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Actualités - OPINIONS

Vous disiez femme?

Elle est réduite à un rôle en tranches : virtuose du landau, championne de la couche culotte, as de la tétine. Son agenda est obèse. Une liste de courses urgentes, une commande à payer, une prise de mur à changer, une voiture pour emporter le répondeur à réparer. Ou pour conduire l’enfant à l’école, quand il a raté son car. Et aussi chez l’orthophoniste, le psychothérapeute, le maître en arts martiaux, toutes personnes jugées indispensables à l’épanouissement du petit. Et l’époux. Il attend qu’elle tienne sa maison comme lui gère ses affaires. Avec efficacité et économie. Exténuée, les traits tirés, elle se dit qu’elle n’a pas quatre bras. Non plus que la plupart des gens, d’ailleurs, mais eux, ils finissent par s’habituer. Pas elle. Elle a un métier, comme les trois quarts de ses semblables. A-t-elle pour autant des absences, des retards ? Jamais. Elle tient à montrer qu’elle est une vrai pro. Son patron est ravi de voir qu’elle travaille comme une femme qui travaille comme un homme. C’est-à-dire comme un mec. C’est ça la femme de nos jours. – Mais il y en a une autre. On la rencontre encore en ce XXIe siècle. Elle se définit exclusivement par le fait d’être la fille de ses parents. Mais elle mène une double vie. Elle respecte père et mère, tout en cachant son petit ami. Dehors, elle chahute, rit aux éclats, en perd son maquillage. Rien ne la distingue des autres. À l’intérieur, elle vit un enfer. Subit la loi du père. Aide sa mère, s’occupe des petits, roule la semoule au lieu de travailler ses maths. Elle baisse les yeux, couvre ses genoux. Sort de la pièce quand passe un baiser à la télé. Terrible dualité. À peine voit-on dans ses yeux de gazelle l’éclair d’une détresse. Et pourtant elle vit dans la peur d’un mariage forcé. Dans la hantise aussi que sa famille lui refuse l’université. Ou encore un métier. Elle est à la jonction de toutes les pressions. Celle d’un père qui veut affirmer une tradition qu’il sent menacée. Celle d’un rituel spirituel en voie de radicalisation. Celle du qu’en-dira-t-on. Celle du frère dans le rôle du chaperon. Gardien de sa prison. Elle résiste. Elle en déploie des ruses, pour quelques bouffées de liberté. Un chewing-gum mentholé après une cigarette grillée. Une pseudovisite à la cousine, pour voler deux heures de boum. Une mini-jupe planquée dans la cage d’escalier, enfilée à la hâte. L’école est le lieu de sa respiration. L’alternative à son enfermement. C’est là qu’elle s’initie à son avenir. Elle s’accroche au savoir, acquiert le sens des devoirs. Elle réussit alors mieux que la moyenne. On s’en étonne : comment fait-elle pour potasser, sans chambre à elle, avec des mioches autour, et la télé qui pollue ? Surcompensation, disent les spécialistes. Si femme veut … Alors patiemment, en silence, elle cingle vers la ressemblance.
Elle est réduite à un rôle en tranches : virtuose du landau, championne de la couche culotte, as de la tétine. Son agenda est obèse. Une liste de courses urgentes, une commande à payer, une prise de mur à changer, une voiture pour emporter le répondeur à réparer. Ou pour conduire l’enfant à l’école, quand il a raté son car. Et aussi chez l’orthophoniste, le...