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Actualités - OPINIONS

Le jeu et ses risques

On le pressentait dès l’instant de l’élection d’Ariel Sharon : avec cette indécrottable bête de guerre, la règle du jeu allait changer, dans un Proche-Orient qui balance depuis des mois entre une paix violente et une guerre qui n’ose encore dire son nom. De fait, le Premier ministre israélien n’a pas trop perdu de temps pour renverser l’échiquier, mettant à exécution les menaces que proférait déjà son prédécesseur Ehud Barak à l’adresse des Palestiniens, comme des Syriens et des Libanais. En Palestine, Sharon vient de porter un coup d’une sévérité sans précédent à ces accords d’Oslo auxquels il n’a d’ailleurs jamais cru, en envoyant son armée réoccuper provisoirement une bonne partie de la bande de Gaza, siège de l’Autorité autonome. Car non seulement Israël a franchi une ligne rouge qui tenait vaille que vaille malgré l’intifada, malgré la sauvage répression; mais surtout, l’État juif a réussi à creuser davantage encore cet abîme de haine que les négociateurs d’Oslo croyaient pouvoir combler peu à peu. Tout aussi chargé de symboles paraît être le bombardement, lundi, de positions militaires syriennes à Dahr el-Beïdar, en riposte à une opération de guérilla qui s’était soldée, l’avant-veille, par la mort d’un soldat israélien dans le secteur des fermes de Chebaa. Invariablement, les gouvernements successifs d’Israël ont rendu Damas responsable des actions du Hezbollah; c’est la première fois cependant, depuis l’invasion de 1982, que sont directement visés des objectifs syriens sur le sol libanais, et ce développement ne laisse pas de susciter une foule d’interrogations angoissées. On peut se demander notamment si ce message musclé, plutôt que d’être pris en compte, ne va pas relancer au contraire la spirale infernale des actions et des représailles. Et puis la mener jusqu’à son aboutissement logique : la guerre. Le chef de la diplomatie syrienne a promptement averti que son pays fera payer cher à Israël cette «grosse erreur», et le Hezbollah s’est engagé à frapper de manière à faire mal. Voilà qui semble annoncer une implication militaire plus effective de la Syrie dans la partie de bras de fer qui se joue, depuis des décennies, à notre frontière. Le fait est que Damas a longtemps pu jouer, aux moindres risques, sa fameuse carte du Liban-Sud, dans l’espoir de forcer une double évacuation des territoires libanais et syrien occupés. Aux moindres risques en effet car d’une part, le calme le plus total n’a jamais cessé de régner au Golan ; d’autre part, et en dépit du pacte de défense que renferme le traité de fraternité et de coopération de 1991, les troupes syriennes stationnées au Liban se sont constamment gardées de toute intervention face aux agressions répétées de l’ennemi contre notre pays, Damas affirmant à ce propos qu’il ne se laisserait jamais piéger dans une guerre dont il n’aurait pas lui-même choisi le théâtre et le timing. Décontenancés un bref moment par l’évacuation unilatérale du Sud, l’été dernier, les autorités baassistes ont trouvé dans l’affaire des fermes de Chebaa l’occasion de démontrer qu’elles continuaient de détenir un très substantiel morceau de carte libanaise. Ce qui vient peut-être de changer, c’est que ce bout de carte est désormais un brûlot. À plus long terme – et parce que pressions militaires et politiques vont inévitablement de pair – le régime syrien pourrait se voir confronté à un grave dilemme, qu’il avait régulièrement réussi à contourner jusqu’à présent. De la Syrie dont elles approuvent ou bien tolèrent la présence armée massive sur le territoire libanais, les puissances attendent qu’elle neutralise, le moment venu, les organisations de résistance, tant libanaises que palestiniennes : qu’elle use de son influence pour empêcher l’embrasement, non qu’elle en vienne à faire la guerre à leurs côtés comme pourrait l’y acculer Sharon. On notera à ce propos que l’Administration Bush a explicitement rejeté sur le Hezbollah la responsabilité de la dernière escalade au Liban, limitant sa condamnation des méthodes sharonesques au seul épisode de Gaza. Au plan local, c’est à un moment particulièrement inopportun (pour nous, Libanais) que survient l’affaire de Dahr el-Beïdar, laquelle vient corser à l’excès le débat public sur la présence syrienne. En réclamant, comme il l’a fait à Pâques, l’évacuation du Golan, en appelant à des liens étroits avec la Syrie dans le respect de la souveraineté libanaise, le patriarche Sfeir, qui a pris la tête de la contestation, avait grandement favorisé les chances d’un dialogue national sur cette épineuse question; mais au vu des inqualifiables intimidations à l’arme blanche dont les rues de Beyrouth ont été récemment le théâtre, trouvera-t-il encore des interlocuteurs à l’heure où la vaillante Syrie est en butte aux agressions de l’horrible Sharon ? Non moins inquiétantes sont les retombées potentielles de cette affaire sur la sécurité de notre pays, déjà en proie à d’énormes difficultés économiques. À tout prendre, la guerre en roue libre pour le mouchoir de poche des fermes de Chebaa doit-elle prendre le pas sur tout le reste? Certes pas, fulminait dimanche le journal de M. Rafic Hariri dont toutes les assurances aux investisseurs internationaux sont systématiquement et immédiatement démenties sur le terrain. Mais cela, c’était avant Dahr el-Beïdar. Alors, Chebaa ou le reste ? Une fois de plus et parce qu’un journal ce n’est finalement qu’un journal, parce que le langage officiel n’autorise aucune incartade, c’est la Syrie qui va devoir répondre. À cette différence près qu’on joue désormais dans la cour des grands. Et qu’il y va cette fois d’un peu tout le monde.
On le pressentait dès l’instant de l’élection d’Ariel Sharon : avec cette indécrottable bête de guerre, la règle du jeu allait changer, dans un Proche-Orient qui balance depuis des mois entre une paix violente et une guerre qui n’ose encore dire son nom. De fait, le Premier ministre israélien n’a pas trop perdu de temps pour renverser l’échiquier, mettant à...