Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIES

REGARD - La céramique contemporaine au Liban (3/3) - Lettres de créance

Groupant les œuvres de 20 artistes, une importante exposition de céramiques contemporaines, la première en son genre au Liban, a ouvert ses portes vendredi soir 22 juin. Elle se tiendra jusqu’au 25 juillet, au Lee Observatory Building, à l’AUB. Voir les numéros de «L’Orient-Le Jour» datés du 25 et du 27 juin pour les articles précédents. D.S. Kazimi investit une grande créativité dans ses récipients en grès, avec une préférence marquée pour les formes organiques et les glaçures subtiles et maîtrisées. Elle manifeste une grande délicatesse dans de minuscules pièces en porcelaine tout en marquant une nette tendance, peut-être pas assez représentée ici, vers une expression lyrico-érotique affranchie. En donnant corps à son émotion, elle suscite la nôtre. N. Raad se contente parfois de décorer avec une touche très personnelle des faïences et des porcelaines pré-existantes, ce qui les transforme en supports de peinture, mais elle élabore également des œuvres originales proches de ses sculptures en bronze, avec de fines superstructures parfois complexes et des applications d’objets modelés et surajoutés. N. Nahas se partage entre les vases construits par plaques ajointées avec décrochages de plans et autres déformations, les boîtes ciselées, les gourdes aux formes rondes entaillées de profonds sillons, les grands pots à motifs répétitifs appliqués et les sculptures de femmes-poupées aux robes amplement drapées à la main ou constituées de longues bandes superposées en plusieurs couches historiées de motifs minuscules par impression. Son envoi est varié et techniquement maîtrisé. Le cœur déjà ailleurs Samir Müller occupe, lui aussi, une position intermédiaire : il fabrique toujours des vases, mais il les transforme en œuvres d’art avec des surfaces richement émaillées en patchworks abstraits qu’il reprend dans ses panneaux à carreaux émaillés juxtaposés. Samar Mogharbel, principale élève et pour ainsi dire héritière spirituelle de D.S. Kazimi, s’oriente de plus en plus vers la sculpture en céramique, les mixed media (roches basaltiques trouvées associées à ses «têtes», remarquables d’expression concentrée, que d’autres fois elle fixe au sommet de longs socles en bois et métaux trouvés également) et les installations. Elle n’en a pas pour autant abandonné la céramique fonctionnelle, objet de recherches ininterrompues, mais son cœur est déjà ailleurs. Pour Rita Awn, la céramique ne sert pas à produire des récipients, mais des sculptures, personnages et objets insolites, minimalistes, beaux et rigoureux dans leur austérité, leur nudité et leur blancheur mate immaculée, sans glaçure, avec juste l’inclusion d’un cône ou d’un autre élément en verre ou de quelques touches de couleur. S. Fattal, à son tour, aborde la céramique comme moyen et non comme fin, comme un matériau et une technique capables de répondre à son besoin de s’exprimer, de modeler à la main ses drôles de personnages aux corps tubulaires interminables qu’elle émaille de couleurs brillantes, parfois violentes. I. Issa, lui, s’en tient à l’effet naturel de la terre cuite, sans aucune autre élaboration, pour ses oiseaux morts, ses têtes de hiboux en boîtes de plexi, ses faciès piqués sur tiges : ici, le médium a autant d’importance que le message dans l’impact recherché. H. Mahdi utilise la céramique, qu’il maîtrise parfaitement, pour traduire ses expériences, son imaginaire foisonnant, ses émotions. Il métabolise sa vie dans son œuvre et son œuvre dans sa vie. Ses sculptures d’animaux, de femmes voilées, de nus noirs aux sexes béants et aux têtes d’oiseaux de nuit, ses panneaux ajourés en porcelaine racontent, à leur manière, ses péripéties biographiques, entre réalité et fiction. N. al-Radi traite la céramique en moyen de traduire sa vision enjouée, faussement naïve, un brin ironique dans le panneau très coloré représentant simultanément l’extérieur et l’intérieur d’une maison à trois étages, avec ses habitants. Ce type de couleurs brillantes et vives s’obtient par enfournement à des températures assez basses. L’appel des éléments Joumana Sayegh travaille non par modelage ou façonnage, mais par incision et évidage d’un dessin décoratif sur carreau d’argile : une fois cuits, émaillés et recuits, les carreaux juxtaposés forment des frises décoratives, des répliques de façades de maisons yéménites, jouant sur le contraste entre la terre cuite du fond et la terre émaillée des figures. Ses premières œuvres reproduisent, en trois dimensions, des maquettes de maisons ou des détails architecturaux en terre cuite simple. Ici, la céramique est un moyen de traduire des impressions de voyage en les incarnant en objets décoratifs : d’emblée, elle s’éloigne de sa fonction domestique pour se rapprocher d’une autre fonction historique, celle de décoration murale. S.R. Choucair, si elle creuse des cendriers comme des espaces architecturaux à plusieurs niveaux, entaille un plat en un motif multiforme, construit un lampadaire ajouré à l’aide de colombins, nous surprend par ses essais de textures, de reliefs, d’incisions, de craquelures, d’impressions, de sillons, de motifs, de couleurs et glaçures dans un panneau de 78 carreaux minuscules qui sont chacun une œuvre en soi, pièce infiniment riche de suggestions et d’implications. Si riche que S.R. Choucair n’a plus eu besoin de les développer, passant plutôt aux modèles réduits de ses sculptures abstraites évidées, emboîtées, empilées, modelées. Son travail garde, après tant d’années, une impact, une jeunesse, une vigueur, une fraîcheur inentamables. Cette exposition de 20 céramistes, avec leurs différentes orientations, la première en son genre, fait fonction en quelque sorte de présentation des lettres de créance de la céramique d’art au Liban. Elle démontre qu’elle est un phénomène qui a pris définitivement consistance dans le paysage artistique et qu’il va y occuper une place de plus en plus grande, attirant de nombreux adeptes à une discipline ancestrale dont les racines plongent au plus profond de notre histoire et dont les branches continueront à se déployer dans le plus lointain avenir, tant qu’il y aura des artistes pour répondre au fascinant appel des éléments cosmiques concrets, en dépit de l’attrait nouveau des mondes virtuels.
Groupant les œuvres de 20 artistes, une importante exposition de céramiques contemporaines, la première en son genre au Liban, a ouvert ses portes vendredi soir 22 juin. Elle se tiendra jusqu’au 25 juillet, au Lee Observatory Building, à l’AUB. Voir les numéros de «L’Orient-Le Jour» datés du 25 et du 27 juin pour les articles précédents. D.S. Kazimi investit une grande...