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Actualités - CHRONOLOGIES

PLACE DE L’ÉTOILE - Jusqu’à quand Rafic Hariri et son gouvernement pourront-ils tenir ? Joumblatt répond à « L’Orient-Le Jour » - Le Parlement, nouveau fossoyeur (malgré lui ?) de la démocratie

Abdiquer : «Renoncer à une fonction, un pouvoir, à une autorité souveraine». C’est la définition du Larousse. C’est ce qu’a fait jeudi dernier le Conseil des ministres, en renonçant carrément à la gestion du pays, deux jours après la grande rafle, quelques heures à peine après le tabassage, devant le Palais de justice, des jeunes filles, des jeunes gens. Le Conseil des ministres a effectivement renoncé à l’exercice de son pouvoir naturel. Et c’est exactement ce qu’a fait hier le Parlement. En validant – et de quelle manière, avec quels rebondissements... – un nouvel amendement du code de procédure pénale. Dans le sens voulu par le chef de l’État : accorder des pouvoirs «exceptionnels» au procureur général «qui est à la solde des services de renseignements». Dixit Walid Joumblatt. Le comble, c’est que tout cela a eu lieu dix-huit jours après que la Chambre eut montré à la quasi-totalité de celles et de ceux qui l’ont faite qu’elle était capable de franchir un très grand pas vers la démocratie et la civilisation. En votant ce que l’on devrait désormais appeler le code mort-né. Un pas en avant, dix bonds en arrière. Le jour où l’Exécutif a clairement annoncé la couleur, son abdication, les Libanais – et pas que les plus naïfs d’entre eux – déboussolés, désillusionnés, ont porté leurs espoirs place de l’Étoile. Tout naturellement. «Le dernier rempart, le dernier bastion», croyaient-ils. Même si, tout aussi naturellement, ils pressentaient bien, à la lumière des événements qu’ils étaient en train de vivre, que le train de l’obscurantisme, de la militarisation et des répressions s’était bel et bien mis en marche. Et certains de ces Libanais ont vite fait le lien avec l’arrestation, presque concomitante, d’un député indépendant à Damas. Pour finalement assister hier, pour certains en direct, aux funérailles de la démocratie. En son lieu le plus originel : en son sein. Que c’en est plus que désespérant. Conséquence directe et indiscutable de cette double abdication : la militarisation officialisée. La militarisation de l’État. Elle était latente, cryptée, déguisée. Elle l’était. Un phénomène littéralement endémique puisque sont touchés, aujourd’hui à 100%, les trois pouvoirs de cet État. L’Exécutif – et maintenant il s’agit de ses deux pôles. Le Législatif – réécouter Bassem el-Sabeh : «C’est comme si les députés avaient été convoqués par un mandat d’amener». Et le judiciaire – la réhabilitation de l’ancien code de procédure pénale et sa toute chaude application directe : le communiqué de l’armée publié avant-hier à propos des «aveux» de Toufic Hindi. Ne reste plus, en principe, que «le quatrième pouvoir». Les médias. Et bien nombreux sont ceux qui souhaitent, s’en cachant à peine, et qui le demandent, l’asservissement pur et simple de ce pouvoir-là. Sa militarisation. Rafic Hariri, hier, dans l’hémicycle : «Je ne souhaite à personne d’être Premier ministre (au Liban) aujourd’hui». Il est aisé désormais, pour presque tout le monde, de remplacer «Premier ministre» par pratiquement n’importe laquelle des professions. Le communiqué précité de l’armée devrait désormais reposer sur la table de chevet de tous les Libanais. Devrait. Parce que la catastrophe serait de voir la rue se mettre, elle aussi, à l’unisson de ses dirigeants. En abdiquant. «Tout sauf le régime militaire»… Si l’ensemble des observateurs accordait une infinitésimale probabilité à l’échec du vote de l’amendement du code de procédure pénale, personne ou presque n’aurait pu prévoir son déroulement et ses rebondissements. Deus ex machina : Rafic Hariri. Le Premier ministre militait ouvertement et activement contre l’amendement de ce fameux code. En envisageant, bien entendu, toutes les hypothèses. Dont celle de tout faire basculer en demandant, à chaud, en plein débat, à son bloc de voter… pour. Et c’est ce que Rafic Hariri a fait. Il a cédé au chef de l’État. L’on peut facilement imaginer les quelques minutes qui ont précédé la prise de décision du maître de Koraytem. Le choix de Sophie, le dilemme. Son visage fermé, hermétique presque, depuis le début de la séance, on aurait pu l’entendre, ou plutôt imaginer l’entendre : «Il vaut mieux que ce soit moi avec tous mes défauts plutôt qu’un régime militaire». Effectivement : la liste des reproches que l’on pourrait adresser à Rafic Hariri, ou plutôt à sa politique, est bien longue. Mais force est de constater, encore une fois, que tous ces défauts-là constituent un bien large moindre mal que ce que le Liban est en train de vivre aujourd’hui. Et impossible également de ne pas se souvenir de l’allergie chronique du n° 3 de l’État à l’encontre de la chose militaire. Il n’empêche, les Libanais, la rue – même celle qui n’est pas sienne, Walid Joumblatt et ses députés, etc., ils auraient tous tellement voulu le voir taper du poing sur la table, refuser d’abdiquer, se battre jusqu’au bout, fût-ce vainement, contre le cancer qui finit de ronger le Liban : sa militarisation. Encore et toujours. Or le problème est le suivant : Rafic Hariri, depuis une semaine, gouverne à coups d’excuses. Il n’était pas au courant des rafles, il veut éviter une crise politique, etc. Sa sincérité est évidente, ses raisons d’une formidable lucidité («tout sauf le régime militaire»), mais peut-on gouverner à coups de mises en scène spectaculaires hier, à coups d’excuses aujourd’hui ? Ou plutôt : jusqu’à quand peut-on gouverner ainsi ? Et ça, Walid Joumblatt l’a bien compris. Que Rafic Hariri tombe la tête la première dans le piège qui lui est tendu – démissionner – présagerait d’infinies catastrophes pour le Liban. Force est de le constater. Ghazi Aridi l’a expliqué clairement, sans le justifier pour autant : jeudi au Conseil des ministres et hier place de l’Étoile, «Rafic Hariri a sauvé le système politique». Véritable victoire à la Pyrrhus. Et entre les excuses parfois un peu fallacieuses et la démission, il pourrait y avoir un quelque chose, une façon de réagir, de rebondir, de faire de la politique, de l’économie, du social, que le Premier ministre dont le Liban a besoin – même si, pour l’instant, par défaut – n’a pas encore trouvé. Y arriverait-il qu’il serait le Premier ministre dont le Liban a besoin. Tout court. Nabih Berry… Il sent le roussi à des kilomètres, prisonnier de son allégeance, prisonnier de sa communauté, et dont l’amertume a attristé hier le joumblatto-haririen Bassem el-Sabeh. L’on sent (sait ?) aussi qu’il a précipité la lecture de l’amendement du code de procédure pénale à contrecœur. Après un clash terrible avec le ministre d’État, le très haririen Bahige Tabbarah, qui ne sort de ses gonds qu’une fois tous les dix ans. À contrecœur : Nabih Berry aurait pu, lui aussi, devenir un homme d’État. un grand, peut-être. L’histoire est gueuse : elle repasse trop rarement les mêmes plats. «Qui préside le Parlement ?», lui a demandé hier, intraitable, Nayla Moawad… La rue… Quant au chef de l’État… Revenir, encore, à Walid Joumblatt : «S’il pense qu’il échapperait à une débâcle politico-économique, il se trompe». Tout est dit. Le chef de l’État, qui portait en lui il y a trois ans les espoirs sincères de toute la population, n’a apparemment pas encore compris qu’on ne pouvait pas gouverner «à coups de revanches». Ni que le Liban a foncièrement besoin d’un président de tous les Libanais. Ni, bien sûr, qu’un régime militaire, officiel ou officieux, signifierait la lente agonie du Liban, de son économie et de ses spécificités. Ni que le mieux est l’ennemi du bien : à force d’anticiper, d’aller au-delà même des desiderata syriens, cela risquerait bien un jour d’inverser la vapeur. Le Hezbollah, son principal allié, a bien saisi tout cela : hier, place de l’Étoile, ses députés n’ont parlé que de privatisations, de Finul, de considérations socio-économiques. Tout en votant l’amendement du code. Reste Walid Joumblatt. Lui a réussi, et avec quelle superbe, à faire la transition. À se faire un prénom : il est devenu un véritable leader régional. Visionnaire, pragmatique, incontournable et précieux, notamment avec Nasrallah Sfeir, son nouveau «complice national». Personne – et à commencer par lui, il l’a dit hier en plein hémicycle – n’a oublié que, comme tout le monde, il a bafoué, à un moment, la démocratie, les droits de l’homme, les libertés. Sauf qu’à la différence des autres, il a prouvé, sur le terrain, par ses actes, qu’il a su biffer le passé et en tirer les leçons. D’où l’importance de son intervention, hier, place de l’Étoile, avant et pendant le débat sur l’amendement du code de procédure pénale. Et à L’Orient-Le Jour, hier, il a répondu à la question de savoir si Ghazi Aridi, Marwan Hamadé et Fouad el-Saad resteraient au gouvernement : «Je préfère qu’il soit jeté dehors plutôt que de le lâcher moi-même». Là aussi, et avec quelle maîtrise, tout est dit. Walid Joumblatt en veut à Rafic Hariri, de ne lui avoir laissé aucune marge de manœuvre, il annonce clairement la naissance du clivage. Et Walid Joumblatt craint pour Rafic Hariri : parce que comme tout le monde, «son tour viendra». Quoi qu’il en soit, cette séance parlementaire est la plus importante, la plus lourde de conséquences depuis le début, il y a bientôt trois ans, du mandat Lahoud. Elle a purement et simplement enterré la démocratie. Le plus désolant : que cela se soit passé malgré la volonté d’une partie non négligeable des députés. De quoi pousser les Libanais dans leur écrasante majorité à se résigner davantage – cela est-il encore possible ? – ou à partir. Sauf que c’est de là que pourrait venir le seul espoir de salut : des Libanais eux-mêmes. Qui aurait aujourd’hui le culot de leur demander, encore une fois, des sacrifices ? Ce qu’on pourrait par contre leur demander, c’est de réagir. Ensemble. Sur ce plan, Nasrallah Sfeir et Kornet Chehwane, ainsi que le seigneur de Moukhtara ont fait leurs preuves. La clé, la seule, est dans la main de Rafic Hariri – comment oublier le «raz-de-marée Hariri» de septembre dernier… Si jamais il se décidait à franchir le pas, il est clair que Nabih Berry, très probablement, pourrait le suivre illico. Mais on est encore bien loin, malheureusement, de tout cela. Bien plus après le revirement, hier, du Premier ministre.
Abdiquer : «Renoncer à une fonction, un pouvoir, à une autorité souveraine». C’est la définition du Larousse. C’est ce qu’a fait jeudi dernier le Conseil des ministres, en renonçant carrément à la gestion du pays, deux jours après la grande rafle, quelques heures à peine après le tabassage, devant le Palais de justice, des jeunes filles, des jeunes gens. Le Conseil...