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Actualités - REPORTAGES

REGARD - «Péristyles », cahiers littéraires et artistiques - Tout est toujours à recommencer

Lorsque Alain Tasso m’a sollicité de faire partie des «conseillers» de la revue qu’il projetait de publier (en vérité, il s’agit d’une sinécure, puisque c’est lui seul qui se démène comme un beau diable), j’ai accepté sans tarder. D’abord parce qu’en un temps où tout se mercantilise d’une manière effrayante, l’ambition de lancer des «cahiers littéraires et artistiques» de qualité, hors sentiers battus, donc à circulation forcément limitée, m’a semblé digne de soutien ne serait-ce que par sa volonté d’aller à contre-courant. J’ai été séduit par la formule de la revue qui entend mettre en voisinage et en confrontation des contributions d’écrivains, de poètes, de critiques, d’artistes du Liban et d’ailleurs, ce qui revient, en pratique, à faire connaître les auteurs locaux à l’étranger et à faire prendre conscience de leur valeur par comparaison avec leurs collègues d’Occident, quoique, si l’aventure se perpétue, elle ne se laissera sans doute pas confiner dans cette aire géographique, culturelle et mentale. L’esprit du temps Les «cahiers» sont donc conçus comme une sorte de carrefour, de caravansérail, ce que suggère déjà leur titre Péristyles qui évoque au pluriel la colonnade ou les arcades qui circonscrivent un espace ouvert comme une cour ou fermé comme un bâtiment ; mais aussi, si l’on s’écarte de la stricte étymologie, la circumambulation autour de plusieurs styles littéraires ou artistiques, chaque colonne tenant lieu symboliquement de l’un d’entre eux. En somme, un lieu de flâneries, de rencontres, de dialogues, une passerelle ou un pont pour démentir l’idée que jamais Est et Ouest ne se rejoignent. C’est une entreprise qui va avec l’esprit du temps : l’ouverture, la communication, la mondialisation – dans le bon sens du mot et de la chose. Alain Tasso possède toutes les qualités requises pour la mener à bien : l’ambition, la persévérance, la ténacité, l’énergie, l’entregent, la générosité, le don des contacts humains, celui de la persuasion et surtout celui de se dépenser sans compter. Bien qu’il soit lui-même poète, calligraphe, peintre, il ne s’est jamais appliqué à cultiver exclusivement son propre jardin, il a toujours eu le souci d’aider d’autres poètes et artistes, d’éditer et de diffuser leurs œuvres, de la simple plaquette élégante à l’ouvrage de bibliophilie à exemplaire unique. On imagine mal, devant une revue imprimée qui semble aller de soi, la somme d’efforts, de temps, d’attention, d’amour et d’argent sans quoi elle n’aurait pu voir le jour, surtout quand il faut tout faire soi-même, solliciter les auteurs, recueillir les contributions, saisir les textes, corriger les épreuves, choisir le papier, surveiller l’impression, veiller aux relations publiques, à la diffusion et à la vente. Une leçon de foi Si Alain Tasso n’existait pas, il eut fallu l’inventer. À un moment où le découragement, la frustration, la déprime dominent le pays déserté par la fine fleur de sa jeunesse, souvent sans regret et sans désir de retour, ce qui est un phénomène relativement inédit, il nous donne une magnifique leçon de foi, d’espérance et d’altruisme. S’il devait écouter son égoïsme, il s’installerait à demeure à l’étranger, sans autre forme de procès. Mais l’indifférence et la tiédeur ne sont pas sont fort. Sans m’étendre sur le contenu de la première livraison du semestriel Péristyles qui vaut la peine d’être découvert et goûté, j’emprunterai quelques phrases à certains des auteurs pour les approprier à ces «cahiers littéraires et artistiques» auxquels il faut souhaiter longue vie, tout en reconnaissant que l’espérance de vie de pareilles revues, même en Europe, est fort limitée, vu les difficultés de toutes sortes qu’il faut continuellement surmonter avec des ressources limitées et une ingéniosité sans limites. Bouteille à la mer Gisèle Vanhese, dans l’article inaugural Ulysse ou la traversée du poème, remarque que «dans sa méditation sur la fonction dialogique du poème, créateur de rencontres (ici je substitue revue, cahiers, Péristyles à poème), le poète Paul Celan «reconnaît – comme avant lui Vigny – que chaque poème (chaque revue donc) est une bouteille jetée à la mer pour être recueillie un jour sur une terre, “la plage du cœur peut-être”. Par cette métaphore spatiale, le destinataire inconnu devient paradoxalement la “nova terra” (évoquée par Dante à propos de la folle navigation d’Ulysse au-delà des colonnes d’Hercule)». Les poèmes (les cahiers) «sont en chemin : ils font route vers quelque chose» et ce «quelque chose est un toi irrévocable». Les poèmes sont voyageurs et se présentent comme un dernier avatar de l’aventure ulyssienne. Que peut bien contenir cette bouteille sinon cet «Élixir de longue vie» ou plutôt de résurrection dont nous entretient Jad Hatem dans son texte sur un récit fantastique de Balzac, élixir qui a le pouvoir magique de revivifier tout membre ou organe mort qui en est frotté, l’œil et le cerveau par exemple. Les «cahiers» ne sont-ils pas destinés, tout comme la poésie, à ranimer nos esprits blasés, nos intelligences atones, nos sens émoussés, à les exciter, les inciter, les réveiller de leur sommeil dogmatique ? S’il faut en croire Michel Cassir dans Le temps est orphelin de la poésie, la «poésie (alternativement, la revue), bien que porteuse de flambeau et de renouveau par son approche peu conventionnelle du langage, peut aussi implicitement montrer la plaie et les ouvertures sans lesquelles la vie serait purement végétative. La poésie... est présente par sa vigilance et sa capacité à déplacer l’équilibre pernicieux du sens commun. Elle doit démonter l’évidence banale et se soustraire à tout jugement catégorique... Elle sait aussi combattre les traditions lorsqu’elles sont assimilées au pouvoir absolu : oppression et stérilité de la pensée... Qui d’autre que la poésie savante, maudite, miraculeuse pour accompagner, précéder et recréer, même à son insu, le rythme capricieux du temps ?», dit encore Michel Cassir dans l’article qui clôture Péristyles comme s’il parlait des cahiers eux-mêmes, en tout cas de leurs ambitions, ou comme s’il leur traçait la voie à suivre. Les sons et la voix Même dans l’article de Myra Prince sur les Espaces sémitiques de la Méditerranée orientale, je trouve une définition possible de la revue, soulignant un autre aspect de sa mission : «Tour à tour, socle mégalithique, soubassement, pierre d’angle, linteau, claveau, clef de voûte ou chapiteau, la pierre d’architecture (disons ici le poème, l’article critique) est la mise en ordre, la mise en sens du monde. Du monde et, bien entendu, de soi-même». Je pourrais citer bien d’autres textes, je me contenterai d’extraire de la belle et originale contribution à trois voix simultanées de Gérard Augustin Le voyage de Lao-Tseu à Constantinople une sentence du Tao Te King en guise de réponse à ceux qui, pour diverses raisons légitimes ou illégitimes, bienveillantes ou malicieuses, trouveraient à redire à Péristyles alors qu’il vaudrait mieux trouver tout simplement à dire, et dans les cahiers eux-mêmes : «Le beau et la laideur, le bien et le mal, l’être et le non-être, le facile et le difficile, le long et le bref, le haut et le bas, les sons et la voix, l’avant et l’après ont besoin l’un de l’autre». À bon entendeur salut. Et je conclurai, à l’adresse d’Alain Tasso et de ceux que ses initiatives indisposent ou réjouissent, en détournant un membre de phrase de Gérard Augustin également : dans une revue, «tout est toujours à recommencer, et c’est ce que le peuple demande».
Lorsque Alain Tasso m’a sollicité de faire partie des «conseillers» de la revue qu’il projetait de publier (en vérité, il s’agit d’une sinécure, puisque c’est lui seul qui se démène comme un beau diable), j’ai accepté sans tarder. D’abord parce qu’en un temps où tout se mercantilise d’une manière effrayante, l’ambition de lancer des «cahiers littéraires et...