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Actualités - OPINIONS

Dis-moi si tu doutes, - je te dirai si tu es

Il est dit que le meilleur moyen d’asservir un peuple est de le diviser, en prouvant ainsi son immaturité politique, et donc son incapacité à se prendre en charge. Mais il existe un asservissement d’un tout autre genre, bien plus dangereux : l’asservissement des esprits. Les talons aiguilles claquent sur les marches de l’escalier qui n’en finit plus de descendre. Timidement, je pousse la porte du RL10452, l’incontournable rendez-vous des soirées beyrouthines. Les mains se crispent, les lèvres se pincent, les acteurs se mettent en place. Mesdames et Messieurs, le spectacle va commencer. «Il se dégage de ces cartons d’emballage, des gens lavés, hors d’usage, tristes et sans aucun avantage...». «Je pense, donc je suis». L’évolution d’un peuple est fonction de l’évolution de sa pensée. Mais quand un peuple a cessé de penser, il a signé son arrêt de mort, parce qu’il a par la même occasion cessé de douter, de contester. Donc d’exister. Un des apports les plus précieux de notre héritage francophone, à nous Libanais, aura été cette aptitude à remettre continuellement en question tout ce qui a priori semble être une évidence. Qu’en avons-nous fait ? Notre identité francophone est avant tout celle de l’esprit critique, du doute, condition sine qua non de la démocratie et de l’affirmation d’un individu libre et conscient. Le doute est le premier pas de maturité intellectuelle. Mais, ironie du sort, dans les sociétés pseudo-démocratiques, le doute déstabilise, inquiète, exclut. De facto, celui qui doute sort des rangs, se distingue de la masse uniforme. Et, c’est bien connu, la société, et encore moins l’État, n’aime pas les réfractaires à son dogmatisme «bien-pensant». Ces derniers se voient alors exclus, réduits au statut d’étranger par l’une, de détracteur par l’autre. Ils auront au moins le mérite – ô combien noble ! – d’être maîtres de leurs actes et de leurs pensées. Oui, je doute. De tout et de rien. Je doute de mon identité, de ma communauté, des lois qui régissent ma vie, du roi souriant sur son trône. Je doute de Dieu. Si les Français ont coupé la tête de leur roi et l’herbe sous le pied du clergé qui les opprimaient, c’est parce qu’ils ont un jour douté de leur légitimité, et dans ce cas choisi de dire non. S’ils ont, par un glorieux Mai 1968, scandé «il est interdit d’interdire», c’est parce qu’ils ont un jour douté de l’ordre social conventionnellement établi, et choisi de dire non à l’absurdité de la morale et des tabous qui étouffent l’homme. Mais dans certaines sociétés prétendument modernes, l’être humain ne pense pas, n’a pas d’idées propres à lui, ne doute pas et ne conteste rien. Prisonnier du superflu, du désir «d’avoir des quantités de choses qui donnent envie d’autre chose», de tous les artifices que fait naître une société stéréotypée, il en vient à oublier de penser. Alors on pense pour lui, et l’assouvir devient un jeu d’enfant. «Dérisions de nous dérisoires...». En pleine crise économique de 1973-74, les Français hurlaient «On n’a pas de pétrole, mais on a des idées». Mais que faire quand on n’a ni pétrole ni idées ? Allons, Mesdames et Messieurs qui causez si bien la langue de Molière et clamez haut et fort votre attachement aux valeurs qu’elle véhicule, encore un petit effort... Ce soir-là, au RL10452, je me suis pris à rêver qu’on passait Foules sentimentales. Mon pauvre Alain, il faut voir comme on nous parle...
Il est dit que le meilleur moyen d’asservir un peuple est de le diviser, en prouvant ainsi son immaturité politique, et donc son incapacité à se prendre en charge. Mais il existe un asservissement d’un tout autre genre, bien plus dangereux : l’asservissement des esprits. Les talons aiguilles claquent sur les marches de l’escalier qui n’en finit plus de descendre....