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Actualités - REPORTAGES

Histoire - Des spécialistes retracent la saga des Croisades - Dialogue Orient-Occident après le départ des Francs -

On sait peu que trois historiens importants, contemporains des Croisades, ont écrit leurs ouvrages en syriaque, donc avec une sensibilité spirituelle propre à la plus grande partie des populations de la montagne libanaise : al-Rahawi, qui écrivit une Histoire du monde jusqu’en 1204, le patriarche Michel le Grand, mort en 1200, en Ibn al-‘Ibri (Bar-Herbræus), mort en 1287. Les récits de ces trois historiens se fondent sur des preuves et des réalités historiques, parce qu’ils sont non seulement contemporains des événements qu’ils relatent, mais aussi parce qu’ils vivaient en permanence sur la côte syro-libanaise et qu’ils pouvaient juger de l’évolution de la situation sans aucune passion ou parti pris pour l’un ou l’autre camp et avec l’impartialité du spectateur qui voit évoluer les protagonistes des scènes qui se déroulent devant lui. S’agissant des événements du passé, ils écoutent des témoins leur transmettre ce qu’ils ont appris de sources sûres. Le témoignage de ces historiens reste donc une source fidèle parce que aucune ambition politique ne les anime. Al-Rahawi se contente de narrer les faits sans entrer dans des analyses politiques, militaires ou religieuses ; le patriarche Michel écrit parallèlement une histoire générale des Croisades, alors que Ibn al-‘Ibri, le moins ancien des trois, profite de leurs écrits et des délais qui le séparent des événements. Il complète les récits de ses prédécesseurs, alors que les passions de cette époque tourmentée s’étaient calmées. Une des pages principales de l’histoire de cette période est le voyage qu’entreprend le prélat Saouma en Europe, à la demande d’Argoun, roi des Mongols, et qui révèle aux Églises d’Occident la sensibilité nord-orientale, asiatique principalement, éloignée des ostracismes politiques internes. D’autres pages constatent ailleurs que les populations civiles sont épargnées par la guerre dans l’Italie d’alors. D’autres encore atteignent le fabuleux. Ce voyage est ainsi relaté dans le texte syriaque : Après les cruelles défaites réitérées, essuyées par les Croisés en Terre sainte à la fin du XIIIe siècle, le pape et les princes d’Occident ne désespéraient pas de reconquérir les Lieux saints de la chrétienté en Orient. Parmi les monarques orientaux, dont l’alliance fut sollicitée, se distingue Argoun, roi des Mongols (1284-1290). À la suite d’une première ambassade envoyée par le pape Honorius IV, le roi Argoun convoque Yapalaha, catholicos des syriaques nestoriens (1282-1317), et décide, d’accord avec lui, d’envoyer, en 1287, le prélat Saouma à la tête d’une délégation formée d’hommes d’Église et de notables, à Rome et dans les pays d’Europe pour sceller des traités d’alliance afin de chasser les Mamelouks de Palestine et de protéger les chrétiens d’Orient. Argoun avait une affection particulière pour ceux-ci. Il préparait, pour les aider, une campagne militaire contre la Syrie et la Palestine. Mais il voulait, avant de se mettre en route, s’assurer du concours effectif et nécessaire des rois d’occident ; c’est pourquoi il confie au prélat Saouma, homme pieux et cultivé, des missives et des recommandations pour le pape, les rois et les princes d’Occident, le charge de présents de grande valeur en lui octroyant, à titre de frais de voyage, deux mille pièces d’or et trente chevaux. Il lui confère ensuite, à titre d’ambassadeur, la plus haute distinction royale. Des livres rares et pieux Le prélat obtient très vite l’accord de son patriarche, lequel lui remet des livres rares et pieux et des cadeaux pour le Saint-Père, et il se met en route. Il embarque sur une galère byzantine, à partir des côtes libanaises, qui se dirige vers Constantinople, première étape de son périple. Le monarque, Andronicos II Paléologue, envoie à sa rencontre une délégation pour le recevoir avec tous les honneurs dus à son rang, le loge princièrement et l’écoute attentivement. La mission est un succès. Après s’être reposé, Saouma visite les monuments de la ville accompagné de quelques dignitaires de la cour. Il se rend à la Basilique d’Agia-Sophia aux 360 colonnes monolithes de marbre vert, se recueille devant l’icône de la Vierge peinte par saint Luc, s’incline devant la main de saint Jean Baptiste, les reliques de Lazare et de Marie-Madeleine, se rend ensuite sur la tombe de saint Jean Chrysostome, sur la pierre où était assis, selon la tradition, Simon-Pierre lorsque le coq chanta, puis sur les tombes de Constantin et de Justinien. Il passe devant la pierre qui fut déposée sur le tombeau du Christ et sur laquelle pleura la Mère de Dieu. Cette pierre, dira-t-il, était encore humide de ses pleurs. Sa dernière visite est pour l’église consacrée aux 318 pères conciliaires qui avaient pris part au concile de Nicée et dont les corps étaient encore conservés. Quittant Byzance, il visite un couvent en un lieu imprécis sur la côte, dans lequel étaient conservés, dans deux sarcophages en argent, la tête de saint Jean Chrysostome et le corps du pape qui baptisa Constantin. Puis il passe au large de l’Etna dont il décrit l’activité continue et auprès duquel personne ne peut approcher, dit-il, à cause de la forte odeur de soufre qui s’en dégage. D’aucuns pensent, dit-il, qu’un dragon malfaisant a élu domicile dans son cratère. Après un périple agité de deux mois dans la «mer italienne», notre voyageur arrive à Naples. Il est reçu par Charles II, alors en guerre contre Jacques, roi d’Aragon. Les civils épargnés par la guerre Le roi Jacques avait envoyé une forte armée en Italie. Celle-ci bat l’armée de Charles II et la décime. Il y a douze mille morts et la flotte napolitaine est coulée. Saouma et ses compagnons suivent du toit de leur résidence le déroulement de la bataille. Il note avec étonnement une chose inhabituelle dans les royaumes orientaux dont les mœurs frisaient la barbarie, à savoir que les Francs des deux bords ne combattaient que les soldats qui se trouvaient sur le champ de bataille et ne lésaient en rien les populations civiles. Après avoir terminé sa visite à Naples, Saouma prend le chemin de Rome, et la nouvelle de la mort d’Honorius IV, le 3 avril 1287, l’atteint en chemin. Il se dirige, dès son arrivée dans la Ville éternelle, vers la basilique des Saints-Pierre et Paul, siège du Pape ; là il trouve les cardinaux, qui étaient au nombre de douze, en plein conclave. Le prélat leur envoie dire que le roi des Mongols, Argoun, et le catholicos de l’Orient l’avaient chargé de rencontrer le pape. Les cardinaux lui accordent une audience spéciale. Il leur explique le but de sa mission. Ils lui demandent alors de prendre un peu de repos et, trois jours plus tard, l’envoient chercher pour discuter avec lui plus longuement de sa mission. Les chrétiens du roi mongol Ils lui posent d’abord plusieurs questions sur les Apôtres qui prêchèrent la Sainte Parole en Orient. Il leur dit que c’étaient saint Thomas et saint Thaddée, dont les enseignements sont suivis minutieusement jusqu’à ce jour. Puis ils lui demandèrent où se trouvait le siège du catholicos et quelle fonction il remplissait lui-même auprès de lui. Il leur répond que le siège était à Bagdad et qu’il en était le vicaire patriarcal et le visiteur général. Alors les cardinaux s’étonnent qu’un prélat chrétien et vicaire du patriarche de tout l’Orient soit envoyé par le roi des Mongols. Saouma leur fait comprendre que les missionnaires orientaux avaient christianisé un grand nombre de populations en Turquie, en Mongolie et en Chine, et qu’un grand nombre de princes, de reines et de princesses sont chrétiens et que ces populations ont des églises souvent itinérantes qui suivent les armées pendant leurs campagnes. Et les rois de ces contrées, quoique restés païens, respectent les chrétiens et écoutent leurs conseils. Parmi ceux-ci, Argoun qui, par amitié pour le catholicos et pour les chrétiens, avait décidé de s’emparer de la Palestine, de la Syrie et de Jérusalem afin de les leur rendre, et c’est pourquoi il sollicite l’aide de Rome et son alliance afin de mener à bien son entreprise, envoyant un émissaire chrétien pour qu’ils puissent croire en sa parole. Alors les cardinaux lui demandèrent quel était son dogme et si sa foi était catholique et romaine, comme celle du pape. Il leur répondit que jusqu’à ce jour les chrétiens du Moyen-Orient n’avaient jamais reçu un émissaire du pape. Mais que les Apôtres, qu’il avait déjà nommés, les convertirent selon l’enseignement du Christ et que ces mêmes enseignements ils les suivent depuis les premiers temps. Ils lui demandèrent alors de leur réciter son credo ; il dit : «je crois en un seul Dieu qui n’a pas de commencement et n’a pas de fin : Père, Fils et Saint-Esprit, un seul Dieu en trois personnes égales…» Comme ces discussions théologiques s’éternisaient, le prélat leur dit qu’il n’était pas venu de si loin pour discuter de ces choses, mais pour rencontrer le pape, lui remettre les livres et les cadeaux et s’acquitter de sa mission. Les cardinaux lui demandèrent de patienter jusqu’à l’élection du nouveau pape, car ils ne pouvaient prendre aucune décision avant cette date, mais lui offrirent l’hospitalité et lui assignèrent quelques moines et quelques notables pour lui faire les honneurs de la Cité sainte… Or, ce ne fut qu’en 1288 que Jérôme d’Ascali, général des franciscains, devint souverain pontifie sous le nom de Nicolas IV. Saouma n’attendit pas à Rome l’élection du pape. Passant par Gênes, il fut reçu à Paris par Philippe le Bel, en Guyenne par Édouard Ier, le roi d’Angleterre, et à la veille de Pâques 1288, de nouveau à Rome, il présenta au Saint-Père le message d’Argoun et les livres syriaques.
On sait peu que trois historiens importants, contemporains des Croisades, ont écrit leurs ouvrages en syriaque, donc avec une sensibilité spirituelle propre à la plus grande partie des populations de la montagne libanaise : al-Rahawi, qui écrivit une Histoire du monde jusqu’en 1204, le patriarche Michel le Grand, mort en 1200, en Ibn al-‘Ibri (Bar-Herbræus), mort en 1287. Les...