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Actualités - REPORTAGES

Unité et diversité de la culture musulmane

Les reconquêtes byzantines, le morcellement et les troubles du monde musulman modifièrent sensiblement, dans le Proche-Orient du XIe siècle, la carte des relations commerciales, nécessitant une pénible réadaptation. Déjà, les migrations turques vers les steppes russes avaient troublé les rapports que l’Asie centrale musulmane ou l’empire byzantin entretenaient avec les pays russes. De plus grande conséquence fut la progressive substitution de la mer Rouge et de l’Égypte au golfe Persique et à la Mésopotamie comme voie d’accès à ceux de Byzance et de l’islam dans les relations méditerranéennes. Bien des facteurs concoururent à la première de ces transformations : troubles irakiens, brutalités de l’armée et du fisc abbassides, piraterie des Qarmates d’Irak et de Bahreïn, établissement d’une frontière supplémentaire entre Bagdad et Antioche par suite de la reconquête byzantine ; en regard, la séparation politique de l’Égypte, l’attraction de la cour du Caire, les transbordements plus faciles des denrées, maintenant de plus en plus offertes au commerce méditerranéen. De ce dernier profitent surtout Venise et Amalfi : la première, du fait aussi de la reconquête de l’Italie méridionale et de la Crète par les Grecs, du fait aussi de ses victoires sur les Dalmates, assure ses relations avec Byzance ; la seconde, ayant noué de bons rapports avec les musulmans d’Afrique du Nord, les étendit à l’Égypte fatimide. Il n’est pas jusqu’au désastre hilalien en Afrique du Nord qui n’ait avantagé les Italiens. Sans doute les riverains maghrébins de la Méditerranée occidentale, pour se dédommager de la ruine de leur commerce de transit, reprirent-ils leur piraterie sur les côtes encore peu marchandes de France, de Catalogne ou d’Italie septentrionale ; en attendant les réactions chrétiennes à ces pillages – et dont la reconquête de la Sicile serait l’aboutissement –, c’est encore Amalfi et Venise, ports mieux placés, qui profitèrent de ces troubles ; au demeurant, le Maghreb, dont les ressources en bois étaient compromises, ne pouvait plus armer de flottes assez puissantes. Byzance, évidemment, eût pu prendre sa part dans ce nouveau trafic ; mais pour des raisons fiscales, elle préférait attirer les Italiens à Constantinople plutôt que d’envoyer les Grecs en Italie ; incapable, au demeurant, d’empêcher ces mêmes Italiens de commercer directement avec l’islam. Ainsi s’établit un courant d’échanges entre l’Italie et Alexandrie, qui double et supplante partiellement l’axe Bagdad-Constantinople. Si le commerce caravanier d’Asie n’a pas disparu, on n’en constate pas moins un déclin de la fortune mobilière à travers tout l’Orient musulman, dont l’ascension de la caste militaire et terrienne n’est pas le signe le moins éclatant. En cet islam si profondément bouleversé, rien n’est plus frappant que l’essor des œuvres de l’esprit. Il n’est guère de princes qui ne tiennent une cour de beaux esprits, guère de villes qui ne deviennent centres de curiosité intellectuelle et d’art ; la bourgeoisie aisée, certains chefs de l’aristocratie se font un point d’honneur d’acquérir et d’encourager les formes variées de la culture. Si le prestige de Bagdad demeure intact, les cours samanides, bouyides, hamdanides, en Asie, et en Occident, Le Caire, Kairouan, Palerme ou Cordoue, deviennent ses émules. Cette dispersion favorise une diversité qui n’exclut ni les grands courants communs ni l’échange des influences. La masse des œuvres littéraires était déjà telle qu’on éprouvait le besoin d’en dresser des inventaires : le Fihrist ou Catalogue d’Ibn Nadîm, le Livre des chansons – ou plutôt des poésies – d’Aboul-Faradj al-Içfahâni, ouvrages d’érudition d’un genre nouveau, constituent pour nous d’inégalables répertoires. L’abondance de la production se trouvait d’ailleurs favorisée par la diffusion du papier, introduit d’abord de Chine à Samarqand, mais dès le Xe siècle assez répandu dans le monde musulman pour ruiner le papyrus et limiter le parchemin. D’importantes bibliothèques existent en plusieurs villes, alimentées par une armée de copistes appointés. Cela suppose une large clientèle de lecteurs tout autant que la multiplication des auteurs – encore que, comme partout avant l’imprimerie, bien des œuvres ne soient que démarquage et plagiat. La littérature de sentiment ou d’imagination, du moins en langue arabe, reste moins abondante que la spéculation philosophique, dans la mesure où les deux genres peuvent être séparés. Particulièrement bien représentée à la cour de Saïf ad-daula, la poésie y fait une large place à la glorification de la guerre sainte, telle l’œuvre de al-Motanabbî (915 – 955). En Syrie, elle atteint son plus haut sommet au siècle suivant, avec l’aveugle Aboul-Alâ al-Ma’arrî (979 – 1058), d’une rare liberté d’esprit philosophique, traitant avec une savante ironie les problèmes littéraires, dogmatiques ou sociaux. À cette moisson, l’Espagne apporte maintenant sa gerbe. Déjà, au début du Xe siècle, l’anthologie et les poèmes originaux de Ibn Abd Rabbihi y acclimataient la technique de la poésie arabe. Puis, homme universel, Ibn Hazm (994 – 1064) donne sous une forme strophique et en entremêlant les thèmes de l’amour platonique et de l’amour sensuel, avec son Collier de la Colombie, le plus connu des recueils d’une poésie qui eut, en Espagne, bien d’autres adeptes ; véritable code de l’amour courtois, si typique de la littérature andalouse, et dont on ne saurait nier l’influence sur la poésie postérieure des troubadours. Édouard PERROY Histoire générale des civilisations III, P.U.F., Paris.
Les reconquêtes byzantines, le morcellement et les troubles du monde musulman modifièrent sensiblement, dans le Proche-Orient du XIe siècle, la carte des relations commerciales, nécessitant une pénible réadaptation. Déjà, les migrations turques vers les steppes russes avaient troublé les rapports que l’Asie centrale musulmane ou l’empire byzantin entretenaient avec les...