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Actualités - CHRONOLOGIES

Débat parlementaire - Une majorité conteste les orientations économiques contenues dans le budget - Violente attaque de Fattouche et du Hezbollah contre le gouvernement

Il est quand même inhabituel qu’un ministre se lève au beau milieu d’une séance parlementaire pour clamer haut et fort son opposition à la politique de l’équipe à laquelle il appartient. Le coup d’éclat du ministre du Travail Ali Kanso n’a pas manqué de surprendre : les parlementaires en étaient bouche bée. Il y en a même que cela semblait amuser un tantinet. Il n’a pas manqué d’irriter aussi : il suffisait de jeter un coup d’œil sur la mine assombrie du chef du gouvernement Rafic Hariri qui venait d’encaisser un sérieux coup d’un de ses ministres révélant devant les représentants du peuple et les télévisions locales – personne donc ne risque de le rater – que le gouvernement a décidé de réformer le système de retraite sans le consulter et sans tenir compte de son avis, lui, le ministre concerné. Mais revenons aux faits, à la chronologie des événements qui n’ont à aucun moment laissé présager, à l’ouverture du débat budgétaire, que la séance matinale allait prendre une tournure plutôt mouvementée. La séance s’ouvre sur un débat constitutionnel en bonne et due forme, initié comme toujours par l’infatigable et le tenace Hussein Husseini. Le député de Baalbeck-Hermel formule trois remarques qui alimenteront les discussions deux heures et demie durant. – Les députés n’ont reçu que lundi le projet de budget et son préambule. – Le projet de loi élaboré par le gouvernement n’a pas été joint au texte amendé en commission pour que les députés puissent les comparer. – Le préambule a été directement envoyé au Parlement sans qu’il ne soit examiné et approuvé en Conseil des ministres. Si M. Husseini se laisse convaincre par les explications de M. Berry sur les deux premiers points – des copies des projets du budget ont été posées samedi dans les casiers de chaque député et c’est par omission que le texte élaboré par le gouvernement n’a pas été joint à celui qui avait été amendé en commission –, il reste pratiquement imperméable à l’argumentation de tous ceux qui tentent de lui expliquer les raisons pour lesquelles le préambule du budget n’a pas été approuvé en Conseil des ministres. MM. Nabih Berry, Rafic Hariri et Ali el-Khalil, ancien ministre des Finances, expliquent que la transmission du texte directement au Parlement sans approbation préalable en Conseil des ministres n’a rien d’illégal, car «elle fait partie d’une coutume vieille de cinquante ans». L’intervention de Moustapha Saad, celle qui mettra plus tard le feu aux poudres, passe presque inaperçue. Le député de Saïda et M. Omar Karamé reprennent à leur compte les remarques de M. Husseini. Mais le premier en rajoute en demandant au ministre du Travail des explications sur un point du préambule du budget, relatif à la révision du système de retraite. Le président de la Chambre lui demande de patienter et poursuit sa discussion avec M. Husseini. Visiblement, il est pressé d’en finir coûte que coûte avec le budget avant la clôture de la session parlementaire extrordinaire, demain, jeudi. «Qu’en pensez-vous ?» répond-il taquin à M. Husseini qui revenait à la charge après la lecture par M. Fouad Siniora d’un article de la loi sur la comptabilité publique stipulant que le ministre des Finances peut directement transmettre à la Chambre le préambule du projet de budget. M. Husseini contre-attaque et donne lecture d’un autre article de la Constitution précisant que tout projet de loi doit être transmis au Parlement avec son exposé des motifs approuvé du gouvernement. Mais le ministre des Finances est loin de se déclarer vaincu : «Quand il y a une loi spécifique, c’est elle qui prévaut». M. Berry vient à sa rescousse pour expliquer en substance qu’on ne va pas changer aujourd’hui une coutume en vigueur depuis une cinquantaine d’années et le débat prend fin sur cette idée. Successivement, MM. Fayez Ghosn et Fouad Siniora donnent lecture des rapports de la commission et du ministère des Finances. Le président de la Chambre complimente M. Siniora pour son éloquence : «Si seulement la valeur de la livre pouvait s’améliorer autant que votre expression arabe». Et le plus naturellement du monde, il prie le ministre du Travail de répondre au député de Saïda. Il était à des lieues d’imaginer qu’il venait de donner son feu vert à une diatribe ministérielle qui devait donner un coup dur au principe de la solidarité gouvernementale et relancer du coup le débat sur la légalité de la transmission du préambule du budget à la Chambre sans qu’il ne soit approuvé en Conseil des ministres. «J’aurais bien aimé ne pas me tenir ici aujourd’hui et révéler que quelque chose ne va pas. Mais tout cela ne se serait pas produit si le préambule du budget n’avait pas contenu des orientations générales qui n’ont pas été approuvées par le gouvernement et qui étaient contestées par des ministres», déclare d’une voix de stentor M. Kanso, ce qui amène un des fonctionnaires de la Chambre à baisser le volume du micro. Le ton est ainsi donné. Ce que M. Kanso explique longuement et surtout sèchement, c’est qu’il est farouchement hostile au projet de «capitalisation de la CNSS pour qu’elle devienne une sorte d’assurance et qu’elle perde sa vocation principale» et qu’il en avait discuté avec M. Hariri. Le débat prend fin en queue de poisson La Chambre a à peine le temps de reprendre son souffle que M. Boutros Harb intervient pour souligner qu’il n’est plus possible de ne pas tenir compte du problème posé. «À moins qu’on ne demande à chaque ministre de se lever et de donner son point de vue», ajoute-t-il. Le débat se prolonge, interminable. Les interventions se multiplient, tantôt complémentaires, tantôt contradictoires. MM. Mohammed Raad et Omar Karamé insistent sur le fait qu’il faudra régler ce problème pour l’année prochaine et considérer que le préambule du projet de budget est en fait son exposé des faits. «On laisse donc tomber pour cette année et on en tiendra compte à partir de l’an prochain» : M. Berry est tout content d’avoir trouvé une issue au problème. C’est au tour du chef du gouvernement de prendre la parole. Commentant les propos de M. Husseini, il note que «des dizaines de lois doivent être amendées parce qu’elles ne sont plus compatibles aujourd’hui avec des articles de la Loi fondamentale, dont justement la loi sur la présidence du Conseil. Nous ne pouvons pas les ignorer en faveur de textes constitutionnels généraux. Et nous n’avons aucun inconvénient à modifier des lois pour qu’elles soient compatibles avec la Constitution». Il s’engage à élaborer des projets de loi en ce sens. Le débat est clos. Un peu en queue de poisson puisqu’on ne sait toujours pas si la trasmission du préambule du budget directement à la Chambre est ou non réglementaire. M. Hariri sort dès que les interventions parlementaires commencent. Un peu plus tard, MM. Kanso et Saad lui emboîtent le pas. Mission accomplie pour chacun des deux ? Premier à prendre la parole, Ali el-Khalil réclame d’emblée la mise en place d’un plan de redressement économique «dont le projet de budget doit faire partie intégrante». Rétrospectivement, il retrace la régression annuelle de la croissance économique dont la moyenne est passée selon lui de 6, 5 % entre 1992 et 1995 à 0 % en 2000 «et qui se chiffrera entre 1 % et 0,5 % cette année et non pas entre 3 % et 5 % comme le prévoit le gouvernement». M. Khalil estime que le plan d’action du CDR ne peut en aucun cas remplacer un plan de redressement. Il constate aussi qu’«en dépit de la légère amélioration de certains indices économiques, les indices monétaires continuent de régresser sensiblement car la politique de stabilité monétaire repose sur le relèvement des taux d’intérêt sur les bons du Trésor, entraîne une croissance substantielle de la dette publique et de ses intérêts et se répercute négativement sur la croissance et sur le volume des investissements et des exportations». De manière générale, les sept députés qui se sont succédé à la tribune sont excessivement critiques à l’égard des orientations économiques du gouvernement qu’ils ont jugées plutôt décevantes et ne manquent pas de reprocher à l’Exécutif son obstination à vouloir s’attaquer au dossier économique sans réaliser une réforme politique, indispensable, selon eux, pour favoriser une croissance. C’est, en gros, le principal élément de l’intervention de M. Mikhaël Daher, qui reproche vivement à l’Exécutif de ne pas tenir compte du fait qu’il faut impérativement instaurer un climat politique stable et calme pour que son programme économique soit couronné de succès. «Ce qui s’est passé en fait, c’est que l’Exécutif ne s’est préoccupé que des questions économiques et s’est soucié peu du rôle qu’il doit assumer sur le plan politique afin d’instaurer un climat propice à une croissance en engageant un dialogue autour des sujets conflictuels», dit-il. L’ouverture d’un dialogue national doit être prioritaire pour le gouvernement, estime M. Daher, qui juge que le chef du gouvernement «aurait dû multiplier les contacts et les réunions politiques sur le plan interne», «En s’abstenant de lancer des initiatives pour le dialogue afin d’unifier les Libanais autour de concepts nationaux uniques, que ce soit au sujet de la souveraineté, de l’indépendance et de la liberté de décision libanaise ou des relations avec la Syrie (le gouvernement a contribué) à bloquer l’effet de toutes les initiatives économiques. Le désespoir, le désenchantement et les crises socio-économiques se sont exacerbés et le manque de confiance des Libanais dans leur système et leur État a augmenté», poursuit M. Daher. Le dossier des relations libano-syriennes Le député du Akkar est le premier à aborder le dossier des relations libano-syriennes. Albert Moukheiber était absent hier. MM. Gebrane Tok et Wajih Baarini lui emboîtent le pas. Le député de Bécharré part du principe que «la politique est souvent à l’origine de la plupart de nos crises économiques et financières», soulignant que «le dialogue interne reste une priorité». Il juge nécessaire d’assainir les relations libano-syriennes. «Le dialogue libano-syrien doit se limiter aux deux États et tenir compte de la souveraineté et de l’indépendance des deux pays sur base d’un respect mutuel afin qu’il cesse d’être une matière à conflit», déclare M. Tok, qui considère dans le même temps que les développements régionaux commandent le maximum de coordination entre Beyrouth et Damas. «Si nous soulevons cette question en ce moment, c’est parce que nous sentons que les tensions qui prévalent sur le double plan interne et régional affectent directement la situation économique et monétaire et retardent les investissements», poursuit-il, avant de formuler une série de remarques sur les processus de réforme administrative, de privatisation, de développement des secteurs productifs et de réduction de la dette publique. Prenant le contre-pied du discours du député de Bécharré, M. Baarini défend vivement la présence syrienne au Liban, qu’il situe dans un cadre de «défense stratégique». Abbas Hachem réserve une petite part de son discours au volet politique qu’il axe sur les récentes polémiques, mettant en garde contre l’exacerbation du confessionnalisme dans le pays. Il est particulièrement virulent en commentant la politique économique du gouvernement, qui se limite en substance, à ses yeux, à une «simple rhétorique qui multiplie les promesses». Sceptique, M. Hachem s’interroge sur les moyens que le gouvernement emploiera pour stimuler une économie productive au lieu d’une économie spéculative au moment où les intérêts servis sur les bons du Trésor se situent autour de 9,75 % alors que le Libor ne dépasse pas les 4 %. «Cela pousse les banques libanaises et internationales à financer le déficit de l’État plutôt qu’à accorder des prêts au secteur privé, ce qui bloque la masse monétaire», explique-t-il. Le député de Jbeil reproche au gouvernement de concentrer ses efforts sur la réduction du service de la dette «en oubliant qu’il est nécessaire de songer à atténuer régulièrement une partie de la dette». Ses remarques sur la gestion du dossier économique et financier sont nombreuses. M. Hachem demande entre autres au gouvernement de lui expliquer «comment il s’y prendra pour préserver la stabilité monétaire alors que les réserves de la Banque du Liban en devises diminuent progressivement». À l’instar de M. Daher, le député Élie Aoun juge utopique de «songer à une réforme économique sans réforme politique préalable». «Il est inutile de faire le tour des capitales, de tenir des congrès et de chercher des solutions à l’étranger alors que le déséquilibre se situe chez nous», déclare-t-il. Commentant le préambule du budget, il constate que le déficit budgétaire représente 20 % du PIB alors que la dette publique constitue près de 180 % du PIB et que le service de la dette engloutit 88 % «au moins» des recettes de l’État. Dernier à prendre la parole, Sami Khatib prononce son discours dans un hémicycle pratiquement vide. «Grâce à Dieu, cinq ministres sont restés pour nous écouter», lance-t-il mi-figue, mi-raisin, avant d’approuver les orientations économiques définies dans le projet de budget qu’il trouve quand même similaire aux précédents. «Mais cette fois au moins, le texte propose un programme», fait-il remarquer. Les rimes de Fattouche Si Ali Kanso a été la star de la séance matinale, deux députés se sont démarqués de leurs collègues par la virulence de leurs critiques à l’encontre du gouvernement : Nicolas Fattouche et Ibrahim Bayan. Le premier suscite l’admiration de ses collègues par son éloquence et le langage fleuri, étayé d’innombrables citations et de références à des évènements historiques, qu’il emploie pour descendre le gouvernement Hariri. Une demi-heure durant, le sourire aux lèvres, il admoneste l’Exécutif à coups de phrases rimées sur son «incapacité à écouter». «Notre gouvernement n’écoute que l’étranger, les Wolfensohn et les Prodi. On ne craint pas l’exacerbation du déficit budgétaire mais les politiques d’atermoiements et les prises de position irresponsables». Il reproche au gouvernement de ne pas tenir compte des difficultés socio-économiques. «Il est temps de songer à édifier non pas un État de droit, mais un État-providence, un État digne et sage», dit-il. Inlassablement, M. Fattouche, qui s’exprimait au nom de son bloc parlementaire, fustige un gouvernement qu’il accuse pêle-mêle de ne pas respecter les lois, de «leurrer» l’opinion par son discours politique, de pratiquer l’écoute téléphonique… S’étaient-ils concertés ? Le député de Zahlé et Ibrahim Bayan posent les mêmes questions : «De quelle croissance parle-t-on ? Nous sentons que tout croît à l’envers. Nous voulons voir un plan économique et sous le mandat du gouvernement actuel, c’est le discours confessionnel qui s’est accru, c’est l’anarchie», tonne M. Fattouche. Le député du Hezbollah est encore plus violent. On s’y attendait un peu, il faut le dire, depuis que l’organe de presse du chef du gouvernement avait critiqué la dernière opération anti-israélienne de Chebaa. L’intervention d’Ibrahim Bayan démontre bel et bien que le Hezbollah est loin d’avoir pardonné à M. Hariri sa prise de position. Sans le nommer, le député de Baalbeck accuse le chef du gouvernement de «vouloir saboter les réalisations de la Résistance en parlant d’un “mauvais timing” pour ses opérations». Lui qui n’a jamais été intéressé que par le développement pédagogique et les problèmes de l’enseignement fustige la politique économique du gouvernement «Mais où est donc la croissance promise ? La seule croissance que nous avons pu constater est négative. C’est la croissance de la dette publique, du chômage, de la corruption administrative et du détournement de fonds publics». «Comme vous aviez raison quand vous aviez dit que le gouvernement réglait les problèmes économique comme s’il traitait le cancer avec de l’aspirine», lance-t-il à l’adresse de M. Berry. En soirée, le gouvernement est sérieusement malmené. L’intervention de M. Anouar el-Khalil, qui réclame des précisions sur les réunions du ministre de l’Économie au FMI, qui conteste les chiffres du budget ainsi que l’opportunité de la conversion de la dette interne en dette externe, met M. Hariri hors de lui. D’un bond, le Premier ministre se lève pour démentir le député, l’accusant de leurrer l’opinion avec de faux chiffres qu’«elle risque de croire». Et c’est M. Berry qui intervient pour calmer le jeu. En vain. Le chef du gouvernement hurle presque en reprochant à M. Khalil d’être hostile à la conversion de la dette interne en dette en dollars parce qu’il est propriétaire d’une banque et qu’il sera lésé par une telle démarche. «Je vous rappelle que vous êtes vous aussi propriétaire d’une banque», rétorque le parlementaire piqué au vif. M. Georges Dib Nehmé se joint au groupe de députés qui plaident en faveur d’une réforme politique qui instituera un climat propice à un redressement économique. «Ce qui est requis, c’est un budget politique et non pas seulement financier», fait-il valoir en estimant que le gouvernement se doit de concilier «entre les mesures à long terme et les solutions rapides» à la crise économique. M. Nehmé commente également le projet d’unification des deux sections de l’Université libanaise. Pour lui, ce qui importe c’est l’unification non pas des bâtiments mais de la politique pédagogique. «Le problème réside dans la mentalité politique qui est à l’origine de la violation du principe de l’autonomie de l’UL», affirme-t-il avant de plaider en faveur d’une décentralisation de l’enseignement supérieur qui ne peut être que bénéfique pour les régions rurales. MM. Mohammed Yéhia, Mohammed Hajjar, Jean Oghassapian et Mahmoud Houjayri se succèdent à la tribune. L’hémicycle se vide peu à peu. Ils sont en tout une dizaine de députés et de ministres à écouter l’intervention de M. Houjayri. La séance est levée à 22h. Le gouvernement aura passé sans trop de dégâts la première journée du débat budgétaire. C’est surtout sa cohésion qui en a été affectée.
Il est quand même inhabituel qu’un ministre se lève au beau milieu d’une séance parlementaire pour clamer haut et fort son opposition à la politique de l’équipe à laquelle il appartient. Le coup d’éclat du ministre du Travail Ali Kanso n’a pas manqué de surprendre : les parlementaires en étaient bouche bée. Il y en a même que cela semblait amuser un tantinet. Il...