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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - Les étrangers le considéraient comme un souverain, « Princeps Sidonorium » - II – Fakhreddine II crée une deuxième capitale : Saïda -

Pour des raisons économiques et stratégiques, Saïda fut la ville dont l’émir Fakhreddine se préoccupa le plus. La cité était en effet au centre de ses possessions, beaucoup plus proche de Deir el-Qamar que Beyrouth, et possédant des installations portuaires supérieures à celles des autres villes du littoral. Dans ces conditions, Saïda eut le privilège d’être la première ville à profiter de l’expérience que le prince avait acquise durant les cinq années passées en Europe. C’est en particulier dans les domaines artistiques – décorations et architecture – que l’émir, influencé et séduit par une Italie en pleine renaissance, souhaita marquer la ville de son empreinte. Les architectes français et florentins qui l’avaient accompagné dotèrent la cité de bâtiments d’autant plus remarquables qu’ils sont devenus de nos jours les plus beaux éléments du patrimoine de la ville : palais merveilleusement et richement décorés, hammans aux multiples coupoles, khans majestueux dont les cours intérieures, plantées et ombragées amenaient une note de fraîcheur. (voir L’Orient-Le Jour du jeudi 26 avril). L’un d’entre eux situé en plein cœur des souks et construit à l’intention des voyageurs européens de passage était – comme l’expliquent certains récits de voyageurs – «un havre de paix et de silence». On lui donna le nom de «Khan el-Franj» – caravansérail des Français ou des Francs (étrangers) – car les missionnaires, les commerçants et les consuls venus d’Europe s’y installaient. Il représente, avec le «Khan el-Rouz» (du riz), aujourd’hui très dégradé, l’un des rares survivants des caravansérails construits au début de ce XVIIe siècle pour stimuler le développement économique du pays et favoriser les échanges avec l’Occident. Comme la plupart des édifices de ce genre, il affecte la forme d’un vaste rectangle entouré de deux étages de galeries couvertes sur lesquelles ouvraient au rez-de-chaussée les écuries et les entrepôts et, à l’étage, les chambres réservées aux négociants de passage. Un hamman (détruit en 1982), «el-Mir», jouxtait le khan et permettait aux voyageurs de s’y laver. Ceux pour qui la construction du Khan el-Franj remonterait à une période antérieure à celle de l’émir prétendent que l’ensemble du caravansérail n’aurait en fait subi qu’un embellissement de la part des architectes florentins, à l’image des aménagements effectués sur d’autres infrastructures de la ville – murailles, souks et espaces verts. Seules les annexes à l’est seraient du ressort de Fakhreddine. Quoi qu’il en soit avec la présence du grand khan et ses vingt-quatre chambres, ses magasins et ses entrepôts, les relations commerciales et culturelles avec l’Occident transformèrent Saïda en une ville cosmopolite. Il semble qu’une tour ait été construire et qu’on entoura la ville de hautes murailles. La ville grouillait de monde de toutes les confessions et de toutes les couleurs. Les juifs, les chrétiens et les musulmans s’y côtoyaient et y vivaient en paix. La ville était redevenue la grande métropole de l’Orient au grand dam des autres villes importantes de la région telles que Tripoli et Damas. Le commerce ne faisait qu’accentuer son influence et la prospérité de sa région. Évoquant Saïda en 1624, Magri disait : «Ce qui augmente sa richesse, c’est l’arrivée incessante de navires européens pour commercer et surtout acheter la soie…». Car parmi les productions dont s’occupait Fakhreddine, la soie était certainement la plus grande, à tel point qu’en 1605 elle était selon Catchninary en tête des exportations vers l’Italie ; de couleur dorée beyrouthine ou blanche tripolitaine, elle alimentait les usines de Toscane et de Lombardie. Un rapport d’expert toscan dira d’elle en 1614 que «les ressources annuelles du prince du fait du commerce de la soie s’élèvent à 80 000 piastres d’or», soit le tiers de son revenu total. Une fois de plus, l’émir faisait preuve de ses capacités d’innovation et d’instinct, profitant de la variété des terres et des climats du Liban pour varier les plantations et favoriser le développement des ressources essentielles. Il planta ainsi du coton à une large échelle, jusqu’à ce que celui-ci soit, en 1610, le premier produit à l’exportation. Fakhreddine tirait profit de toutes sortes de produits naturels offerts par la fertilité du sol libanais : l’huile, l’olive et le savon, tous issus des installations implantées à l’entrée des grandes villes. Il s’occupait des plantations de graines tels les fèves, le blé, de la vigne, de la plantation de canne à sucre dans les plaines s’étendant entre Tripoli et son port comme dans celles de Saïda, de Tyr ou de St-Jean d’Acre. Saïda était aussi devenue le fournisseur exclusif des souffleries de verre de Murano. Les techniciens de Fakhreddine avaient en effet mis au point un mélange de sable et de cendres de plantes, utilisé autrefois par les Phéniciens pour la fabrication du verre soufflé. On imagine aisément les sommes d’argent que représenta ce négoce ; autant de richesses distribuées par tout le Liban et dont profita Saïda. Cette période faste prit malheureusement fin lorsque, ayant constaté que les exportateurs commençaient à frelater les produits, les Vénitiens décidèrent d’interrompre les échanges… D’une manière générale, la ville de Saïda connut une véritable prospérité durant le règne de Fakhreddine. Après le départ des Croisés, le port était en effet redevenu le port de Damas et les relations commerciales avec la France qui y possédait un consulat lui profitèrent largement. Le fondateur du Liban Des principautés éparses qui depuis des siècles végétaient au flanc de la montagne, Fakhreddine fit un État. En ce sens, la véritable gloire de l’émir fut d’avoir fondé le Liban ; tous les territoires qui forment le Liban contemporain furent réunis sous son administration. Son autorité s’étendit même par-delà les frontières actuelles. Non seulement il groupa sous une même autorité toutes les parties du Liban, mais encore il fit de celui-ci une entité administrative. Fakhreddine n’hésita pas à nouer, malgré un lien de vassalité directe à la Porte, des relations diplomatiques avec les puissances européennes ; on sait qu’il conclut un traité avec Florence, mais il négocia aussi avec l’Espagne, la France, les Chevaliers de Malte. Les étrangers le considéraient comme un souverain, «Princeps Sidonorium», et Louis XIII lui écrivait «très illustre et puissant prince». En ce sens, Fakhreddine II peut être considéré comme le digne héritier de l’ancien «roi des Sidoniens», Keret au XIXe siècle avant J-C dont les textes d’Ugarit ont chanté les hauts faits. Ce titre de prince des Sidoniens démontre combien le sens démocratique était ancré dans cette vieille ville de Sidon. En effet, il faut attendre la révolution française, puis le XIXe siècle pour que les peuples d’Europe évoluent vers les monarchies, sinon constitutionnelles du moins éclairées, et retrouver en Louis-Philippe le roi des Français. Avant l’émir – et après sa mort jusqu’en 1860 – les territoires du Liban furent répartis entre les diverses provinces ou pachaliks de Syrie dont les sièges étaient à Alep, Damas, Tripoli, Acre ou Saïda. Les derniers émirs de la dynastie Ma’an, puis leurs parents et successeurs, les Chéhab, choisirent de temporiser, se comportant en alliés loyaux de la Porte, laquelle renforça par précaution son emprise en élevant le sanjak de Saïda en un pachalik indépendant de Damas (1660). Enfin, s’il mérite d’être considéré comme le fondateur du Liban politique, il est un titre de gloire plus élevé encore que peut revendiquer Fakhreddine : c’est d’avoir créé le Liban moral : «Sous le grand Fakhreddine, sunnites, druzes, chiites, maronites et grecs constituèrent un seul peuple, vivant tous côte à côte, dans un esprit de solidarité et de respect mutuel». En tant que souverain libéral, il supprima toute discrimination religieuse entre ses sujets, conservant durant tout son règne son ministre et ami maronite Abounadir Kazen et introduisant les moines capucins dans le Chouf. Inspiré par une politique profondément humaniste, Fakhreddine avait choisi de former son gouvernement en plaçant chaque personne adéquate à la bonne place. Certes en succombant, les frontières administratives de l’État qu’il avait fondé s’effacèrent de la carte. Mais le Liban depuis lors ne cessa jamais d’être une réalité vivante. Ainsi était Fakhreddine, un esprit universel tacticien et stratège militaire, mais aussi fin politique passé maître dans la direction idéale des affaires du pays, aux écoutes des deux mondes oriental et occidental, prince du négoce et foudre de guerre. Il façonna le Liban à son image faisant de la ville de Saïda la ville la plus tolérante, la plus correcte et la plus cultivée d’Orient, bref une vraie métropole. Et si c’est de la Sidon phénicienne que sont sorties les sciences et les philosophies avec Môkhos et Pythagore, c’est véritablement de la Sidon de Fakhreddine que vont essaimer les missions et les voyageurs partant de tout le monde arabe et qui seront à la base de la renaissance culturelle du Liban.
Pour des raisons économiques et stratégiques, Saïda fut la ville dont l’émir Fakhreddine se préoccupa le plus. La cité était en effet au centre de ses possessions, beaucoup plus proche de Deir el-Qamar que Beyrouth, et possédant des installations portuaires supérieures à celles des autres villes du littoral. Dans ces conditions, Saïda eut le privilège d’être la première ville à...