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Actualités - INTERVIEWS

Entretien - « Nous avons établi des contacts avec Joumblatt, Husseini, Karamé et Sadek », affirme le secrétaire général du PNL - Élias Bou Assi : Le document pave la voie au dialogue

Élias Bou Assi milite dans les rangs du Parti national libéral (PNL) depuis 1969. Professeur en relations internationales à la faculté de droit et de sciences politiques de l’USJ, il fait partie des personnalités qui ont assisté aux assises de Kornet Chehwane, en tant que représentant du PNL – dont il est secrétaire général depuis environ deux ans – et qui ont signé le document final proclamé à Bkerké. Un document qui, selon lui, constitue une invitation au dialogue entre tous les Libanais, en parallèle au dialogue entre l’État libanais et l’État syrien sur la présence syrienne et le rééquilibrage des relations. Un dialogue d’État à État qui, selon lui, est nécessaire, mais qui ne saurait donner de résultats concrets s’il n’est pas fondé sur des intentions sincères. Mais quelles sont exactement les spécificités et les objectifs du rassemblement de Kornet Chehwane? Pour M. Bou Assi, il en existe trois : «D’abord, montrer qu’il existe des constantes qui unissent tout le monde et qu’il n’y a plus lieu, pour le pouvoir et pour la Syrie, de porter des accusations à l’encontre de quiconque. Ensuite, déterminer des points de repère pour sortir de la confusion au moment où prolifèrent les appels au dialogue de notre part et de la part de l’État. Enfin, synthétiser toutes les positions d’appui aux patriarche dans le cadre d’un papier unique portant le label de Bkerké». La problématique Taëf, un guet-apens Où en est le PNL de l’acceptation des accords de Taëf , après sa signature du document de Kornet Chehwane, contrairement aux deux autres mouvements politiques – le Bloc national et le courant aouniste - qui rejettent toute allusion à cet accord depuis 1989 ? Ce document ne le place-t-il pas sous le plafond de Taëf ? «Nous récusons la problématique selon laquelle il faut se situer par rapport à Taëf. Cette dialectique Taëf/anti-Taëf est un guet-apens», répond M. Bou Assi. Selon lui, «il est inconcevable qu’on puisse mettre un État au service d’un papier. Ce qui nous intéresse, c’est l’État-nation libanais, et la présence syrienne, qui a dépassé toute logique acceptable à travers ses interférences dans les affaires quotidiennes». Il évoque une réunion du comité de coordination groupant le Courant patriotique libre (CPL-aouniste), les Forces libanaises (FL) et le PNL peu avant celle de Kornet Chehwane. «Nous y avons étudié deux hypothèses : soit que le mot “Taëf” ne figure pas du tout dans le document final, soit que, s’il y figure, nous nous abstenions de signer, sauf si la mention stipule “un redéploiement en prélude au retrait selon un calendrier arrêté”. «Grâce à cette mention, nous allons au-delà de Taëf. De plus, le fait de demander la mise en application d’un accord n’exige pas de vous une adhésion ou une reconnaissance», ajoute-il, avant de renchérir : « D’ailleurs, qu’est-ce qui reste de Taëf ? Parti boiteux, il n’existe plus rien du comité qui l’a créé. Le nombre de parlementaires qu’il prévoyait a été dépassé, la loi électorale n’a pas été améliorée. L’accord s’est complètement effondré. Que dire alors de la période de deux ans prévue pour le redéploiement de l’armée syrienne?”. Il résume ainsi la situation de Kornet Chehwane: «Il y avait deux positions : la nôtre, qui soutient que si les Syriens voulaient appliquer Taëf, ils l’auraient fait depuis longtemps, et celle de ceux qui sont acquis à Taëf, selon laquelle il n’y a d’autre document que celui-là pour obtenir le retrait syrien. À partir de là, ou bien chacun va camper sur ses positions, ce qui aurait provoqué l’éclatement de la réunion. Il fallait trouver un accommodement : mentionner l’accord de Taëf pour satisfaire les “taëfistes”, et évoquer le mot “retrait” que nous réclamons». Et de conclure : «En ce qui concerne le PNL, dans notre inconscient, il n’y a pas d’accord de Taëf. Il y a des réformes sur base de revendications musulmanes et le volet de la présence syrienne qui reste à réaliser». Il revient ensuite à la charge au sujet de la présence syrienne : «Accords de Taëf ou pas, il y a un pays à sauver. Les réformes prévues par l’accord ont été appliquées, avec notre consentement total. Reste la question de la présence syrienne. Comment peut-on concilier une présence armée, hégémonique avec “la patrie définitive, indépendante et souveraine” du préambule de la Constitution ?». La notion de redéploiement ne suffit pas À la lumière de cette explication, M. Bou Assi explique son insistance sur l’importance de la nouvelle formulation : «On ne pouvait pas se contenter du mot redéploiement. On peut redéployer une armée indéfiniment: tantôt à gauche, tantôt à droite, pour la ramener ensuite au centre. Il faut qu’il y ait un engagement pour le retrait total syrien. Nous savons que l’armée a besoin de temps pour se retirer compte tenu des impératifs stratégiques dans la lutte contre Israël». «Le PNL réclame simplement l’élaboration d’un calendrier qui soit l’œuvre des deux gouvernements libanais et syrien. Nous pensons que ce ne serait pas humiliant pour cette armée de rendre public ce calendrier». Concernant le «dialogue» dont il est de plus en plus question, M. Bou Assi rappelle que «tout a commencé depuis des années, dans les communiqués du PNL, de l’opposition Kataëb, du CPL et des FL, la revendication du retrait syrien, jusqu’à la montée progressive du patriarche Sfeir au créneau, consacrée le 20 septembre par le manifeste des évêques». Pour M. Bou Assi, la réponse du pouvoir était claire : pas de dialogue entre les institutions. «On a voulu jeter le froid entre le patriarche et le président, et déplacer le conflit entre Libanais et Syriens au niveau chrétiens-syriens, puis chrétiens-musulmans, à travers la fameuse manifestation des épées et des couteaux et les communiqués des ulémas du Akkar. On a fait parler les uns et les autres, avant la confrontation directe entre la présidence de la République et Bkerké», estime-t-il. Selon lui, il est aujourd’hui question de deux dialogues : «Comme l’a préconisé le patriarche, le dialogue doit se faire d’État à État. Nous pouvons y gagner une reconnaissance réelle de l’indépendance de l’État libanais. Mais nous sommes par ailleurs pour un dialogue inter-Libanais, au niveau de la société civile». «Le document que nous avons préparé répond à ces deux impératifs. D’un côté, il fallait se rassurer mutuellement entre chrétiens et musulmans, pour que les autres ne puissent plus jouer sur les contradictions confessionnelles libanaises. Nous avons donc cherché à être le plus explicite possible au sujet de l’identité arabe, de la reconnaissance des réformes de 90, du soutien à la Syrie dans sa lutte contre Israël, du soutien à l’intifada. Cependant, nous nous attachons à la souveraineté, la libre décision et l’indépendance», explique-t-il. «Si le premier dialogue fait défaut par la force ds l’équilibre des forces, l’autre ne doit pas buter sur des obstacles importants. Nous avons noué des contacts avec MM. Hussein Husseini, Walid Joumblatt, Omar Karamé, Kamel el-Assaad, le Forum démocratique de Habib Sadek, le PC. Et cela va continuer. Nous pouvons garantir un dialogue entre les Libanais, mais nous n’avons pas d’emprise sur l’autre dialogue», affirme le secrétaire général du PNL. Mais le boycott par Mgr Sfeir de la visite du pape à Damas n’est-elle pas un signe négatif ? «Tout est négatif, mais nous voudrions croire le contraire et attendons des signes concrets». En fin de compte, «tout dépend de la bonne volonté et de la sincérité de Syriens. S’ils continuent à raisonner en termes visant à contenir les mouvements de contestation, à jouer sur les contradictions de la société et à miser sur le temps pour laisser passer la tempête, je vois mal comment nous pourrions obtenir un dialogue d’État à État. La balle serait alors dans le camp des Libanais et chacun serait amené à se déterminer en son âme et conscience». Dans son pari sur le dialogue entre les Libanais dans le cadre d’une volonté commune de résoudre la crise économique, M. Bou Assi note toutefois sa crainte que «la Syrie n’opte pour une politique d’endiguement et tente de saper l’unité de notre groupe». Quant aux voix qui s’élèvent pour taxer le rassemblement de chrétiens, il leur répond calmement : «Aucune des dispositions du document n’est chrétienne. Mais une large fraction, qui réclame la liberté du pays, non pas des dividendes, s’estime lésée et exclue. Cette réunion est avant tout une invitation au dialogue». Que pense-t-il de l’exode massif des jeunes, des futurs cadres, vers l’étranger ? Ne sabote-t-il pas toute tentative de normalisation ? «C’est l’une des raisons qui nous font agir de plus en plus vite. Il y a une hémorragie très grave. Les réformes administratives entamées pour y remédier se sont avérées être un véritable marché de dupes et un échec qui a eu des répercussions négatives sur le moral des jeunes. L’État de droit et des institutions s’est effondré comme un château de cartes». «Si j’étais l’État, je prendrais le risque d’engager le dialogue avec les jeunes, pour expliquer mon point de vue. C’est le contraire qui a eu lieu. Si quelqu’un manifeste, c’est un anarchiste ou un traître. C’est comme si on voulait pousser les jeunes à l’exode. Rien n’a été fait pour les retenir et les impliquer. Au contraire, on cherche à les dégoûter, à coup de slogans. L’État de droit s’avère être pour eux l’absence de libertés, la répression, une suite d’accusations portées par les plus hauts placés contre les plus jeunes». Et d’inviter l’État à paver la voie au dialogue pour juguler les deux crises, politique et économique, qui secouent le Liban, en s’inspirant du mot de Walid Joumblatt «Hanoï ou Hong-Kong» : «Le dialogue aujourd’hui est une opportunité qu’il ne faut pas abandonner. Or, quand un “Cabinet d’union nationale” est fait de la même pâte, c’est d’un monologue qu’il s’agit, et non plus d’un dialogue».
Élias Bou Assi milite dans les rangs du Parti national libéral (PNL) depuis 1969. Professeur en relations internationales à la faculté de droit et de sciences politiques de l’USJ, il fait partie des personnalités qui ont assisté aux assises de Kornet Chehwane, en tant que représentant du PNL – dont il est secrétaire général depuis environ deux ans – et qui ont signé le document...