Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

Interview - Le député de Tripoli, nouveau complice politique de Nassib Lahoud, répond à « L’Orient-Le Jour » - Ahdab : Le chef de l’État devrait maintenant - travailler pour s’assurer une « couverture » civile

Misbah Ahdab n’est pas un sunnite qui essaie de se rapprocher des chrétiens. Ou un sunnite qui fait désormais de la politique avec un maronite – Nassib Lahoud en l’occurrence. Ce n’est pas non plus que l’éternel rival d’Omar Karamé à Tripoli. Ou bien «l’ancien allié qui a changé de camp», comme certains semblent prendre plaisir à le répéter, de Rafic Hariri. Misbah Ahdab est un Libanais qui exerce à temps plein son métier de (jeune) député, d’homme politique. Jeune loup avec de l’ambition, et une ambition «désintéressée» qu’il avoue tellement simplement qu’elle en devient presque désarmante. Et il travaille, lui, pour le Liban. Du moins c’est ce qu’il dit. Sauf que tout porte à croire, à l’écouter parler, à revoir ses prises de position – notamment depuis près d’un an – que c’est tout sauf de la publicité mensongère. Et en répondant à L’Orient-Le Jour, le député de Tripoli et membre du bureau exécutif du Renouveau démocratique a été particulièrement mesuré. Une démarche étonnante, et intéressante, à l’heure de toutes les surenchères, de toutes les passions. «On entend tellement de slogans clinquants, et creux, alors…» Un simple «détail» : Misbah Ahdab est l’une des sept personnes à avoir voté, avant-hier lundi, contre l’amendement du code de procédure pénale… Walid Joumblatt dit de vous que vous êtes aujourd’hui la seule voix mahométane capable de prendre des positions courageuses. Nationales. Qu’est-ce que vous en pensez ? «Le Liban a connu suffisamment de déboires pendant et après la guerre. Et j’estime qu’on ne peut pas trouver une solution à un niveau local, ou sur le plan confessionnel. Si jamais on veut refaire un pays, il faut impérativement recréer des institutions au sein desquelles l’on retrouvera toutes les confessions et toutes les régions». ça veut dire quoi, exactement, une institution ? «Plutôt que ce soit par une appartenance à un leader confessionnel ou régional qui détiendrait les clés du bonheur, qui peut vous placer dans une administration libanaise, vous aider financièrement, etc, il faut essayer de se trouver une position à travers une véritable institution. Et utilisant sa compétence, ses capacités. Il faut arriver à garantir les intérêts de nos régions et de nos confessions. Trouver un espace de communication entre tous». C’est la raison pour laquelle vous avez rejoint le MRD de Nassib Lahoud ? «Absolument. Ça s’est fait tout seul avec Nassib Lahoud. C’est quelqu’un que j’admire et que je respecte, même lorsque nous n’étions pas d’accord sur tout». Et vous pensez qu’avec le MRD, vous dépasserez le cadre tripolitain et acquerrez une assise beaucoup plus nationale ? «Ce n’est pas ça que je recherche. Au Liban, une grande majorité de gens est au centre. Mais malheureusement, le système est fait de telle sorte qu’il renforce les extrémismes. Et de tous les côtés. Si nous les centristes restons seuls, isolés, nous ne pourrons jamais faire quelque chose. En politique, il faut essayer, trouver quelque chose avec des partenaires. Ça me rappelle un ministre français qui disait : “Je suis un républicain de gauche, c’est-à-dire un homme du centre que les malheurs de la vie ont placé à droite…”». Le discrédit du Parlement Pourquoi y a-t-il eu la rafle et les tabassages après la visite du patriarche Sfeir au Chouf ? «Il y a une lutte très claire pour le pouvoir au Liban. Entre Lahoud et Hariri, et un début de lutte entre démocratie et militarisation au profit, aujourd’hui, de cette dernière. Le président Lahoud s’est ouvert à l’opposition, et j’espère que ces pourparlers vont reprendre. Que toutes les parties concernées aient assez de perspicacité pour voir qu’un pays comme le Liban ne peut pas exister si on bloquait démocratie et libertés. Simplement parce que l’on n’a aucune matière première». Vous pensez que le chef de l’État est conscient que s’il y a débâcle, il serait le premier à en pâtir ? «Il devrait le savoir. Aucune économie ne fonctionnera au Liban sans un climat politique stable, sans une justice saine, débarrassée de toute intervention politico-sécuritaire, toutes les libertés, etc. Donc, pour l’instant, il est impossible que notre économie démarre». Et qui est responsable de cette stagnation ? Le chef de l’État ? «Tous. Le Parlement est responsable, le Conseil des ministres, le chef de l’État, moi». Quel est l’avenir du Parlement aujourd’hui ? Un Parlement complètement discrédité ? «Il y a toujours des crises qui secouent les institutions, à n’importe quel niveau, partout dans le monde. Je pense que maintenant il faut être capable de régénérer une crédibilité. Même si, comme le dit Nassib Lahoud, ce qui s’est passé lundi est une gifle que le Parlement s’est assénée, il ne faut pas s’arrêter à ce vote. Tout peut évoluer. Les députés se réveilleront peut-être». Vous avez gardé votre crédibilité en vous opposant à l’amendement du code de procédure pénale, mais l’institution à laquelle vous appartenez l’a perdue. «Il ne faut pas simplifier les choses. La Chambre traverse une crise de crédibilité, mais ce n’est pas irréversible. Elle s’en sortira le jour où ces hommes politiques se rendront compte qu’il leur faudra rester viables politiquement. Le jour où plus personne ne les écoutera». C’est suffisamment clair. Vous avez un message à faire passer aujourd’hui au chef de l’État ? «Oui, bien sûr. Que j’ai confiance en sa personne. Mais qu’il faudrait qu’il essaie d’évaluer les choses beaucoup plus personnellement, éviter les influences extérieures. Essayer de se faire une protection civile. Bien plus qu’une protection militaire qui existe déjà. Et une “couverture” civile ne veut pas dire un vote du Parlement. Qui pourrait voter différemment un autre jour. La protection civile : la rue». Et la façon dont Nabih Berry a géré la séance parlementaire lundi dernier – et qui lui a complètement échappé ? «Je pense que M. Berry essaie de faire ses alliances politiques. D’éviter d’avoir une très grosse charge politique sur les épaules. Vous dites qu’il est au bord du gouffre, moi je trouve qu’il a gagné une nouvelle alliance avec le chef de l’État. Pourvu que ça dure». En évitant une crise, on l’ajourne, on l’amplifie Maintenant que le Conseil des ministres et que le Parlement ont abdiqué, qui gouverne le pays ? «Le président Hariri pense que le Liban ne peut pas supporter une crise politique et économique. Mais le problème, c’est qu’en l’évitant, on ajourne et on amplifie la crise. Le pays ne peut plus aujourd’hui supporter des slogans mort-nés. Je ne suis pas du tout d’accord avec le Premier ministre dans son revirement, mais il y a une question : est-ce que la chute du gouvernement Hariri serait aujourd’hui positive ? Normalement non, et je préférerais qu’il ne chute pas. Mais est-ce qu’une série de concessions lui éviterait cette chute ? Il y a des points très délicats, comme le code de procédure pénale, sur lesquels on ne peut pas faire de concessions. Le code serait passé, mais au moins Hariri aurait annoncé la couleur. Qui gouverne ? Ça a été dit au Parlement : les services, les militaires. Ils sont en train de forcer la main au Conseil des ministres, au Parlement… Quand j’entends le Premier ministre dire hier au Parlement que c’est une mauvaise loi, qu’il est contre, comme son bloc, comme sa rue, et que pourtant il va la voter, cela veut dire qu’il ne gouverne pas». Obnubilé par la crise économique, par l’éventualité de voir s’en aller les rêves de Paris II, ou de solution à la crise, et particulièrement attaché à l’application de tout Taëf, Misbah Ahdab rappelle néanmoins ses prises de position concernant les libertés au Liban. «Bafouées, elles aussi, étape après étape». Et refuse de voir la thèse du complot que l’État reproche à Toufic Hindi – qu’il ne défend ni n’accuse – permettre la rafle, le tabassage des jeunes et tous les débordements. Et préfère – au lieu d’accuser à chaque fois la Syrie dont le destin économique, selon lui, est lié à celui du Liban, de tous les maux – insister sur les désastreuses conséquences de la crise constitutionnelle au Liban. Misbah Ahdab n’arrive pas à voir – modestie ou conviction – qu’il fait figure d’exception, aujourd’hui, dans le landernau politique mahométan. «Il y a Omar Karamé, qui avait pris des positions très claires. J’étais parfaitement d’accord avec sa proposition de congrès national. Il y a Sélim Hoss, Tammam Salam». On dit que vous êtes très courageux. On parle aussi de vos prises de position contre le gouvernement Hariri. «Je ne prends aucune position pour être contre quelqu’un. J’ai soutenu Hariri il y a quelques années, lorsque personne ne le soutenait. Je continue de le soutenir sur certains points. Je n’ai certes pas voté le budget, mais je ne pouvais pas ne pas m’abstenir : il y avait toute une politique de compromis tant sur le plan national que local. J’ai des comptes à rendre à mes électeurs. Je ne prends aucune position pour plaire ou déplaire. Je travaille. Et à long terme». C’est quoi le long terme ? Le Sérail ? «Ce n’est pas ça. Je n’ai jamais caché mes ambitions, mais ce n’est pas ça, je ne vois pas les choses comme ça. J’aime le pouvoir, mais pas pour le pouvoir, mais plutôt pour concrétiser mes idées. J’essaie de me forger une crédibilité politique à long terme». Effectivement : force est de constater que Misbah Ahdab est sur la bonne voie. Au centre.
Misbah Ahdab n’est pas un sunnite qui essaie de se rapprocher des chrétiens. Ou un sunnite qui fait désormais de la politique avec un maronite – Nassib Lahoud en l’occurrence. Ce n’est pas non plus que l’éternel rival d’Omar Karamé à Tripoli. Ou bien «l’ancien allié qui a changé de camp», comme certains semblent prendre plaisir à le répéter, de Rafic Hariri....