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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Le député de Zahlé répond à Frangié sur le sort des chrétiens - Élie Skaff, une résistance passive sans surenchères

Parmi les participants aux assises de Kornet Chehwane, il y a un homme dont la présence n’a pas manqué de surprendre. Agréablement. Élie Skaff vient d’une région contrôlée par la Syrie où on lui a d’ailleurs fait comprendre lors des législatives de 1996 – c’est ce que des proches des Skaff racontent – qu’il existe une certaine limite à sa liberté politique et que si la liberté prévaut plus ou moins dans le reste des régions libanaises, il ne doit pas oublier que la Békaa demeure fortement sous contrôle syrien. Un message on ne peut plus clair pour un homme qui a toujours été proche de l’Est politique, mais qui, pour des considérations locales évidentes, a constamment pratiqué «une neutralité positive», pour reprendre les termes de personnes qui le connaissent bien. Un message dont il semble qu’il passe outre aujourd’hui pour pratiquer une résistance passive. Sans provocation. Sans surenchères. Lui, se défend d’avoir brisé cette neutralité. Que nenni, rétorque Élie Skaff en réponse à nos questions. Il assure que sa participation aux assises de Kornet Chehwane n’a rien de provocoteur. Son discours non plus n’a rien de provocateur, mais il n’en laisse pas moins transparaître un immense ras-le-bol. Il ne faut pas oublier qu’il vient d’une région dont le marché est pratiquement noyé par les produits syriens où les agriculteurs paient cher le prix du déséquilibre des relations économiques entre le Liban et la Syrie. Il ne faut pas oublier non plus à quel point sa marge de manœuvre électorale est devenue étroite, alors que les Skaff ont toujours «fait» les élections dans la Békaa-Ouest. Lorsque l’évêché maronite d’Antélias a pris contact avec lui pour l’inviter à participer aux réunions de Kornet Chehwane, Élie Skaff a accepté sans hésitation, surtout que ses interlocuteurs lui ont fait comprendre que ce regroupement n’était pas dirigé contre l’État ou contre qui que ce soit et s’était seulement fixé pour objectif de trouver des solutions aux problèmes qui se posent. C’est ce qui a essentiellement rassuré M. Skaff, qui note que «dans ce pays, il n’est pas possible de passer outre certaines considérations politiques». «Il y a la patrie et les positions qu’on doit adopter il est vrai, mais il faut aussi prendre en considération les intérêts personnels, les intérêts de la zone que nous représentons ainsi que la situation géographique de chaque région. Ceux qui sont aujourd’hui dans les régions périphériques vivent une situation assez particulière. Plus on approche des frontières, plus il y a des susceptibilités et plus il faut faire attention à chaque position qu’on adopte et prendre soin de ne porter atteinte à personne». Élie Skaff est donc conscient qu’il prend des risques en irritant son puissant voisin syrien par son adhésion, ouvertement, à un groupe qui réclame, entre autres, le rééquilibrage des relations entre Beyrouth et Damas, le redéploiement puis le départ des troupes syriennes, même s’il insiste sur le fait qu’il n’y a rien dans le mémorandum qui puisse causer du tort à qui que ce soit. Selon des informations qui restent toutefois au stade de rumeurs, il commence à être ennuyé, non pas par la Syrie, mais par certains de ses alliés au Liban. Une même idéologie politique, de père en fils Le député de Zahlé ne semble pas outre mesure impressionné par d’éventuels actes d’intimidation. Les Skaff raconte-t-on dans le chef-lieu de la Békaa, n’ont jamais été des alliés de la Syrie, et le père de l’actuel député, l’ancien ministre Joseph Skaff, avait été pratiquement expulsé de la région durant la guerre à cause de son rapprochement de l’Est politique. Il avait été même victime d’une tentative d’assassinat après son adhésion au Front libanais. Sur le plan politique, force donc est de constater la similitude des parcours politiques d’Élias Skaff et de son père dont la popularité n’a à aucun moment été entamée par l’influence syrienne dans la Békaa. Incontestablement les plus gros propriétaires terriens dans cette plaine, les Skaff ont tissé un important réseau politique et solidement conforté leurs assises populaires. Les ébranler politiquement relève pratiquement de l’impossible. Leurs adversaires les combattent donc sur d’autres fronts : Élie Skaff ne sera jamais nommé ministre bien qu’il représente la plus importante ville chrétienne grecque-catholique du Liban et du Moyen-Orient. Il en parle d’ailleurs avec une amertume teintée d’une certaine résignation. Il y a certaines choses auxquelles on s’habitue, sans vraiment les accepter, comme cette certitude qu’il a fini par se faire et selon laquelle «personne au Liban ne peut se considérer vraiment libre et indépendant». «Croyez-moi, au Liban, chacun fait ses propres calculs. En tant que député, je suis soucieux du respect et de l’application de la Constitution, sans laquelle nous n’avons pas de pays. La question est de savoir concilier ces deux facteurs dans les conditions dans lesquelles nous vivons. C’est ça l’adresse. Ce n’est pas facile». « La priorité va à ce qui peut soulager la population » À l’instar de tous les participants aux assises de Kornet Chehwane, il ne relève que des points positifs dans le mémorandum publié. Des points dont l’application, explique-t-il, ne peut qu’être bénéfique aussi bien au Liban qu’à la Syrie. Même l’appel au redéploiement puis au départ des Syriens «ne doit pas déranger puisqu’il (ce départ) peut se produire demain ou dans 20 ans du moment qu’on demande à l’État de s’attaquer à ce dossier. À notre niveau, nous n’avons réclamé aucun délai». Selon lui, le départ syrien n’est pas une priorité. À ses yeux, la priorité doit aller vers «tout ce qui est de nature à soulager la population» tant sur le plan économique que politique. Le rééquilibrage des relations libano-syriennes s’avère dans ce cadre incontournable. Représentant d’une région agricole par excellence, M. Skaff explique longuement à quel point le Liban est lésé par la non-application des accords agricoles entre notre pays et la Syrie dont les produits, subventionnés, envahissent en toutes saisons les marchés libanais. Il note au passage qu’une application rigoureuse des accords et des calendriers agricoles fera aussi l’affaire de Damas qui se plaint de l’entrée des produits libanais en contrebande en Syrie. Il y a aussi un autre volet sur lequel M. Skaff s’arrête : «Il faut que les services de renseignements cessent d’intervenir dans tous les aspects de la vie quotidienne : au niveau de la justice, de la police, des élections. Cela ne peut que renforcer notre relation avec la Syrie». C’est là un point sur lequel le député insiste : «Comment peut-on être un même peuple dans deux pays, en l’absence de confiance, de fraternité, d’égalité et de respect mutuel ?». Une mosaïque communautaire indispensable au Moyen-Orient M. Skaff développe une autre idée qui doit amener, selon lui, la Syrie à reconsidérer sa politique au Liban et surtout ses rapports avec les chrétiens : «Le Moyen-Orient est après tout une zone très sensible structurée sur une base communautaire. Éliminer les minorités revient à fortifier progressivement une ou deux communautés dans la région et à favoriser les conflits d’ordre hégémonique. La mosaïque (communautaire) au Liban et dans la région est à l’origine d’un équilibre qui neutralise ce genre de conflits. Si la Syrie accepte qu’une communauté soit éliminée, elle créera un problème qui l’affectera, car elle aura provoqué un énorme vide qui doit bien être comblé. Non ? C’est un peu comme cet adage libanais qui dit : “Avec mon frère, je me ligue contre mon cousin et avec mon cousin, je me ligue contre l’ennemi”. C’est ce qui s’appliquera dans la région. S’“ils” se liguent aujourd’hui contre nous, à l’avenir “ils” s’affronteront. Nous ne voulons pas parler en termes confessionnels mais certaines réalités ne peuvent pas être occultées». Ses propos constituent indubitablement une réponse au ministre de la Santé Sleiman Frangié qui avait récemment estimé en substance que les chrétiens qui adhèrent aux discours du patriarche jouent en fait leur dernière carte et que s’ils perdent, ce sera la fin des chrétiens au Liban. Le député de Zahlé est foncièrement convaincu du bien-fondé du choix qu’il a opéré en adhérant aux assises de Kornet Chehwan. «J’ai quand même une responsabilité vis-à-vis de la base qui m’a élu. Je ne peux pas aller à contre-courant de sa volonté». On arrive donc aux élections, une des causes du ras-le-bol d’Élie Skaff qui a dû accepter qu’on lui impose l’année dernière un certain nombre de candidats sur sa liste, lui qui voulait accéder avec un bloc homogène et solide à la Chambre et qui se trouve aujourd’hui seul avec MM. Nicolas Fattouche et Georges Kassardji. Il faut que les ingérences dans les élections parlementaires cessent. Il faut que le peuple choisisse librement ses représentants. Élie Skaff n’est pas le seul à crier son exaspération.
Parmi les participants aux assises de Kornet Chehwane, il y a un homme dont la présence n’a pas manqué de surprendre. Agréablement. Élie Skaff vient d’une région contrôlée par la Syrie où on lui a d’ailleurs fait comprendre lors des législatives de 1996 – c’est ce que des proches des Skaff racontent – qu’il existe une certaine limite à sa liberté politique et...