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Actualités - OPINIONS

Blanc-parler

Le dos s’est encore courbé, la silhouette s’est un peu plus tassée, la démarche s’est alourdie, la parole n’est plus que murmure, et des paupières lasses ne filtre plus qu’un bien mince rai de lumière. Et quelle force pourtant que celle de cet homme usé par les ans et les innombrables combats ; quelle détermination que celle de cet auguste globe-trotter qui en est à son 93e voyage pontifical, qui a fait trente fois le tour de la planète et qui, après son pèlerinage sur les pas de saint Paul – son chant du cygne, imaginait-on –, s’apprête à visiter bientôt l’Ukraine en attendant, peut-être, l’Océanie du bout du monde ! C’est sous le signe du dialogue interreligieux qu’est placée l’actuelle tournée de Jean-Paul II ; mais parce que après tout les hommes ne sont que des hommes, les plus spirituelles, les plus aériennes des démarches ne peuvent le plus souvent échapper aux exégèses politiques. Ainsi le «pardon» demandé à Athènes par le pape, pour les Croisés qui ont péché contre les grecs-orthodoxes, n’a pas suffi à lever les préventions de l’Église russe ; et les accusations de «prosélytisme» et même de «persécutions» lancées par celle-ci contre les catholiques d’Ukraine paraissent augurer d’âpres compétitions, à prolongements forcément politiques, sur plus d’un territoire de l’ex-Union soviétique. À peine arrivé hier à Damas, Jean-Paul II, venu prôner un dialogue de paix entre les trois grandes religions monothéistes (premier pape à prier dans une synagogue, il sera aussi le premier à pénétrer dans une mosquée, celle des Omeyyades), s’est trouvé pris dans les bourrasques du conflit proche-oriental. Devant son illustre hôte, le président Bachar al-Assad ne s’est guère embarrassé de considérations célestes pour fustiger Israël en remontant jusqu’aux temps bibliques et réclamer le soutien du Vatican aux Arabes, victimes de l’oppression. Le Saint-Père lui-même ne s’est pas fait faute de critiquer implicitement Israêl en appelant au respect de la légalité internationale, qui interdit notamment l’acquisition de territoires par la force. Avec plus de vigueur encore que ces propos, la visite qu’effectuera le pape à la cité-fantôme de Kuneitra illustrera la franche caution du Saint-Siège à l’imprescriptible syrianité du Golan. Avec la Syrie, à laquelle il a réservé la partie la plus longue de son périple, Jean-Paul II n’aura été avare ni de témoignages publics ni de gestes d’éclat. C’est en Syrie, a-t-il rappelé lors d’une rencontre œcuménique hier à Damas, que des communautés chrétiennes fuyant la persécution ont trouvé un refuge. Le pape sait fort bien d’ailleurs que les chrétiens de Syrie, pays arabo-islamique à système laïque, vivent dans une quiétude que leur envient bien de leurs coreligionnaires d’ailleurs. Le même pape, cependant, est loin d’ignorer la vieille et grave crise de confiance, éminemment politique celle-là, entre la Syrie et les chrétiens du Liban, notamment les maronites dont le chef spirituel est absent comme on sait des cérémonies de Damas. Le patriarche Sfeir devait-il répondre à l’invitation des chefs des Églises d’Orient résidant dans la capitale syrienne et aller s’associer à l’accueil du pape, ce qui, affirment les uns, aurait permis de briser la glace entre lui et le régime néo-Assad ? En l’absence du moindre geste de la part des autorités syriennes, n’aurait-il pas paru ainsi faire l’impasse sur les principes qu’il défend avec acharnement depuis des années comme le pensent tous ceux qui approuvent la décision de Bkerké, laquelle a été suivie par l’ensemble des congrégations libanaises ? Discussion byzantine, c’est bien le cas de le dire : si lourd en effet est le contentieux que dans les deux hypothèses, l’attitude du cardinal Sfeir, même déclinée dans sa stricte dimension religieuse, aurait inévitablement donné lieu à des interprétations, elle aurait bel et bien été perçue comme un acte politique. Tout cela porte à croire que la question libanaise ne sera pas absente, elle, des échanges en tête à tête qu’aura aujourd’hui le pape avec le jeune président de Syrie. Le fait est que Jean-Paul II nourrit une affection particulière pour notre pays, en lequel il voit un précieux modèle de coexistence. Il ne s’est jamais fait faute de plaider, devant les instances les plus diverses, pour la stabilité, l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale du Liban. Cet homme est venu prêcher le dialogue entre adeptes de Dieu, d’Allah et de Jéhovah, une même et unique entité divine : un dialogue entre les fidèles des trois religions d’Abraham, entre sociétés ennemies, sans lequel, soutient-il, aucune paix n’est possible. Qu’en serait-il donc Saint-Père, on vous le demande, entre sociétés sœurs, sociétés voisines, sociétés légalement alliées, unies dans un même combat contre l’occupant, mais dont l’une s’obstine à dénier à l’autre l’éventualité même d’un dialogue ?
Le dos s’est encore courbé, la silhouette s’est un peu plus tassée, la démarche s’est alourdie, la parole n’est plus que murmure, et des paupières lasses ne filtre plus qu’un bien mince rai de lumière. Et quelle force pourtant que celle de cet homme usé par les ans et les innombrables combats ; quelle détermination que celle de cet auguste globe-trotter qui en est à...