente à Paris, dans le sens où les femmes font l’effort de s’habiller, de cultiver leur féminité au lieu de se laisser aller comme en Europe à cette mode unisexe qui les dépare». Mesdames, ses lectrices, vous voilà prévenues…
Stature impressionnante, visage taillé à la serpe, fin bouc blond et regard bleu clair, Andreï Makine, exilé des steppes slaves à Paris, compte aujourd’hui parmi les grands écrivains français. Et pour cause, il a raflé, en 1995, simultanément trois prix, pour son premier roman français – intitulé – Le Testament français : le «Goncourt», le «Médicis» et le «Goncourt des...