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Actualités - ANALYSES

Analyse - Un événement qui doit s’insérer dans la continuité - Le patriarche au Chouf : le triomphe de la modération

Qu’est-ce que le patriarche a pu dire, au cours de sa tournée au Chouf, pour mériter ce triomphe ? Qu’a-t-il dit d’original ou qu’a pu dire d’original Walid Joumblatt ? Rien. La nouveauté de l’événement n’était pas dans la lettre, mais dans l’esprit de ce qui se faisait. Dans la modération, dans la mesure. Nous venons d’assister au triomphe, du «inad» du patriarche Sfeir et de Walid Joumblatt. Non pas l’entêtement, mais l’obstination, la persévérance dans la revendication d’un droit, celui de la souveraineté, de la liberté ; et en même temps, la fermeté dans le refus de la violence et de la haine confessionnelle. S’il fallait choisir une seule phrase de ce qu’a déclaré le patriarche durant ces trois jours, ce serait peut-être celle qu’il a prononcée à Kfarhim : «Tirer les leçons du passé, pour ne pas les répéter». Une parole à laquelle fait écho une parole prononcée à Deir el-Qamar sur la nécessaire «purification de la mémoire», c’est-à-dire la reconnaissance des torts, reçus et infligés. Infligés surtout. C’est le pas que ne semblent pas avoir encore décidé de franchir les Forces libanaises, fixées dans un moment de leur histoire par l’incarcération de leur chef, incapables d’évoluer vers une dimension nationale de leur pensée politique. La torture physique et morale infligée à leur chef n’en est pas excusée pour autant. Il serait temps, et il serait sans doute sage de permettre à Samir Geagea de communiquer avec sa base. Celle-ci aurait de meilleures chances de s’émanciper d’un passé tourmenté et douloureux, d’évoluer vers un présent contraignant certes, mais devenu un passage obligé vers un avenir plus juste, plus pacifié. C’est du reste la même évolution que l’on souhaite au général Michel Aoun, dans un registre différent. La leçon du passé douloureux, la leçon que doivent tirer tous les hommes qui ont joué un rôle dans ce passé, c’est que l’extrémisme, le repli identitaire détruisent le Liban, détruisent son tissu social, détruisent l’équilibre et l’entente entre ses fils. C’est que vouloir écraser d’autres forces par les armes enfonce le Liban davantage encore dans la spirale de la violence qui le nie, qui nie jusqu’à la justification de son existence comme pays sanctuaire des libertés. C’est cet héritage, cette vocation que les dirigeants du Liban, présents et à venir, libres, incarcérés ou exilés, sont invités à gérer au mieux de leurs capacités. Deux négations ne font peut-être pas une nation. Mais l’entente intercommunautaire est antérieure au Liban. C’est elle qui a fait le Liban et non le contraire. Les dirigeants qui se sont succédé l’ont détruite, mais c’est elle qui, aujourd’hui, tel le phénix, renaît de ses cendres. Les préjugés colportés par l’imaginaire populaire sont encore tenaces. Eux aussi auront besoin de purification. Walid Joumblatt a très bien fait d’évoquer les massacres de 1860 et non seulement ceux de 1983 et de 1977. C’est le seul moyen de faire entrer non seulement sa communauté, mais toutes les autres aussi, dans une modernité sans laquelle nous serons religions les unes contre les autres. Une modernité sans laquelle, selon le terrible constat du poète Adonis, nous serons condamnés «à consommer de la civilisation sans en produire». Le christianisme, religion de l’esprit par excellence, peut aussi dégénérer dans la lettre d’une chrétienté conquérante qui emprisonne la liberté dans les étroites limites d’un ordre temporel. En face, qu’avons-nous ? Un esprit libre qui a décidé, à Jezzine et ailleurs, d’assumer l’aventure de la coexistence, celle de l’amour fraternel. Ce montagnard de patriarche a su montrer son côté phénicien, son ouverture sur la mer. Il a laissé le vent de la liberté souffler dans ses voiles et le mener vers les horizons nouveaux du dialogue véritable. Sinon, que signifiait d’autre ce si large sourire qu’il faisait, à Moukhtara ? Cette euphorique joie de savoir que le navire avait enfin pris le large ? C’est l’engagement chrétien par excellence, l’engagement dans un monde arabe touffu et complexe. Celui qui assume la liberté d’aimer, en dépit des revers et des souffrances. Car si tout amour véritable est éprouvé par des croix, tout amour véritable finit par rencontrer l’aimé dans le lit d’aubes où se désaltèrent les forts. Le message de Sfeir n’est pas un message facile. Ce sourire est une victoire sur bien des angoisses. C’est le sourire d’un homme qui a vaincu ses craintes. À Damour, le patriarche l’a bien dit, citant l’Exhortation apostolique : l’engagement dans le service public exige d’un chrétien une «ascèse personnelle» librement consentie. Un «non» au confort de l’émigration et d’une identité nationale d’emprunt revêtue comme un prêt-à-porter. C’est tellement plus tentant pour des chrétiens gâtés, auxquels tout est venu facilement. Mais il est autrement plus difficile de forger son identité aux épreuves de l’histoire, aux revers, aux souffrances des égarements et des trahisons, des cupidités et des duplicités, sans baisser les bras, sans abandonner la partie, en assumant courageusement la vocation historique d’une telle proximité géographique et de ses contraintes, pour découvrir enfin que la vraie vie est au-dedans, que l’intériorisation de la liberté est infiniment plus précieuse que son extériorisation dans des symboles qui la dénaturent. Ce triomphe, l’État est désormais sommé de le renforcer. Fallait-il donc ternir cette joie nationale par des interpellations d’étudiants et de jeunes ? Fallait-il donc régresser vers le régime policier, à l’heure même où l’esprit du pacte national est retrouvé ? Car ce qui n’est pas moins important que le reste, c’est que cet événement s’insère dans une continuité. C’est que ces retrouvailles se produisent après la timide annonce d’un retrait syrien. Saurons-nous être à la hauteur d’une telle naissance ? Certes, ce n’est pas encore la transparence, mais comme un balbutiement de la démocratie : un timide retrait annoncé et exécuté. L’important, c’est qu’on ne retrouve pas, demain, des étudiants en prison pour délit d’opinion. C’est qu’on s’éloigne, même à petits pas, du modèle des démocraties populaires. Car c’est bien le Liban qu’on assassine toutes les fois que l’on s’éloigne du modèle démocratique et qu’on laisse «la préhistoire faire irruption dans l’histoire».
Qu’est-ce que le patriarche a pu dire, au cours de sa tournée au Chouf, pour mériter ce triomphe ? Qu’a-t-il dit d’original ou qu’a pu dire d’original Walid Joumblatt ? Rien. La nouveauté de l’événement n’était pas dans la lettre, mais dans l’esprit de ce qui se faisait. Dans la modération, dans la mesure. Nous venons d’assister au triomphe, du «inad» du...