Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

L’émir dans la tourmente

Nous prîmes notre chemin le long de la plaine, entre le couchant et le midi, pour voir en passant un lieu fort agréable, appelé Calmont, qu’on dit être la patrie de sainte Marina dont j’ai parlé ; et ayant passé le Kadicha, qui de cette plaine va se rendre dans la mer, après avoir fait les délices de toute la campagne, et de la ville de Tripoli, nous nous arrêtâmes à une autre ancienne église de Saint-Serge, située au milieu d’un petit bois de haute futaie. En laissant ensuite sur notre main droite du côté du couchant cette partie des montagnes par où nous étions descendus dans la plaine au commencement de notre voyage, nous marchâmes pendant cinq ou six heures sur d’autres montagnes, qui sont plus voisines, du haut Liban, nous descendîmes enfin dans une longue vallée à l’extrémité de laquelle il y a une forteresse bâtie sur un rocher escarpé, comme pour en défendre l’entrée, et pour commander sur le grand chemin de Tripoli le long de la mer. Nous nous trouvâmes immédiatement après dans ce chemin, et des gens du pays nous dirent que ce fort est un ouvrage de l’émir Fakhreddine, prince des druzes, autrefois souverain sur le Liban, et maître de la Syrie maritime. Il était aussi le grand protecteur des chrétiens. Nous parlerons ailleurs de ce prince, aussi bien que des émirs ses successeurs, lesquels possèdent encore un fort beau domaine dans les montagnes... Nous partîmes avant le jour d’un si misérable lieu, pour repasser à Gebail où nous prîmes un peu mieux notre repos. À deux heures de chemin de cette ville, on passe sur un très beau pont de pierres taillées, la rivière nommée en arabe Nahr-Ibrahim, autrefois l’Adonis, qui a sa source dans le Liban. Ce pont, qui est des plus hardis et des mieux entendus, est encore un ouvrage de l’émir Fakhreddine, qui avait rempli tout son pays de pareilles magnificences, depuis son retour d’Italie, ayant rapporté de ce pays-là beaucoup de bon goût et de politesse. Cependant le pacha de Damas s’étant rendu maître de tout le Liban, il détacha Hussein Aga, son lieutenant, avec d’autres troupes pour se saisir des villes maritimes ; de sorte qu’en moins de quarante jours, il enleva toutes les places qui étaient sous la domination de l’émir et ramena son armée à Damas. Les maronites dispersés retournèrent alors dans leur pays, et le père Élie, accompagné de Monsieur de Chasteuil, reprit la route d’Ehden ; mais ce calme ne dura pas longtemps ; car, comme le grand seigneur en voulait à la personne de l’émir, il ordonna une année après au même pacha de le prendre prisonnier. Celui-ci le vint chercher avec une nouvelle armée dans le pays du Chouf, et il le pressa tellement que ce pauvre prince fut obligé de s’enfermer dans le creux d’un grand rocher avec un petit nombre de ses officiers. Le pacha l’y tint assiégé pendant plusieurs mois ; et il allait faire sauter le rocher par une mine lorsqu’enfin l’émir se rendit à quelques conditions (le 12 novembre 1634). Il fut mené d’abord à Damas et de Damas conduit à Constantinople avec les deux princes ses fils. Le grand seigneur avait aussi ordonné qu’on se saisit de ses trésors et qu’on arrêta l’émir son frère qui les gardait ; mais cet émir ayant été tué, son fils, nommé l’émir Melen, entreprit de venger sa mort. Il se mit à la tête de ses troupes et combattit si vaillamment qu’il tua de sa main le lieutenant du pacha de Damas. Cette nouvelle acheva de perdre l’émir Fakhreddine qui s’était flatté de quelque espérance ; le grand seigneur lui fit trancher la tête et ensuite il fit étrangler les deux princes ses fils. Le bruit de cette terrible exécution jeta une nouvelle épouvante parmi les peuples du Liban ; les maronites prirent la résolution d’abandonner tout à fait leur pays pour sauver leur vie et la religion ; mais Monsieur de Chasteuil prit ce dessein pour une tentation dangereuse. Il redoubla ses prières ; et après en avoir conféré avec le père Élie, il quitta sa retraite pour aller se jeter aux pieds du patriarche et des évêques. Il leur fit des remontrances pathétiques et Dieu rendit sa parole si efficace que tous les prélats lui promirent de ne point abandonner leurs églises.
Nous prîmes notre chemin le long de la plaine, entre le couchant et le midi, pour voir en passant un lieu fort agréable, appelé Calmont, qu’on dit être la patrie de sainte Marina dont j’ai parlé ; et ayant passé le Kadicha, qui de cette plaine va se rendre dans la mer, après avoir fait les délices de toute la campagne, et de la ville de Tripoli, nous nous arrêtâmes à une autre...