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Actualités - REPORTAGES

REPORTAGE - Plus d’une dizaine de voitures dynamitées en quelques mois - À Houla, la tension est vive et la loi du silence règne

Jadis qualifiée de rouge (en raison de la forte implantation du PCL), Houla a longtemps été un bastion de la Résistance. Depuis 1948, lorsqu’elle a perdu une centaine de fils tués par les Israéliens, cette localité collée à la frontière n’a pas cessé de se battre, mais la libération ne lui a pas apporté la sérénité. Un an après l’euphorie qui a accompagné le retrait de Tsahal, elle vit dans un climat de peur et de tension. Règlements de comptes, tentatives de déstabilisation, à Houla, le cauchemar est sans cesse recommencé. Le printemps de Houla n’a pas tenu ses promesses. Si, dans cette région verdoyante, les rosiers sont en fleurs, la paix n’est pas encore dans les cœurs. Situé à l’extrême pointe du Sud, entre Kfarkila et Markaba, ce village longe la frontière israélienne et dès leur naissance, ses habitants ont chaque matin pour horizon, les collines de ce qui fut la Palestine. Les plus vieux se souviennent d’ailleurs de cette époque, lorsque la frontière n’en était pas vraiment une et que, des deux côtés du fil barbelé, la terre était encore arabe. Le village des cent martyrs Hussein Mohamed Daher a la nostalgie de cette époque. Le vieil homme a vécu tous les remous de la région depuis plus de 50 ans et lorsque l’an dernier, l’incroyable est devenu réalité, il a cru que c’était enfin la récompense attendue après tant d’années de lutte. Hélas, la libération dont il a si longtemps rêvé, sans trop y croire à la fin, n’a pas été à la hauteur de ses attentes. Il espérait pouvoir finir ses jours en paix, après la réalisation de son rêve le plus fou, mais depuis quelques mois, il dort mal, les nuits de Houla étant de plus en plus troublées par des explosions. Plus d’une dizaine au cours des trois derniers mois, visant chaque fois des voitures appartenant à des habitants du village. La rumeur publique veut que les propriétaires des voitures dynamitées soient d’anciens collaborateurs d’Israël, notamment des membres de l’ex-ALS, mais aucun habitant du village ne veut confirmer ces soupçons. «Ce n’est pas à nous de le faire, clame le moukhtar Mohamed Nasrallah. Les forces de sécurité mènent une enquête, c’est à elles d’en dévoiler les résultats. Nous, nous ne savons rien». Le moukhtar donne avec colère le ton. A Houla, c’est la loi du silence qui règne. Même les propriétaires des voitures dynamitées refusent de parler, affirmant qu’ils attendent l’enquête judiciaire. Dans ce village qui aurait bien mérité un peu de sérénité, la tension est palpable et s’exprime par l’extrême discrétion des habitants. Dès qu’on aborde les explosions nocturnes, les visages en effet se ferment et l’expression affable s’évapore. Houla craint désormais la paix comme si celle-ci était devenue synonyme de dissensions internes. Hussein Daher préfère parler du passé, un passé glorieux, surtout pour lui qui a, par miracle, survécu au massacre de cent personnes par les Israéliens en 1948. À l’époque, raconte le vieil homme, l’État d’Israël venait d’être proclamé et une armée arabe appelée l’armée de sauvetage venait d’être levée regroupant des unités de la plupart des pays arabes et destinée à combattre le nouvel État hébreu. Une unité de cette armée était postée dans la région de Houla. Un jour, cette unité a reçu l’ordre de se retirer car elle devait être remplacée par une autre. Mais au lieu des soldats de l’armée de sauvetage arabe, les habitants de Houla ont vu arriver les combattants d’Israël. Ceux-ci ont encerclé les habitants et répertoriant une centaine d’hommes, ils les ont tués, créant ainsi les premiers martyrs libanais dans la guerre contre Israël. D’ailleurs, au milieu du village, un cimetière est consacré aux cent victimes de 1948. Que fait l’État ? C’est à ce massacre que Hussein Mohamed Daher a survécu, ayant réussi à échapper à la vigilance des Israéliens. Depuis, il fait figure de miraculé, de héros au village. Un village qui, depuis 1948, n’a jamais cessé de se battre contre Israël tout proche. Lorsqu’au début des années 80, la Résistance a été véritablement lancée, Houla était l’un des principaux théâtres des opérations, le PCL y étant bien implanté et la Résistance étant encore laïque. Ce village qui compte plus de 12 000 habitants a donné beaucoup de fil à retordre aux Israéliens, qui malgré 22 ans d’occupation et des mesures souvent draconiennes n’ont pas réussi à recruter plus de 20 personnes pour les enrôler dans l’ALS. Dix sont encore réfugiées en Israël et les dix autres sont emprisonnées dans les geôles libanaises, purgeant des peines relativement légères variant d’un à trois ans de prison. Pourquoi dans ce cas, ces agressions nocturnes ? Les habitants ne savent pas quoi répondre. Le Dr Ali Chraim, dentiste originaire du village s’étonne du fait que les enquêteurs n’aient pas jugé bon de mener le moindre interrogatoire. Le moukhtar au caractère un peu vif renchérit : «Imaginez qu’il y a plus de dix agressions, mais personne n’a été arrêté, ni interpellé, ni même interrogé. Alors pourquoi voulez-vous que nous parlions nous ? Si les autorités compétentes ne prennent pas la moindre initiative, est-ce aux habitants de le faire ?». Si les nuits de Houla sont souvent secouées par des explosions nocturnes, ses soirées et ses journées sont plutôt mornes. Depuis la libération, ce fut la course entre le Hezbollah et Amal pour s’implanter au village et finalement, c’est le parti intégriste qui semble avoir gagné la partie, mais Amal n’en est pas moins présent sur place et justement, ce que craignent par dessus tout les habitants du village, c’est que les explosions nocturnes, sous couvert de règlements de comptes avec d’anciens collaborateurs d’Israël, ne cachent en réalité une lutte ouverte entre Amal et le Hezbollah pour le contrôle de la région. «On veut provoquer la discorde entre ces deux mouvements» confie Hassan qui vient d’ouvrir un petit snack sur la route principale. Mais que fait donc l’État ?». C’est la question qui est sur toutes les lèvres. Pourquoi l’enquête n’avance-t-elle pas et rien n’est divulgué à ce sujet ? «Si personne n’est arrêté, c’est que les coupables sont bien protégés. Est-il possible qu’en un an, les poseurs des bombes nocturnes n’aient pas pu être identifiés ?», se demande encore Hassan. Les déçus de la libération Les habitants de Houla ont le sentiment qu’un complot terrible est en train d’être fomenté contre leur village et peut-être contre l’ensemble de la zone libérée. Mais ce qu’ils ne s’expliquent pas c’est le manque de réaction officielle. Ils ont tellement peur qu’ils n’osent même plus dire si les personnes visées par les attentats sont d’anciens collaborateurs de la milice pro-israélienne. «Comment l’affirmer ? s’écrie le moukhtar. Je ne peux pas me permettre d’accuser qui que ce soit, puisque je ne possède aucune preuve. Et puis que cherchez-vous en posant toutes ces questions ? Créer de nouveaux problèmes ?» Dans le village collé à la frontière, la prospérité demeure un rêve lointain et la sérénité un mirage. Un peu comme dans tout le Sud retrouvé, le nombre des déçus de la libération augmente, mais nul ne se risquerait pourtant à dire que «c’était mieux avant». «Ah non, pas du tout, commente le Dr Chraim. Nul ne peut imaginer les humiliations subies par les habitants de la zone occupée. La peur ne nous quittait pas un instant. Dès l’après-midi, chacun s’enfermait chez soi et tout le monde se méfiait de tout le monde. Aujourd’hui, nous sommes entre nous et nous vivons presque normalement. Mais nous espérions plus, c’est tout». Les habitants espéraient surtout une sécurité plus solide. Et à voir le bâtiment délabré de la gendarmerie où les FSI ont élu domicile, on les comprend aisément. La petite pancarte passe d’abord inaperçue. Ensuite, l’entrée de l’immeuble dont la construction n’a jamais été achevée est difficilement trouvable. Enfin, il faut gravir un escalier recouvert de gravats pour rencontrer les gendarmes. Serviettes sur l’épaule et l’allure débraillée, ils ont l’air de tout sauf de gardiens de l’ordre. En tout cas, ils se gardent bien de frayer avec les journalistes, affirmant ne pas pouvoir faire la moindre déclaration. Ce qui est sûr, c’est que les moyens à leur disposition semblent dérisoires : une jeep cabossée et un appartement inachevé en guise de local. Certes pas de quoi décourager les agresseurs, qu’ils soient des résistants révoltés par «la clémence des autorités» envers les anciens collaborateurs d’Israël et décidés à faire justice eux-mêmes ou des éléments d’un vaste complot visant à la déstabilisation de la région. En attendant l’issue de l’enquête officielle, Houla baigne dans la déception et la tension ne cesse d’y monter. Un an après, la libération n’a pas tenu ses promesses.
Jadis qualifiée de rouge (en raison de la forte implantation du PCL), Houla a longtemps été un bastion de la Résistance. Depuis 1948, lorsqu’elle a perdu une centaine de fils tués par les Israéliens, cette localité collée à la frontière n’a pas cessé de se battre, mais la libération ne lui a pas apporté la sérénité. Un an après l’euphorie qui a accompagné le retrait de...