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Actualités - ANALYSES

Tous les plans du pouvoir oscillent entre l’être et le néant

C’est avec un intérêt, une curiosité presque morbides que la caste politique attend la séance d’explications que MM. Rafic Hariri et Nabih Berry doivent avoir. Car le sort du cabinet pourrait en dépendre. Et s’il devait survivre à un éventuel bras de fer, il est presque certain que ses plans tomberaient à l’eau. Tant pour ce qui est du domaine économico-financier que pour la réforme administrative, les deux projets faisant d’ailleurs partie d’un package deal aux éléments indissociables. On sait en effet qu’une administration épurée et modernisée constitue pour l’État un instrument absolument indispensable pour freiner la dégringolade économique, notamment au niveau de la dette publique, et amorcer le redressement. C’est du reste les deux thèmes conjugués qui cristallisent le litige entre l’Exécutif et le Législatif. Qui rue dans les brancards parce que les prémices du grand mouvement enclenché le concernent directement, dans la mesure où on lui demande de donner l’exemple en sacrifiant son luxueux train de vie. Or, tout comme le budget de l’année en cours, qui représente la vitrine même du grand projet haririen, tout doit passer par la Chambre. Institution qui a déjà démontré en 93, puis il y a deux ans, sa capacité sinon de nuisance du moins d’obstruction, face aux vues réformatrices du cabinet en place. Dont il lui suffit de retoucher un peu les projets de loi pour les vider de leur contenu, ou même en inverser les pôles magnétiques pour les rendre négatifs au lieu de positifs. En s’arrangeant pour que l’opinion publique n’y voie que du feu et croie que les députés ne contrent le gouvernement que pour défendre le social ou les libertés. C’est en effet indéniable : les Libanais tiennent à l’État-providence, qui procure des emplois, fictifs ou pas. Dès qu’on parle de dégraissage, l’on entend les dents grincer à tous les niveaux de la population. Mais le système a évidemment ses limites, financières. À partir du moment où il met le pays, déjà mal en point, en péril sérieux de ruine comme de faillite, il doit être modifié. La fuite en avant, encore possible sous l’ère Hraoui, ne l’est plus, tous les indices comptables ou économiques clignotant au rouge. Ce qui revient à dire que la population admettrait difficilement de voir ses représentants place de l’Étoile faire échec au coup de barre salvateur du pouvoir. Même si elle en est consciente, cela devait signifier à terme un fort émondage du baobab employé par les services publics. Sensibles à ce mouvement d’opinion, mais bien placés pour savoir qu’il ne pèserait quand même pas lourd devant la volonté des vrais décideurs, les politiciens attendent de voir quelle attitude respective vont adopter MM. Berry et Hariri. Dont les degrés de proximité politique présumée avec les super-cîmes ne sont pas identiques. Autrement dit, on devrait savoir, du ton même des entretiens entre les deux hommes, de quel côté penche la balance. Cela dit, comme on est au Liban, pays du compromis nonchalant, il n’est pas du tout exclu que les présidents parviennent à couper la poire en deux. En convenant, par exemple, que la Chambre ferait un geste pour l’exemple mais serait pour le fond, et pour les fonds, un peu oubliée par les liquidateurs sinioristes. Du reste, M. Berry a déjà laissé filtrer une petite indication sur la voie qui serait suivie, en déclarant qu’il était personnellement disposé à renoncer à ses 15 millions (de livres libanaises) d’honoraires mensuels au profit des caisses de l’État. À la condition, sous-entendue, qu’on ne vienne pas trop asticoter la Chambre (dont le budget échappe d’ailleurs à tout contrôle de la Cour des comptes) côté dépenses somptuaires. C’est-à-dire qu’après une petite période probatoire où ils devraient se serrer la ceinture, les honorables représentants du peuple pourraient recommencer à voyager aux frais de la princesse, continueraient d’avoir droit à une voiture dédouanée par an et à recevoir des indemnités. Même après leur mandat, même en cas de traversée électorale du désert ou de mise à la retraite; et même, au profit de leurs familles, après leur regretté départ pour un monde meilleur, à l’issue d’une longue existence de dévouement à la chose publique. Ce sont donc, tout bien considéré, des «intérêts vitaux» qui sont en jeu du côté de la corporation parlementaire. Le gouvernement le sait, et c’est bien pourquoi M. Hariri va en parler avec M. Berry. Mais il n’a nulle intention de réviser ses plans à la baisse. Non seulement parce que l’intérêt du pays le commande. Mais aussi parce que la crédibilité de M. Hariri en dépend. C’est ce qu’avoue, sans fausse honte, un ministre haririen. Qui souligne que le président du Conseil, s’il était plus ou moins désavoué dans son pays, ne pourrait plus jamais espérer parler aux grands de ce monde, comme il l’a fait à l’Élysée, où M. Chirac avait réuni pour lui le gratin de la haute finance internationale et européenne, dont les présidents de la Banque mondiale et de la Banque européenne d’investissements. «Il n’est pas question, ajoute ce ministre, de laisser la troïka ressusciter. Cet esprit, cette mentalité sont révolus et les Libanais ne les admettent plus. Chacun à sa place, et le Législatif ne doit pas tenter d’empiéter sur l’Exécutif comme cela se faisait jadis». En somme, il n’y aurait plus de partage du gâteau. Ce qui est normal d’ailleurs, vu que du gâteau, il ne reste pas grand-chose. Par contre, certains ministres pensent que le moment est venu de partager des idées, pour le bien du pays. Détenteur du portefeuille de la Défense, M. Khalil Hraoui plaide ainsi pour un dialogue politique élargi ciblant aussi bien les jeunes que les pôles opposants. En précisant que la règle du jeu implique d’abord la reconnaissance par tous de Taëf.
C’est avec un intérêt, une curiosité presque morbides que la caste politique attend la séance d’explications que MM. Rafic Hariri et Nabih Berry doivent avoir. Car le sort du cabinet pourrait en dépendre. Et s’il devait survivre à un éventuel bras de fer, il est presque certain que ses plans tomberaient à l’eau. Tant pour ce qui est du domaine économico-financier que...