Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINIONS

Tourisme de crise -

Rafic Hariri est fatigué, on le comprend. Il a tellement avalé de couleuvres ces derniers jours qu’il en a attrapé une indigestion : on compatit. Il est dégoûté du métier de chef de gouvernement tel qu’il se pratique dans les républiques bananières, on ne poussera pas la compassion jusqu’à se préoccuper de sa pension de retraite. Ce qu’on ne comprend pas, c’est que le premier ministre puisse trouver et le temps, et l’envie, et la singulière audace d’aller tranquillement se dorer au beau soleil de Sardaigne alors que le Liban est noyé dans la nuit de l’arbitraire, alors que la légalité constitutionnelle et les libertés publiques sont elles-mêmes en vacances. En congé illimité. En exil ? Quand M. Hariri se morfondait encore dans le camp de l’opposition, il ne se faisait pas faute de reprocher au premier ministre de l’époque, Sélim Hoss, son laxisme face aux interventions occultes qui minaient – ou dévoyaient – l’action de son gouvernement. Il avait diantrement raison M. Hariri, et les électeurs ne tardèrent pas d’ailleurs à le lui montrer ; mais fait-il vraiment mieux quand, victime des mêmes agissements, il se hasarde à poser publiquement le problème pour, ensuite, lui tourner le dos? Car les manipulateurs de l’ombre, eux, ne se pressent pas devant les Clubs Med. Et la machine à broyer, lancée le 7 août en l’absence du chef du gouvernement qui visitait le Pakistan, continue de tourner à plein rendement. Dénoncées pour cause d’illégalité par le barreau – pourtant l’un des deux piliers du système judiciaire – les arrestations sans mandat sont maintenues et l’on nous promet même de nouvelles charretées de «comploteurs». Taxés de la même illégalité, considérés comme nuls et non avenus par le même barreau, les interrogatoires se poursuivent imperturbablement. C’est qu’elle a de la suite dans les idées, la Machine, et qu’en fait d’idées, elle va même jusqu’à innover : entre autres crimes imputés à certains prévenus, celui du refus de la présence militaire syrienne vient ainsi de faire son entrée dans l’arsenal juridique libanais. Pitoyable excès de zèle ou bien nouvelle et effrayante percée de l’État dans le domaine du totalitarisme, de l’absurde ? Cette trouvaille équivaut, en tout cas, à rassembler virtuellement sur le même banc d’accusation toute la masse de citoyens, toutes les personnalités politiques et morales – et non des moindres – qui, de fait, aspirent démocratiquement, comme le leur garantit la constitution, à un assainissement des relations avec Damas se concrétisant notamment par le départ des troupes syriennes : lui-même stipulé par l’accord de Taëf. Dès lors, on peut se demander si pour être logique avec elle-même et pour accueillir une telle foule de pensionnaires, l’Inquisition ne devra pas construire à la chaîne des cités-prisons. Que veut-on, à chacun sa reconstruction... Cela dit, M. Hariri, dans une nouvelle édition de la politique de bouderie pratiquée plus d’une fois dans le passé par les chefs de gouvernement mécontents, a-t-il simplement voulu accumuler les kilomètres par rapport à Baabda, ce qui indiquerait que les entretiens interprésidentiels de mercredi n’étaient pas en réalité aussi «excellents» qu’on s’est escrimé à l’affirmer ? Un pied au Sérail et l’autre dans l’opposition, comme l’illustre la présence massive de ses troupes au congrès national de jeudi, le premier ministre vient-il de s’inscrire aux abonnés absents en attendant d’y voir lui-même plus clair ? Redoute-t-il de nouveaux et graves développements dont il se figure qu’il n’aurait pas à porter directement le poids pour cause d’absence : corvée dont se chargeraient volontiers certains membres très zélés de son cabinet, quitte pour ceux-ci à dénoncer après coup les abus et à lancer des simulacres d’enquête ? Ces questions, l’opinion est en droit de se les poser. Et surtout de les poser aux dirigeants en exigeant des réponses fermes, car il est grand temps que dans ce pays on entreprenne de redonner quelque sens aux termes les plus frustes, les plus familiers de la vie politique. Par définition, un gouvernant est responsable de la manière dont nous sommes gouvernés ; il répond à tout moment de notre sécurité, de notre bien-être, pour ne pas parler de notre prospérité. Que cette liberté dans la sécurité ait été agressée, qu’elle continue de l’être tous les jours, ne rend que plus impérieux ce devoir de responsabilité active, de présence physique, de veille incessante, de mobilisation permanente, de continuelle remise en cause. Les gouvernants sont censés être avant toute chose les serviteurs du peuple, pour lesquels le moindre repos – celui du corps comme de l’esprit – devrait être inconcevable quand le simple citoyen, lui, est plongé dans les affres de l’inquiétude. Cette règle ne vaut pas pour le seul vacancier de Cagliari. Du président Émile Lahoud, l’opinion attend qu’il entreprenne d’expliquer, de s’expliquer. Il est devenu urgent pour le chef de l’État de redonner foi et confiance aux Libanais qui ont applaudi à son élection, de leur prouver concrètement qu’il œuvre à assurer la primauté de la loi et à édifier l’État des institutions. Plus que jamais en ces temps de chasse aux sorcières, le soldat président est tenu de démentir par ses actes les sombres pronostics de ceux qui, avec son avènement, ont craint la militarisation du système, c’est-à-dire la négation même du Liban. À Baabda, comme au Sérail et aussi place de l’Étoile, les Libanais doivent enfin trouver réponse à leurs interrogations angoissées. C’est leur dû, et ils jugeront sévèrement ceux qui leur auront refusé le devoir d’attention. La tranquillité des responsables passe après la nôtre. Et en temps de crise, le lit de camp leur sied mieux que le yacht ou la piscine.
Rafic Hariri est fatigué, on le comprend. Il a tellement avalé de couleuvres ces derniers jours qu’il en a attrapé une indigestion : on compatit. Il est dégoûté du métier de chef de gouvernement tel qu’il se pratique dans les républiques bananières, on ne poussera pas la compassion jusqu’à se préoccuper de sa pension de retraite. Ce qu’on ne comprend pas, c’est que...