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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Colloque à la clinique Rizk - Le scientisme sur la sellette - Médecins, et psy dénoncent le modèle américain et son credo : - je souffre, donc j’accuse

Les progrès de la médecine et plus particulièrement des neurosciences offrent des perspectives riches d’espoir. Mais ils produisent aussi une idéologie, le scientisme, qui réduit le sujet à un neurone, et entraînent par-là même des questions éthiques auxquelles médecins, psychiatres et psychologues tentent de répondre. Réunis pendant trois jours à la clinique Rizk, des spécialistes de renommée internationale ont dénoncé «l’obsession des exploits médicaux» ; les pressions exercées par les lobby pharmaceutiques sur une discipline tout entière ; et l’explosion de quelque 700 différents modes de psychothérapies, promettant à l’homme un bonheur fictif. Membre titulaire de l’Association psychanalytique internationale, considérée comme une diva mondiale de la discipline, Joyce McDougall a approché ce thème, en donnant un exemple clinique du trauma et du traumatisme. Elle raconte l’histoire de Pierre, un quadragénaire, habité de pulsions suicidaires depuis un accident de ski. Pris dans une avalanche, il a eu deux jambes cassées et une hernie sérieuse et le voilà menacé de perdre son poste. Il semble se faire peur constamment avec l’idée que sa vie est en danger et déclare d’emblée à Joyce McDougall : «J’ai peur de devenir fou». Avec McDougall, il entame un long voyage thérapeutique. L’exploration des phobies, des interdits, des non-dits, des rêves et des angoisses refoulés depuis sa petite enfance : un père ivrogne qui incarnait le danger de toxicité ; une mère qu’il adorait mais qui menaçait de le «dévorer» ; la peur des microbes entraînant une série rituelle de lavages auxquels il se soumet dès qu’il côtoie quelqu’un. Pierre avoue qu’il ne peut avoir des relations intimes avec une femme, tant il a peur d’attraper une maladie. Le monde entier autour de lui n’est que menace de mort. Et sa solitude grandissante, une raison de vouloir se supprimer. La psychanalyse s’est finalement avérée positive. Le patient est en voie de guérison. Il déclare aujourd’hui : «J’ai l’impression d’approcher de la surface. J’apprends à respirer de nouveau. Je sais maintenant que je veux vivre». Se référant brièvement aux buts de la médecine, de la psychiatrie et de la psychanalyse, la conférencière a toutefois mis en garde les spécialistes contre le danger «de laisser s’infiltrer en eux des sentiments de futilité, de mort psychique, lorsqu’ils sont confrontés au monde fragile, somato-psychique, voire gelé, de l’autre». Parallèlement, elle a insisté sur le respect de «l’équilibre personnel que chacun a trouvé, tout symptomatique qu’il puisse paraître». Et de rappeler que cet équilibre a été construit, contre la douleur physique et psychique, par l’enfant créatif qui est en nous. «C’est ainsi que nous pourrons espérer libérer le désir de cet enfant de vivre une vie pleinement adulte, une vie dans laquelle la santé physique et psychique règne. Et dans laquelle amour, haine et souffrance, n’étant plus redoutés, peuvent alors remplir leur fonction primordiale de protecteurs de la vie», a-t-elle dit. Joyce McDougall a conclu en rappelant aux médecins, psychiatres et psychanalystes qu’ils sont tous des survivants somatiques et psychiques. «C’est souvent notre propre passé, marqué par des traumatismes divers, qui a donné naissance à notre vocation de soignant et à notre désir de mieux comprendre les processus mystérieux de l’être humain. Avec chaque patient nous redécouvrons le sens profond de notre vocation…». Narcisse remplace Œdipe Historienne, psychanalyste, auteur de renom et directrice de recherches au département d’histoire de l’Université de Paris 7, Élisabeth Roudinesco affirme d’emblée que la cure psychanalytique complète «sans aucun doute» le traitement par le médicament psychotrope. Elle met toutefois en garde contre l’économie marchande qui tend non seulement à réduire le sujet à un objet, le corps à un produit, la psyché à un circuit neurophysiologique, mais aussi à favoriser «la montée en puissance des forces de l’occulte» et «la transformation de la religion en un repli intégriste». Retraçant brièvement l’historique de la psychanalyse, l’historienne de la psychanalyse souligne que le XIXe siècle a été celui de «l’affirmation de soi de la classe bourgeoise», et simultanément celui de l’enfermement psychiatrique qui permettait de définir une race des «exclus». Le XXe siècle est celui de la psychanalyse qui indique que le mal dont souffre le sujet moderne vient de l’intérieur de lui-même. Il est enfermé dans un malaise qui concerne la société entière. On ne peut pas donc l’exclure de la cité par un enfermement. Le siècle qui vient et d’ores et déjà celui de l’«épuisement», dû à une crise de confiance dans les vertus du système adaptatif aux États-Unis. C’est l’ère du «culte de soi» et du «souci thérapeutique» que les sociologues et les psychanalystes cataloguent comme «narcissique». Ils sont devenus les modèles d’une organisation de la société occidentale et ont permis l’explosion de thérapies diverses qui ont fleuri essentiellement aux États-Unis et plus encore dans la mythique Californie. On recense plus de 700 dans le monde, parmi lesquelles la sophrologie, la bioénergie, le Tai Chi, la méditation transcendentale, le cri primal, etc. «Elles ne sont que les modalités de cette affirmation de soi caractérisé par la volonté du développement personnel», dit-elle. C’est pourquoi les psychothérapies sont en plein essor. «Elles ne proposent ni classification ni description d’un vécu existentiel, mais répondent à l’affirmation de soi par un renforcement narcissique de la souveraineté de soi», dit la conférencière. En bref, Narcisse remplace Œdipe. On ne parle plus de refoulement d’un désir par exemple, mais d’une «insatisfaction existentielle», d’un «état amorphe et futile», d’une «désillusion chronique», etc. Elle signale l’élimination de toute la terminologie élaborée par la psychiatrie et la psychanalyse dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) rédigé par l’American Psychiatric Association (APA). «Calqué sur le modèle signe-diagnostic-traitement, il finit par éliminer de ses classifications la subjectivité elle-même». Mme Roudinesco signale également que le siècle qui vient semble privilégier l’épanouissement d’une notion de guérison conçue sur le modèle de «la chronicité et de la rémission». De même, elle se dit être frappée par cette nouvelle vague d’»auto-analyses» et des documents rédigés par les patients eux-mêmes, habitués désormais de prendre en charge le souci de soi. La littérature actuelle ressemble à des «récits de cures» où le sujet, «porteur d’un exhibitionnisme trompeur», se complaît dans son statut de victime. «Je souffre, donc j’accuse. Tel est le nouveau credo auquel il faut prendre garde», dit-elle. Le malade ne peut guérir que lorsqu’il sera capable de «prendre en compte l’exploration de l’inconscient et les catégories freudiennes», a conclu Élisabeth Roudinesco. L’appropriation de l’humain Toujours dans le cadre du danger du scientisme, le Dr Chawki Azoury a abordé le thème de l’«Appropriation de l’humain», en rapportant le témoignage d’une juriste et bioéthicienne américaine Lori Andrews. Un médecin dépose un brevet sur une lignée cellulaire d’un patient. Suite à un conflit, la Cour suprême de Californie établit que le patient n’avait pas de droit sur ses cellules, tandis que le médecin, lui, pouvait les revendiquer ! Il ne s’agit plus là de dépendance du patient par rapport à son médecin. Nous sommes désormais confrontés au problème d’appropriation. Et il semble que même en Europe la question ne soit pas tranchée. Ont également pris la parole à ce colloque le Dr Adnan Houballah, cofondateur de la Société libanaise de psychanalyse et directeur du Centre arabe de recherches psychologiques et psychanalytiques. Il a planché sur la problématique de la clinique psychosomatique. Patrick Guyomard, psychanalyste et maître de conférences au département de psychanalyse de Paris 8, s’est penché sur «la dimension éthique face à la demande». Alain Didier-Weill psychiatre, cofondateur du Mouvement du coût freudien, a raconté «Lacan psychiatre et psychanalyste» et Aldo Nouri a parlé de son expérience de pédiatre formé à la psychanalyse. La psychanalyse descend de sa tour d’ivoire pour relever les défis et repenser avec la médecine et la psychiatrie les sources communes d’une éthique. Le sujet qui souffre a droit à l’écoute et au transfert qu’elle induit ; mais il est surtout vital que ce transfert et la dépendance qu’il provoque cessent un jour.
Les progrès de la médecine et plus particulièrement des neurosciences offrent des perspectives riches d’espoir. Mais ils produisent aussi une idéologie, le scientisme, qui réduit le sujet à un neurone, et entraînent par-là même des questions éthiques auxquelles médecins, psychiatres et psychologues tentent de répondre. Réunis pendant trois jours à la clinique Rizk, des...