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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Mémoire pour l’avenir - Un colloque international sur les années de guerre 1975-1990 - Pour un monde pacifié, déballez vos souvenirs

Deuxième journée du colloque intitulé «Mémoire pour l’avenir» qui s’est tenu à la Maison des Nations unies. Samedi matin, au cours de la première séance, les effets pathologiques d’une mémoire supprimée étaient à l’ordre du jour. L’architecte Jade Tabet a abordé le thème de «la mémoire des pierres» et l’écrivain Rafif Reda Sidawi a planché sur «la guerre à travers les romans d’après-guerre». La deuxième séance a donné la parole à deux spécialistes psychologues, Myrna Ghannagé et François Villa, qui se sont penchés sur «les tourments de la résistance au souvenir» et sur la mémoire, comme «non pas un but mais un chemin». L’intervention de l’architecte Jade Tabet est un résumé d’un texte qui va paraître en septembre prochain, dans l’ouvrage Beyrouth, Éditions Autrement. Il souligne qu’en bouleversant l’organisation ancienne du centre historique, l’objectif de Solidere a été de recréer l’entreprise urbaine sur de nouvelles bases. «L’image éclatante d’une ville nouvelle avait été projetée, représentation mythique d’un monde pacifié où règnent ordre et opulence». Au-delà de la frénésie destructrice liée à la spéculation foncière, la démarche choisie pour reconstruire le centre-ville veut traduire «une volonté de recommencement absolu : effacer les traces de la guerre et installer la cité sur des bases entièrement neuves», a dit Tabet. Cette ville nouvelle ne serait que la traduction spatiale «d’un fantasme issu des débordements de la guerre, celui d’une société normalisée, ordonnée, disciplinée, qui servirait à un néolibéralisme débridé». L’enjeu réel du projet apparaît alors dans toute sa clarté : «Non pas l’aménagement de l’espace mais, tant au niveau économique que symbolique, la prise de possession des lieux». Parallèlement à cette politique d’épuration du passé, les fouilles archéologiques vont mettre à nu une multitude de strates superposées et donner lieu à diverses interprétations. Ainsi, la découverte des restes des monuments mamelouks est interprétée comme le signe irréfutable de l’appartenance du Liban à la Oumma islamique ; la révélation du Beryte byzantin est l’occasion pour d’autres d’affirmer la présence décisive des chrétiens d’Orient. Les vestiges de la ville phénicienne entraînent d’autres encore à une quête mythique des origines. «Le passé se trouve télescopé par le présent suivant la formule de Walter Benjamin», dit le conférencier. «Et la mémoire de la ville éclate en une multitude de mémoires divergentes qui tendent à s’exclure mutuellement. Elles servent de justification aux replis identitaires des communautés ou à l’affirmation mythique d’un nationalisme réducteur, coupé de toute profondeur historique». Collection de morceaux choisis Face à la mémoire officielle qui réduit le passé à une collection de «morceaux choisis» destinés à alimenter la spéculation immobilière ; face aux mémoires identitaires destinées à justifier le rejet de l’autre, «est-il encore possible d’imaginer une mémoire qui se nourrisse des mémoires diverses constituées au cours de l’histoire et qui ont marqué les moments forts du vivre ensemble ?», s’est demandé Jade Tabet. Cette mémoire-là est à construire. «Elle suppose un travail acharné qui, sans nier les différences et les oppositions, s’efforcera de privilégier les liaisons, les coutures, les sutures, pour que les vides laissés par la guerre se transforment en lieux de porosité et d’échange», a-t-il conclu. La psychologue libanaise Myrna Ghannagé a posé le problème de la résistance aux souvenirs ou de la terreur de penser. S’appuyant sur des cas de traumatismes étudiés après le massacre de Cana, au sud du Liban, la conférencière a déclaré que la mémoire a été «l’équivalent d’un pansement». «Le devoir de mémoire joue contre les mécanismes lénifiants de l’oubli. Ainsi, il surgit non seulement comme obligation morale mais aussi avec l’espoir qu’il puisse avoir une valeur préventive contre le retour des figures de l’horreur», a-t-elle dit. Selon Myrna Ghannagé toujours, la clinique a démontré que «plus la société assumera la nécessité d’un devoir de mémoire, moins les individus seront envahis par la terreur de penser. Il faut espérer que chaque sujet qui a vécu des évènements traumatiques trouve la possibilité de remanier la représentation de son trauma par la parole, l’art ou l’action», a-t-elle conclu. Prenant à son tour la parole, le psychanalyste français, François Villa, a souligné que «la mémoire est une manière de retisser les liens entre ce que nous étions et ce que nous sommes devenus, ou en train de devenir». Si ce travail n’est pas fait, «nous deviendrons meurtriers ; certes d’une manière déguisée et perverse, mais nous serons des assassins de la mémoire». Jetant un rapide coup d’œil sur l’histoire de l’humanité, le conférencier a déclaré que «par héritage, nous sommes les descendants d’une longue lignée de meurtriers qui avaient dans le sang le désir de tuer». L’expérience psychanalytique, loin de contredire cette affirmation, a conduit Villa à souligner la persistance en chacun de nous de cet héritage. «Le désir de tuer garde une actualité redoutable dans la vie psychique de chacun d’entre nous», a-t-il dit. Or la volonté d’ignorer cette réalité a pour résultat de la transformer en «une contrainte à l’agir». Le risque est alors que dans la réalité, par un passage à l’acte, nous devenions effectivement des meurtriers. «Je dirais que le chemin de la remémoration est le chemin pour ne pas devenir un meurtrier. Il est le chemin d’un travail, celui de la culture, par lequel l’homme renonce à agir, acquiert la capacité de différer le passage à l’action pour accueillir dans sa pensée ce qui le pousse à agir et de décider, en conscience, d’agir ou de refuser d’agir». Selon les études cliniques, «par le refoulement on tente d’effacer mais on n’efface jamais l’oubli». De même, «une mémoire qui ne se souviendrait pas du désagréable aurait une efficacité restreinte mais assurément meurtrière». En effet, «ce serait une mémoire porteuse du vœu terrifiant que tout redevienne comme avant la catastrophe, comme avant le déplaisir, comme avant la douleur». Ce vœu que l’on ne peut que comprendre est pourtant «porteur de la destruction de la possibilité de la mémoire».
Deuxième journée du colloque intitulé «Mémoire pour l’avenir» qui s’est tenu à la Maison des Nations unies. Samedi matin, au cours de la première séance, les effets pathologiques d’une mémoire supprimée étaient à l’ordre du jour. L’architecte Jade Tabet a abordé le thème de «la mémoire des pierres» et l’écrivain Rafif Reda Sidawi a planché sur «la...