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Actualités - CHRONOLOGIES

Ghassan Tuéni : Le salut de la presse par la culture

(...) Pour dire les choses plus crûment encore : la presse, qui se veut libre d’informer et surtout libre de penser et de s’exprimer, se voit assujettie – mais librement assujettie ! – à une télévision elle aussi, elle surtout surmondialisée. Elle nous devance chez les lecteurs, les conditionne tellement par ses images, qu’ils en perdent leur transparence, leur perméabilité à «recevoir», c’est-à-dire à lire, à accepter, à comprendre autre chose que ce qu’ils voient en permanence sur leurs écrans (...). Entre les directives d’autocensure – nous ne disons pas, pas encore les contraintes – imposées par Washington à la presse américaine, et le dogmatisme des terroristes, il y a à peine un pas (...). Ne pas vous le dire serait vous mentir. Nous succombons tous à un terrorisme intellectuel. Plus encore : à une terrorisation des consciences. Le plus grand succès de Ben Laden, ce n’est pas seulement d’avoir terrorisé, mais d’avoir semé les germes, d’un «contre-terrorisme», dans des sociétés qui s’enorgueillaient d’être les plus libres, les plus tolérantes, les plus ouvertes. (...) Pour une presse d’opinion, et même pour la presse d’information de qualité, comment pouvoir – quand la presse se mondialise – changer le pouvoir, c’est-à-dire le gouvernement d’une société et l’orientation de sa vie ? Plus encore, comment «changer la vie», l’état de la vie d’une société, son état tout court ? La presse n’est-elle pas tout à la fois l’expression de l’état de la société dont elle est issue, et l’expression de ses aspirations et de la culture qu’elle ambitionne ? Et, si l’on admet que la presse peut vraiment se mondialiser, peut-elle rêver de changer le monde ? Ou même tout simplement influencer ce que l’on appelle communément mais combien illusoirement «l’opinion mondiale» ? Autant de questions, que je n’invente évidemment pas, mais dont je me fais ici l’écho, afin que nous puissions en méditer ensemble (...). Professionnellement, je ne vois qu’une manière de sauver l’efficacité de la liberté : modifier ses intérêts et la direction de son action, sans renoncer à sa téléologie. La presse doit, pour progresser tout en se mondialisant, accentuer son intéressement dans les domaines sociaux, économiques, puis, surtout culturels. J’entends Kültür, dans son ample signification – au sens allemand du terme – qui culmine évidemment dans la culture politique. C’est ainsi que la presse écrite peut se dépasser, et se transfigurer. Elle devra pour cela revenir constamment aux sources de son inspiration, ranimer ses racines premières tout en tendant à assumer l’orientation du développement. Le développement humain autant que le développement socio-économique qui n’en est que la résultante. Seul un progressisme – je dis bien progressisme – culturel et social, puis évidemment économique peut devenir la planche de salut de la presse écrite. Et par-là, protéger nos sociétés contre leur écrasement par la mondialisation.
(...) Pour dire les choses plus crûment encore : la presse, qui se veut libre d’informer et surtout libre de penser et de s’exprimer, se voit assujettie – mais librement assujettie ! – à une télévision elle aussi, elle surtout surmondialisée. Elle nous devance chez les lecteurs, les conditionne tellement par ses images, qu’ils en perdent leur transparence, leur perméabilité à...