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Actualités - CHRONOLOGIES

Les dernières heures : entre émotion et amertume

Télé-Liban a arrêté d’émettre. La chaîne a fermé ses portes hier sans présenter son dernier bulletin d’informations à 23h30, faute de personnel. Pour le dernier jour de l’institution âgée de 43 ans, les employés ont préféré passer leur journée «en famille» dans le bâtiment de Tallet el-Khayat. Cameramen et reporters «n’ont pas fait du terrain» préférant rester dans les locaux de leur chaîne, un endroit sécurisant qu’ils comparent à «la maison». Pour une bonne partie du personnel, conscient que depuis un bon bout de temps Télé-Liban avait besoin d’un traitement de choc afin de parvenir à poursuivre ses activités, ce sont surtout «les contacts humains» qui seront regrettés. «L’hymne à la joie» à fond la caisse. Le dernier mouvement de la 9e symphonie de Beethoven sélectionné pour le générique d’un programme pour enfants diffusé hier par la chaîne, dénotait – ô combien – avec l’ambiance qui régnait dans les locaux de Tallet el-Khayat. La cafétéria tourne au ralenti. Depuis mardi, elle a arrêté de vendre ses plats du jour, ses salades et ses sandwichs de viande et de poulet. Une seule alternative hier : labné ou fromage. La cafétaria offrira ce menu pour les trois mois à venir. Car, elle restera ouverte ; le bâtiment de la chaîne sera gardé, comme d’habitude, par les gendarmes. Quelques employés aussi pourraient se rendre jusqu’au 25 mai prochain sur les lieux. Hier pourtant, la plupart ont remis avant de partir définitivement, ou pour trois mois, leurs clefs à l’administration. Quelques-uns ont même décidé de quitter la télévision sans ranger leurs bureaux. La tâche la plus difficile ? Ils l’ont accomplie hier en début de matinée : signer leur propre note de licenciement. «C’est comme si je signais ma propre condamnation à mort», lance Mohammed Sinno assis derrière sa table de montage. Sélim Kazan, réalisateur, prépare avec son collègue, le dernier reportage qui passera dans le bulletin de 19h30, un clip de 5 minutes sur la dernière journée de la télévision publique. Il a presque les larmes aux yeux. Sélim est bien conscient que l’institution dans laquelle il a travaillé 20 ans se porte très mal. Il vient de recevoir une grande gerbe de fruits et fleurs. «Je me demande si c’est une couronne qui marque le décès de la chaîne ou un bouquet de bienvenue pour une télévision nouvelle qui naîtra dans trois mois», se souligne-t-il. Le réalisateur est indigné. Il pense, comme tous les autres d’ailleurs, que tous les employés – compétents ou incompétents – ont été mis dans le même panier. Lui, qui a été sollicité par beaucoup d’autres télévisions, notamment par des chaînes arabes câblées, et qui a refusé toutes les offres «pour rester en famille» se souvient des cameramen qui ont mis leur vie en danger et qui ont péri pour rapporter les images de la guerre. «À cause du clientélisme, nous sommes devenus la risée de tout le monde, pourtant notre équipe ne manquait pas de personnes compétentes», dit-il. Et de souligner que Télé-Liban a connu deux âges d’or «avec deux de ses directeurs Charles Rizk et Fouad Naïm». Hassan Naamani est connu pour être «le meilleur cameraman de Télé-Liban». Il a dirigé la caméra dans les films de Maroun Baghdadi, et les grandes productions télévisées libanaises. Embauché en 1965, c’est à Télé-Liban qu’il a fait ses armes. Hassan ne reviendra pas, même s’il est sollicité dans les trois mois à venir : «Je déteste le secteur public qui a mené la chaîne au gouffre», dit-il. Regrette-il la fermeture de Télé-Liban. «Pas du tout, avec le clientélisme qui y régnait on s’attendait à une telle fin». Il regrettera pourtant «les contacts humains». C’est pour préserver ces contacts que le personnel du service information (rédacteurs, présentateurs, et techniciens) ont dressé et distribué entre eux une liste de leurs noms et leurs numéros de téléphones. Des pressions jusqu’au bout Mohammed Karimé, directeur technique, était présent quand la chaîne a commencé à émettre il y a 43 ans. Selon lui, «depuis la guerre, Télé-Liban n’a pas arrêté de cumuler les erreurs de gestion, certains ont oublié pourtant qu’à un moment la chaîne était le moteur de plusieurs activités culturelles et touristiques du pays», indique-t-il. Christian Oussi, rédacteur en chef du journal télévisé et son épouse Neemat Azouri se préparent à faire leur dernière apparition télévisée, probablement pour la saison. Mais où est la star des news, Souad Karout el-Achi, celle qui présente le bulletin du soir depuis 1973. «J’ai fait mes adieux à la chaîne lundi dernier», explique-t-elle au téléphone. Elle est incapable de mettre le pied en studio au même dans l’immeuble de Tallet-El Khayat le dernier soir. Celle qui a refusé de signer sa note de licenciement indique : «Je n’ai pas à me plaindre, j’ai de la chance d’avoir travaillé durant l’âge d’or de Télé-Liban et aussi de toucher d’importantes indemnités… Mais c’est comme si on m’obligeait à quitter ma maison et ma famille», soupire-t-elle. Une telle fin pour Télé-Liban ? Elle n’y a jamais cru. Elle a tout le temps souhaité un miracle, qui malheureusement ne s’est pas produit. Oussi a choisi d’intituler le dernier bulletin diffusé par la chaîne : «Le journal de Télé-Liban», qui ne couvrira pas l’actualité du jour. Pour Christian, ce soir, une seule actualité éclipse toutes les autres : la fermeture de Télé-Liban. En studio, Neemat prépare son mouchoir. «On ne sait jamais», explique-t-elle. En fait elle éclate en sanglots au moment de la pub, juste avant de passer à l’antenne. L’ambiance de ce dernier journal - triste mais presque solennelle – qui règne en studio est bien différente de celle de la régie. Le clip d’un peu plus de cinq minutes, rapportant – sans commentaires - la dernière journée de la chaîne publique ainsi que le texte lu par Oussi ont déplu à la direction. En studio, on entendait clairement les remarques lancées, par certains responsables de la télévision, dans le casque du cameraman et dans le combiné du téléphone collé à l’oreille du rédacteur en chef quand il était hors du champ de la caméra. Jusqu’à la diffusion de son dernier journal, le personnel de Télé-Liban a subi des pressions. Le bulletin diffusé hier a été modifié alors qu’il passait à l’antenne. Un communiqué de la direction de la chaîne a été dicté au téléphone, à partir de la régie, pour être lu quelques instants plus tard en studio. Hier, l’ambiance était tendue et triste dans le bâtiment de la chaîne télévisée la plus ancienne du pays. Le spectacle sincère offert aux téléspectateurs depuis le matin, notamment les présentatrices qui éclatent en sanglots à l’antenne, et les employés qui affichant une mine défaite devant le ministre de l’Information Ghazi el-Aridi, rapportait bel et bien l’atmosphère qui régnait à l’intérieur de la télévision. En début de soirée, le personnel de la chaîne s’était appliqué à allumer des bougies tout autour du bâtiment. Une vingtaine d’employés avaient quitté leurs bureaux pour chanter l’hymne national ainsi que quelques phrases du gingle culte de la chaîne «Abban An Jed» (de père en fils). Ils ont omis pourtant d’entonner «ce n’est qu’un au revoir». Car, ils le savent bien : beaucoup d’entre eux ne remettront plus jamais les pieds à Hazmieh ou à Tallet el-Khayat.
Télé-Liban a arrêté d’émettre. La chaîne a fermé ses portes hier sans présenter son dernier bulletin d’informations à 23h30, faute de personnel. Pour le dernier jour de l’institution âgée de 43 ans, les employés ont préféré passer leur journée «en famille» dans le bâtiment de Tallet el-Khayat. Cameramen et reporters «n’ont pas fait du terrain» préférant...