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Actualités - CHRONOLOGIES

EN COULISSES - « Les Sept contre Thèbes », version la MaMa - Quand une tragédie grecque est chantée, - dansée et jouée à off-off Broadway

«Well, honey, you can do anything you want». C’est par cette phrase prononcée avec son accent mélodieux qu’Ellen Stewart, alias la MaMa, accueille les artistes, metteurs en scène ou scénaristes qui, frappant sa porte, lui expriment leur désir de travailler au sein de la MaMa ETC. Mais cette fois-ci, c’est son spectacle à elle qu’elle prépare avec tant d’acharnement. Revenant à ses premières amours – le théâtre grecque – elle met en scène sa propre adaptation de la pièce d’ Eschyle, Les Sept contre Thèbes. Un spectacle qui s’inscrit dans la tradition off-off Broadway la MaMaienne la plus pure puisqu’il implique danses, chants, combats, feu et flammes, explosions, musique live et textes en grec. En ce jour exceptionnel de mai, le soleil cogne dur sur les murs immaculés de l’ancienne usine où Ellen Stewart a installé sa fabrique de théâtre. Plutôt qu’une usine, un paquebot gris sur les flancs duquel deux balcons semblent deux ponts pour la promenade. Mais la croisière est studieuse : il s’agit de faire naître une fois encore un univers microscopique aux dimensions d’un monde, d’accompagner une poignée de gens dans leur désir d’exister, plus beaux, plus musclés, plus doués. Bref, plus conformes à l’image du genre humain que leur renvoient les magazines. Plus conformes à l’image des acteurs du show-business. À l’intérieur, la fabrique ressemble à l’un de ces mondes utopiques dont le XIXe siècle eut le secret : une société entière s’y inscrit, solidaire, interdépendante, corps artistique uni. Et dans l’entre-deux, dans l’antre-deux, l’atelier costume, l’atelier décor, la garde-robe, garderie des robes, et autres vêtures confectionnés par Selcuk, styliste turc. Dans l’entresol encore, des bureaux où la machinerie fonctionne à plein pour alimenter les tournées en cours. En ce jour de répétition, donc, imaginez une salle au plafond très haut. Pour aménager des coulisses, on a tendu des murs de toile. Quand les acteurs font mine de se cogner en passant des portes trop basses, l’effet comique se double d’un effet surréaliste : ceci est un mur, mais oui. Sur les chaises, au premier rang, s’alignent les maîtres d’ œuvre : assistants, techniciens, la MaMa. Elle, comme une écolière, notant, intervenant parfois d’une voix douce, souvent à cor et à cri. Rien ne lui échappe. Surtout pas les accessoires, péchés mignons et dérisoires exposés par catégories : masques, perruques, colliers, coupes et armes étincelantes. «Stop, stop !», hurle-t-elle. Corrige une position, admoneste un acteur, puis lance une blague en riant et guettant, tel un enfant, le rire de ses compagnons. Bon public, mais œil de lynx : «Steffano ne va pas assez vite. Valois part un peu tard. On recommence». C’est aussi simple que ça. C’est-à-dire atrocement compliqué : «Il y a deux écritures, dit-il, celle du scénario et celle de la scène. Si l’on pouvait transcrire toutes ces tentatives, ce serait comme un brouillon d’écrivain». On la croit. De même qu’on croit Meredith, chanteuse lyrique embrigadée dans ce spectacle off-off Broadway : «C’est la même chose qu’un air d’opéra : plus la ligne est simple, plus c’est difficile». Car on chante beaucoup dans Les Sept Contre Thèbes. Et en grec s’il vous plaît. À vrai dire, la MaMa terrorise son petit monde. Avec les 25 acteurs, cela en fait du monde ! Seulement cinq membres de cette troupe font partie de la famille de la MaMa. Ils travaillent avec Ellen Stewart depuis 20, 10 ou 7 ans. Les autres sont de nouvelles recrues. Ils viennent des quatre coins du monde, ont des formations et des backrounds totalement différents. Des Japonais, des Italiens, des Allemands, des Afro-américains… Pour eux, faire partie d’un spectacle signé la MaMa signifie un nouveau tournant ou plutôt un départ accéléré. «Il n’est pas facile de travailler sous ses directives, note Julia, 29 ans. Elle a des illuminations, des coups de génie qui lui font oublier ce qu’elle nous a fait faire auparavant. Il faut tout refaire alors. Mais elle est comme cela. Il faut s’y adapter». Raine, jeune assistante d’Ellen Stewart, me tend le script. Sur la première page, le synopsis : «Polynice est le frère d’Etéocle et tous deux sont les fils d’Œdipe. À la suite du départ d’Œdipe, frappé par la malédiction, les deux frères s’emparent du pouvoir et se promettent mutuellement de régner à tour de rôle, un an chacun. Mais Etéocle entend garder le trône pour lui seul. Polynice, aidé de son beau-père, met le siège devant la ville. Voici l’expédition des “Sept contre Thèbes” : sept champions se présentent devant les sept portes et les deux frères se retrouvent, face à face. Ils s’entretuent et Créon prend les rênes du pouvoir. Etéocle a droit aux honneurs du héros, mais la dépouille de Polynice est promise aux vautours. Sa sœur Antigone, prête à affronter la mort et la justice humaine, brave l’interdit pour ensevelir son frère». Sur les planches, les acteurs forment un grand cercle. Ils s’échauffent la voix. On entame ensuite les répétitions vocales. Trois musiciens les accompagnent avec tambours et percussions. Une heure plus tard, une pause café est déclarée. Vous croyez que ces jeunes dynamiques se précipitent sur leurs coffee cups ? Que nenni. Ils en profitent pour faire des exercices de respiration, de yoga, de stretching, de saut à la corde. Quelques-uns esquissent des pas de danse. D’autres s’initient à des acrobaties de tout genre. «On a déplacé les gradins pour les intégrer à l’espace scénique», explique Ellen Stewart. De part et d’autre de la salle, des marches mènent d’un côté vers la ville de Thèbes et de l’autre vers Argos. Les acteurs se déplacent à différents niveaux, montent et dévalent les escaliers, l’action se déroule à plusieurs endroits simultanément. «En faisant de la sorte, j’ai essayé de reconstituer le cadre de Baalbeck. Un espace magnifique et unique», se souvient la MaMa, nostalgique. Rappelons qu’Ellen Stewart avait présenté au Festival de Baalbeck en 1972 sa Médée, mise en scène par Andrei Serban. Cette femme généreuse qui transforme la vie de tous ceux qui l’approchent de près ou de loin, qui rend les rêves réalité et qui se met en quatre pour aider les artistes du monde, possède aussi son rêve à elle : reconquérir le temple de Jupiter. Un jour, peut-être, lui dira-t-on :«Well, honey, you can do anything you want».
«Well, honey, you can do anything you want». C’est par cette phrase prononcée avec son accent mélodieux qu’Ellen Stewart, alias la MaMa, accueille les artistes, metteurs en scène ou scénaristes qui, frappant sa porte, lui expriment leur désir de travailler au sein de la MaMa ETC. Mais cette fois-ci, c’est son spectacle à elle qu’elle prépare avec tant d’acharnement. Revenant...