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Actualités - REPORTAGES

De victoires en défaites, un parcours tumultueux

Ce fut principalement contre les Arabes qu’il tourna ses armes, il remporta sur eux de grands avantages et usa quelquefois cruellement de ses victoires, suivant l’exemple de ces peuples qui ne savent ce que c’est d’en user modérément, et il augmenta tellement ses États par leur défaite, qu’il donna de la jalousie aux pachas de Damas et des provinces voisines qui, n’étant pas en état de mesurer leurs forces avec les siennes, trouvèrent moyen de gagner quelques-uns de ses nouveaux sujets et les engagèrent à porter leurs plaintes au grand seigneur contre lui, comme contre un rebelle, un infracteur de la loi de Mahomet, dont il ne faisait plus aucune profession et qui était le protecteur déclaré des chrétiens. Ces plaintes eurent l’effet que les pachas espéraient ; le grand seigneur envoya à Saïda soixante galères et plusieurs vaisseaux de guerre, pour le prendre et le conduire à Constantinople. Cuchuk Abner Pacha de Damas, eut ordre de lever trente mille hommes, avec lesquels il bloqua d’abord la ville et l’assiégea ensuite dans les formes. Fakhreddine fut surpris ; il vit bien qu’il ne pourrait pas résister à ces forces ; il prit le parti de la retraite et laissa le gouvernement à son fils aîné Ali, avec les instructions convenables. Il lui ordonna de se soumettre au grand seigneur et de faire sa paix le plus avantageusement que le temps le pourrait permettre. L’émir Ali fit savoir au pacha la fuite de son père et la disposition où il était de se soumettre aux ordres du grand seigneur. Le pacha fut ravi de cette ouverture qui le tirait d’intrigue, n’étant pas trop assuré de réussir dans le siège qu’il avait entrepris : ce qui mettait sa tête en grand danger. Comme il avait les pouvoirs du grand seigneur, il conclut un traité avec Ali, reçut le serment et l’hommage qu’il fit au grand seigneur, les contributions qui étaient dues, de grands présents pour lui, et lui confirma le gouvernement des États de son père en leur entier. La fuite de l’émir Pendant que ces choses se passaient à Saïda, l’émir Fakhreddine s’embarqua sur un vaisseau français ; il passa à Malte, de là à Naples, et vint débarquer à Livourne, d’où il alla à Florence, où le grand duc le reçut avec une magnificence extraordinaire. Après quelques semaines, il le fit passer à Rome, pour rendre visite au pape Paul V. Il y fut reçu comme il avait été à Florence, logé, défrayé et traité comme un souverain, qui pouvait beaucoup aider les princes chrétiens, s’ils eussent encore eu la dévotion des Croisades. Fakhreddine revint ensuite à Florence, où il demeura cinq ans avec quatre femmes, cinquante domestiques et plus de vingt mille marcs d’or qu’il avait apportés avec lui. Ce nombre de femmes fait voir que l’émir n’était pas encore chrétien, comme on dit qu’il l’a été dans la suite, ou que s’il l’était, il vivait très mal dans sa religion. On pourrait encore conjecturer qu’il n’avait d’autre religion que celle de sa nation, qui n’en a aucune, comme je l’ai dit ci-devant. Au bout de ces cinq années, l’émir se laissa emporter au désir de revoir son pays et son fils, et de régner. Il avait fait un traité avec le grand duc, qui lui avait promis des troupes, mais qu’il ne put lui fournir quand il en eut besoin, parce qu’elles étaient occupées autre part. L’émir revient à Saïda Il partit de Livourne, revint à Saïda avec un nombre d’ingénieurs, d’architectes et d’ouvrier de toutes sortes, dont il voulait se servir pour les fortifications de ses places et les embellissements de ses palais. Il arriva heureusement, demeura quelques jours incognito, et reprit ensuite le gouvernement de l’État que son fils lui remit sans contestation. Il mit aussitôt ses troupes en campagne, fit le dégât sur les terres des Arabes ses ennemis, et chemin faisant sur celles des Turcs. Il fit des conquêtes et eut des avantages considérables. Il s’avisa un jour de faire courir le bruit qu’il était mort, pour voir ce que ferait le pacha de Damas, son ennemi déclaré. Il s’enfonça pour cela dans l’appartement de ses femmes, où personne ne le voyait, qu’un chrétien maronite, qui était son principal ministre ; il se nommait Abou-Nader, père du cheikh Abou-Naufel. Cette nouvelle engagea Cuchuk Ahmet Pacha de se mettre en campagne avec ses troupes, pour faire la guerre à l’émir Ali ; mais ayant appris que Fakhreddine n’était pas mort, il se retira au plus vite, craignant avec raison la bravoure et la bonne conduite de cet émir. Nouvelles conquêtes de Fakhreddine Fakhreddine se mit aussitôt en campagne. À l’aide de ses ingénieurs chrétiens, il emporta le château de Tripoli, bâti par saint Louis, et celui de Boalber (Baalbeck) appelé dans l’Écriture, Turris Libani contra Damascum. Ce château est très ancien et bâti si solidement, que la plupart des pierres qui le composent ont six pas de longueur, et quelques-unes en ont jusqu’à douze, et sont d’une largeur à proportion. Il épousa ensuite la sœur d’un prince arabe qui était son ennemi depuis longtemps. Il se servit de ce stratagème pour faire venir ce prince, et il le fit massacrer ; action indigne de son courage, et dont il devait craindre les suites : aussi renvoya-t-il la princesse chez ses parents, de crainte qu’elle ne le poignardât pour venger la mort de son frère. Cette mauvaise action obligea l’émir Turabey, chef ou prince des Arabes du Mont-Carmel, à se liguer avec les pachas de Syrie, de Galilée, de Samarie et de Palestine, qui écrivirent de concert au grand seigneur contre lui et l’accusèrent de nouveau de mépriser la loi de Mahomet, de convertir les mosquées en églises de chrétiens, d’avoir intelligence avec le grand duc de Toscane et les Chevaliers de Malte, de donner des vivres aux corsaires qui pillaient les côtes et les vaisseaux, de se fortifier dans ses places, d’envahir celles des fidèles sujets de la Porte, de les ruiner par les contributions exorbitantes qu’il en exigeait, et enfin d’être convenu avec les princes chrétiens de les mettre en possession de la Terre sainte. Le grand seigneur ayant fait examiner ces plaintes et les preuves qui les accompagnaient ordonna à Cuchuk Ahmet Pacha de lever des troupes et de les joindre à celles des pachas de tripoli, d’Alep et de Gaza, et à celles des émirs Ferroux et Turabey, à qui il envoya les mêmes ordres. Ils obéirent et firent une armée de trente mille hommes. Le Capitan pacha sortit avec quarante galères pour les joindre ; mais il n’arriva pas au temps marqué ; parce que s’étant obstiné à prendre deux vaisseaux anglais, qui chargeaient du blé vers l’île de Chio, ces vaisseaux se défendirent à merveille, maltraitèrent étrangement les galères, et voyant qu’ils ne pouvaient plus s’empêcher d’être pris, ils mirent le feu à leurs poudres et se firent sauter. Le capitan pacha fut trente jours à Chio à radouber ses galères, et pendant ce temps-là les galères de Chio, de Rhodes et de Chypre le vinrent joindre et renforcèrent son armée. L’émir Fakhreddine donna douze mille hommes à son fils l’émir Ali, et lui ordonna d’aller à Safet et de combattre Cuchuk Ahmet avant qu’il eût été joint par les autres pachas et les Arabes. Cuchuk le prévint et l’attaqua : la bataille fut des plus sanglantes. Il resta sur la place huit mille morts de chaque côté. La nuit sépara les combattants, mais le pacha d’Alep étant arrivé le lendemain avec huit mille hommes, Cuchuk attaqua aussitôt l’émir Ali. La bataille fut aussi sanglante que la première, il ne resta à Cuchuk qu’environ mille hommes et environ cent cinquante à Ali, qui fut obligé de prendre la fuite, et ses gens l’abandonnèrent. Son cheval qui était blessé étant tombé, il se rendit à un soldat, qui ne le connaissait pas, lui promit la vie, de le sauver, et de le mettre en lieu de sûreté ; mais l’ayant reconnu, il l’étrangla avec la mèche de son mousquet pendant qu’il dormait de lassitude après une si pénible journée. Il lui coupa la tête et la porta à Cuchuk Ahmet, qui était dans sa tente avec les autres pachas et les émirs. Le pacha la reçut en cérémonie, la fit laver avec des eaux de senteur, et après l’avoir fait embaumer, l’envoya à Constantinople. Cependant le Capitan pacha arriva à Tripoli avec ses galères. Il y apprit l’état des affaires et prit les mesures nécessaires avec les autres pachas, pour pousser à bout l’émir Fakhreddine. Ce prince ne sachant point la mort de son fils, quoiqu’il eût appris sa défaite, jugea à propos de se retirer à Saïda. Le Capitan pacha l’y suivit. L’émir lui envoya cinq saïques chargées de vivres et de rafraîchissements, avec des présents considérables, et une lettre très soumise, par laquelle il l’assurait de son entière soumission aux ordres du grand seigneur. On entra en négociation, dont le résultat fut que l’émir remettrait entre les mains du Capitan pacha les châteaux de Saïda et de Barne. Ses garnisons en sortirent, et le Capitan pacha y fit entrer des Turcs, et aussitôt il entra avec son armée dans le port de Saïda, et mit ses troupes à terre, qui pillèrent les belles maisons que l’émir avait à la campagne, ruinèrent ses beaux jardins et jetèrent l’épouvante dans tout le pays. Cuchuk Ahmet ayant été instruit de toutes choses par le Capitan pacha, et voyant que ce général était maître des forteresses et de la mer, assiégea la ville par terre, et les sujets de l’émir voyant leur perte inévitable l’abandonnèrent pour la plupart et traitèrent avec les Turcs. L’émir se voyant abandonné sortit de la ville et gagna les montagnes, espérant que le temps apporterait quelque changement à ses affaires. D’Arvieux : « Mémoires »
Ce fut principalement contre les Arabes qu’il tourna ses armes, il remporta sur eux de grands avantages et usa quelquefois cruellement de ses victoires, suivant l’exemple de ces peuples qui ne savent ce que c’est d’en user modérément, et il augmenta tellement ses États par leur défaite, qu’il donna de la jalousie aux pachas de Damas et des provinces voisines qui, n’étant pas en...