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Actualités - BIOGRAPHIES

REGARD - Puccio Pucci : techniques mixtes, assemblages - Positivement négatif

Dès l’enfance, Puccio Pucci a probablement longtemps exercé son imagination sur l’insolite conformation de son nom qui ressemble à un exemple d’application d’une règle grammaticale, le «pluriel» du «Pucci» familial devenant le «singulier» du «Puccio» individuel par l’addition d’une lettre, le «o», qui figure une soustraction, un trou, un vide tout en faisant office de centre de symétrie : «Pucci-o-Pucci», une sorte de portail entre les deux ailes d’un bâtiment, comme on en voit dans les architectures monumentales parodiques de notre artiste florentin (né en 1948). Architectures qui évoquent, justement, celles des illustrations de fables et contes pour enfants, des jeux électroniques, ou encore celles que les enfants, amoureux de symétries exagérées et agoraphobes notoires, dessinent eux-mêmes : portes étroites, gigantesques murailles aveugles, fenêtres haut placées, étagements en forme de pièces montées, de gâteaux de mariage ou de tours de Babel, avec cheminées qui fument à gros bouillons et bannières qui flottent au vent, généralement vers la droite. Motifs-fétiches Ici, les châteaux ressemblent aux usines qui ressemblent aux entrepôts qui ressemblent aux cinémas qui ressemblent aux bars : c’est toujours le même système rigide et la même systématicité rigidement géométrique. Puccio Pucci ne manque pas de reproduire, au-dessus d’un de ses motifs-fétiches, une cravate à rayures, un formulaire succinct : «Prénom, Nom, Adresse, Ville», adressant ainsi un clin-d’œil complice au spectateur qui n’avait pas vu dans les rayures – autre motif-fétiche qui se retrouve dans les cheminées à couleurs alternées rouge et blanc, dans les murs à assises de pierres claires et sombres, dans les bannières, les montgolfières, voire les galets qui accompagnent souvent les cravates – le lointain écho visuel de la réitération rythmique d’un vide («o», le ton clair) entre deux pleins («Pucci», le ton foncé), d’un temps faible entre deux temps forts. Même les amusantes fesses en bois d’une des sculptures personnages relèvent du même thème. Métaphores parlantes Un troisième motif obsessionnel est le crayon qui, en tant qu’objet collé ou que dessin, vient s’adjoindre aux tableaux (architectures, cravates, cartables, bateaux...) et aux sculptures-assemblages (chaises, personnages) ou apparaît sous l’avatar de la cheminée, de la tour ou du donjon en forme de crayon taillé (fût polygonal surmonté d’un cône à pointe), rappelant les tours trapues des églises arméniennes. Crayon qui a longtemps servi sans doute à varier à l’infini l’écriture du nom et du prénom, à réfléchir sur le mystère de cette rupture de symétrie sans laquelle tout ne serait qu’inertie et homogénéité : la rupture (le «o», l’individu, la personnalité de l’enfant Puccio) met en branle un dynamisme d’hétérogénéité, de nouveauté, de créativité, de fantaisie combinatoire. Ce crayon omniprésent a, du reste, tout comme les tours, les cheminées qui éjectent de blanches effluences, les donjons, les architectures verticales, les bateaux qui foncent sur l’eau, les avions qui fendent l’air, d’évidentes connotations phalliques, même quand il se recourbe. Ces connotations se précisent quand, dans les sculptures-assemblages, il se transforme en bougie d’allumage, qui a la même configuration générale, pour simuler facétieusement un sexe dressé ou au repos ou un réacteur d’avion, alors que les têtes des personnages sont figurées par un fouet de cuisine, une poignée de porte, une ampoule électrique, métaphores aussi parlantes que les précédentes. Bricolages parodiques Crayon à l’aide duquel, d’ailleurs, Puccio Pucci ne cesse de prendre des notes et de les inscrire sur ses techniques mixtes (vinyle sur bois, fer, plomb, pour profiter des textures, le vinyle étant d’une finition parfaitement homogène : quand la texture fait défaut, Puccio Pucci, qui possède une haute maîtrise professionnelle qu’il utilise avec une extrême rigueur, procède à des griffages de la surface pour éviter la platitude d’une peinture sans mouvements internes). Il y a chez notre artiste un quatrième fétichisme, celui des chiffres et des lettres dont il parsème ses œuvres, un culte ludique de l’écriture et de la correspondance et ou de la communication (partout il appose des numéros de boîtes postales). Il n’hésite pas à recopier un texte au bas d’un tableau, sur le fond, au revers d’une cravate, sur le col d’une chemise, texte-commentaire qui, bien entendu, n’a rien à voir avec le thème visuel : ainsi, le menu, avec appréciations personnelles, d’une auberge à Montfort où il est question de ficelle picarde et d’escalope tourangelle s’affiche au-dessous d’un bateau en plomb peint en vert. Bateau parodique, comme de juste, c’est-à-dire bricolé de bric et de broc, tout comme les avions, les cartables, les appareils photographiques, les chaussures en fil de fer, les chaises-sculptures qui ne servent surtout pas à s’asseoir, les personnages, tous confectionnés à l’aide d’objets de rebut ramassés dans les rues et les décharges publiques et réinvestis de nouvelles fonctions en vertu de leurs polyvalentes analogies formelles. En somme, Puccio Pucci cherche à débusquer la polysémie visuelle qui dort dans les objets usuels, une fois qu’ils sont devnus inutiles : en quelque sorte, cet humouriste farceur fait des jeux de formes, des jeux d’objets, des jeux d’images et même des jeux d’écritures comme d’autres font des jeux de mots. Son art n’est-il pas, en un sens, le résultat d’une sensibilité aiguisée par un jeu de noms ? Décalage Il suffit de déterritorialiser un objet, de le déplacer dans un environnement «qui n’a rien à voir», pour que sa fonction cesse d’occulter sa forme et, du même coup, les jeux de rôles dans lesquels il peut entrer par rapport à un ensemble d’autres objets eux aussi en décalage, dessaisis de leur utilité quotidienne : un fouet de cuisine ne peut se substituer à une tête que dans certaines articulations et pas dans d’autres : il y a des associations de formes, d’objets et d’images comme il y a des associations de mots, et elles sont aussi révélatrices. Et encore plus quand ces associations d’objets sont associées à des associations de mots, des textes où il est souvent question de mets et autres délices gastronomiques. L’éloge de la paresse À travers cette démarche facétieuse, cet humour parodique dont le ressort est l’invention ludique de combinaisons improbables mais visuellement et esthétiquement crédibles, se fait jour une sorte de distanciation ironique, de critique amusée du monde de la consommation, de la mode, du design, de l’architecture, de la technologie, bref de tout ce qui fait courir nos sociétés vers plus de productivité, plus de performance, de vitesse, de perfection. En caricaturant l’avion, le bateau, l’appareil photographique avec son objectif projeté en avant, en figeant la souplesse d’une cravate italienne dans le fer et le plomb, en construisant des chaises impossibles, Puccio Pucci fait en quelque sorte l’éloge de la paresse, de la lenteur, de l’à-peu-près, du bricolage, de l’artisanat, du cousu main, du plaisir de vivre avec un savoir-faire consommé, jusqu’au trompe-l’œil, et une élégance discrète et raffinée, malgré la trivialité des matériaux et des instruments mis en œuvre, sur un ton jamais agressif, jamais cynique, toujours sceptique, toujours bienveillant, positivement négatif (galerie Aïda Cherfan, Antélias).
Dès l’enfance, Puccio Pucci a probablement longtemps exercé son imagination sur l’insolite conformation de son nom qui ressemble à un exemple d’application d’une règle grammaticale, le «pluriel» du «Pucci» familial devenant le «singulier» du «Puccio» individuel par l’addition d’une lettre, le «o», qui figure une soustraction, un trou, un vide tout en faisant office de...