Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSES

Sabra et Chatila - La plainte contre Sharon provoque un tollé diplomatique - Chebli Mallat : Un dossier solide, loin de toute politique

Le processus semble s’emballer. En une semaine, le Premier ministre israélien Ariel Sharon annule la visite prévue en Belgique mais envoie dans le plus grand secret une équipe chargée d’enquêter sur la plainte déposée contre lui ; le consulat belge à Tel-Aviv est attaqué par des jeunes extrémistes ; l’ancien ministre Élie Hobeika propose de témoigner devant la justice belge ; et le ministre belge des AE, Louis Michel, se déclare «embarrassé» par l’action en justice contre Sharon. À l’origine de ce bouleversement, un avocat libanais, Chebli Mallat, marqué depuis longtemps par les massacres de Sabra et Chatila – comme par tous les génocides d’ailleurs – et soucieux de voir un jour s’instaurer une justice universelle qui dépasse les enjeux politiques. Ce qui, au Liban, semble être une affaire de propagande, est en réalité une plainte très grave et un dossier solide qui risquent de causer de sérieux ennuis au Premier ministre israélien. Ce dernier est suspendu à la décision du juge d’instruction Patrick Collignon, connu pour son courage, puisque c’est lui qui avait brisé le réseau de pédophilie en Belgique, sans craindre de remonter haut dans la filière. Depuis que le parquet belge a jugé recevable la plainte déposée par Me Chebli Mallat et ses deux collègues belges MM. Luc Walleyn et Michael Verhaeguen au nom de 28 survivants du massacre de Sabra et Chatila, la justice belge est sur la sellette. Tous les jours, les médias européens, arabes et israéliens – pour les Américains, c’est une autre histoire – rapportent de nouveaux détails sur cette affaire et de plus en plus d’organisations internationales des droits de l’homme appuient cette initiative, qui annonce l’émergence d’une sorte de justice universelle, équitable pour tous les humains. Au départ, il y a un jeune homme, docteur en droit, spécialiste en droit pénal international. En 1982, le jeune Chebli Mallat vient d’achever ses études de droit à l’USJ. Il assiste à une véritable guerre, à l’occupation d’une capitale arabe, et découvre que la responsabilité de ces actes est uniquement politique. Il suit aussi la gigantesque manifestation de 400 000 personnes à Tel-Aviv réclamant la formation d’une commission d’enquête sur les massacres de Sabra et Chatila. Trois mois plus tard, la commission publie ses conclusions et demande la démission d’Ariel Sharon. Ce dernier refuse. Il faudra une autre manifestation le 10 février 83 pour qu’il renonce au portefeuille de la Défense. Au cours de cette manifestation, d’ailleurs, l’actuel président de la Knesset Avraham Burg est blessé par une grenade. Le jeune diplômé en droit est marqué par tous ces événements et découvre comment Ariel Sharon réussit à créer un flou autour de son rôle dans les massacres de Sabra et Chatila, alors que la commission Kahane avait elle-même conclu à sa responsabilité personnelle. Le juge d’instruction décidera s’il doit entendre Hobeika L’idée d’engager la responsabilité pénale de ce chef a commencé à faire son chemin dans l’esprit du jeune avocat. D’autant que depuis les massacres contre les Kurdes, les Bosniaques et les Kosovars, de plus en plus de voix se sont élevées dans le monde pour réclamer une justice internationale. Le TPI pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda a été créé alors qu’une cour pénale internationale est en gestation. Autant d’éléments qui encouragent le jeune avocat à commencer à former un dossier. Le déclic est arrivé avec l’adoption par le Parlement belge en 1999 de la loi sur la compétence universelle, qui permet à la justice belge de traiter des dossiers internationaux s’ils portent sur des crimes contre l’humanité. Le principe est simple et il a été reconnu lors du procès Eichman qui a constitué une jurisprudence en la matière : certains crimes sont tellement odieux qu’ils concernent l’humanité entière et par conséquent ne peuvent faire l’objet d’une prescription ou d’une juridiction territoriale. Les tribunaux belges peuvent donc les juger. Des Rwandais ont aussitôt porté plainte contre les auteurs des massacres dans leur pays et la justice belge a condamné quatre «génocidaires» rwandais à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison. Il n’en fallait pas plus pour que Me Chebli Mallat se décide à suivre la même voie. Avec l’aide de l’historienne Rosemary Sayegh et de l’enquêtrice palestinienne Sana Hussein, il a recueilli plusieurs témoignages et finalement porté plainte contre Ariel Sharon, Amos Yaron (de l’état-major israélien) et «tout responsable israélien ou libanais dont l’enquête prouvera la responsabilité dans ces massacres» auprès de la justice belge. La conférence de presse que Mallat a tenue à Bruxelles avec ses collègues belges pour annoncer le dépôt de cette plainte a attiré la presse du monde entier qui, depuis, s’intéresse de près à cette affaire. À tel point que la Belgique, qui préside depuis peu l’Union européenne, est assez embarrassée, le ministre des AE Louis Michel ayant dû se rendre in extremis en Allemagne pour y rencontrer le Premier ministre israélien qui a annulé l’escale belge de sa tournée européenne. Que peut-il se passer maintenant ? Il fait attendre la décision du juge d’instruction. C’est lui qui verra s’il peut recueillir le témoignage de l’ancien ministre Élie Hobeika. À ce niveau, Me Mallat estime que la proposition de ce dernier de se rendre en Belgique est très intéressante parce qu’elle peut apporter de nouveaux éléments au dossier. Mais en ce qui le concerne, il estime avoir assez d’éléments pour incriminer le Premier ministre israélien. «Si l’affaire n’était pas sérieuse, la presse israélienne ne la suivrait pas si attentivement». Mallat se désole toutefois du black-out fait par la presse américaine, alors que l’association US Human Rights Watch s’est prononcée en faveur d’un jugement de Sharon. Il se rend d’ailleurs lui-même à Paris et à Londres, à l’invitation d’associations des droits de l’homme, pour expliquer son initiative. Selon lui, le juge belge peut très bien émettre un mandat d’arrêt secret à l’encontre du Premier ministre israélien, même s’il estime que cette hypothèse est assez improbable pour l’instant. Ce qui compte aujourd’hui, c’est que l’instruction suive son cours, même si celui-ci prendra du temps et qu’un jour, les auteurs de crimes contre l’humanité se retrouvent sous les verrous. Ne craint-il pas que la justice belge ne décide de clore le dossier pour des raisons politico-diplomatiques ? «Le principe de la séparation des pouvoirs est en vigueur en Belgique. C’est l’occasion de montrer combien il est respecté». Le ministre belge des AE réclame un amendement de la loi de 1999, excluant au moins les responsables en exercice ? «Cette loi avait été votée à l’unanimité et les parlementaires belges en sont très fiers. Je ne sais pas s’ils seront nombreux à voter un amendement». Mallat est convaincu que la plainte aboutira. L’idée de la justice universelle et sans frontières fait de plus en plus son chemin dans le monde. «En tout cas, je fais mon devoir. Si j’obtiens gain de cause, cela signifiera qu’il existe un État de droit international. Sinon, il faudra continuer à se battre». Sa grande peur est que l’affaire ne se politise. C’est d’ailleurs pourquoi il a refusé l’aide du gouvernement libanais. «Lorsque le juge d’instruction belge viendra enquêter à Beyrouth, les autorités pourront l’aider. Mais à ce stade, je ne souhaite pas leur intervention. Pour moi, il s’agit d’une question de droit et de responsabilité pénale». Sharon n’est pour lui qu’un nom parmi d’autres. «Des Khmers rouges à Pinochet, en passant par Sharon, pour moi, la justice doit être égale pour tous et ce genre de crimes ne doit pas rester impuni». Mallat reconnaît toutefois qu’en présentant cette plainte, il y avait peut-être, dans son inconscient, une volonté de contribuer à la relance du processus de paix en se demandant comme un homme au bagage aussi lourd pouvait prendre en charge les destinées d’un peuple voire d’une région. En tout cas, il a le mérite d’avoir soulevé un vent d’espoir dans les cœurs des survivants de Sabra et Chatila, et peut-être dans les consciences des peuples du monde.
Le processus semble s’emballer. En une semaine, le Premier ministre israélien Ariel Sharon annule la visite prévue en Belgique mais envoie dans le plus grand secret une équipe chargée d’enquêter sur la plainte déposée contre lui ; le consulat belge à Tel-Aviv est attaqué par des jeunes extrémistes ; l’ancien ministre Élie Hobeika propose de témoigner devant la justice...