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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - Au lendemain de la conquête de la Grèce - La Phénicie, centre culturel et spirituel du monde romain - -

Après avoir maté les cités grecques d’Occident et après avoir rasé la Carthage punique en 146 av. J-C et occupé toute l’Afrique du Nord, les légions romaines commencèrent à lorgner du côté du Proche-Orient et de l’Égypte. Il est vrai que les royaumes séleucides et lagides des successeurs d’Alexandre s’étaient épuisés en guerres fratricides et stériles. Les grandes cités et les États fondés par Ptolémée, Séleucos et Antiochos s’étiolaient et s’effilochaient. C’est alors que César lança ses légions vers les rivages phéniciens avec à leur tête un général prestigieux Pompée. L’empire séleucide tomba en 64 ans avant le christianisme et deux siècles et demi après la chute de Tyr. Des considérations diverses, dont la principale était la lutte entre deux cultures méditerranéennes complémentaires il est vrai, mais toutes deux hégémoniques, firent que les habitants de la côte phénicienne restèrent à l’abri de ce choc de titans. En effet, ce que les Romains combattaient, c’était surtout la Grèce d’Orient. Ils ne voulaient surtout pas que renaisse, dans cet Orient fécond, une nouvelle Carthage. Ils anéantirent alors l’empire qui, né sur les décombres de Tyr, avait clos pour toujours l’ère d’indépendance de la Phénicie. À cette date, les Romains, il est vrai, étaient déjà les maîtres de la Méditerranée occidentale et du monde européen, ils ne leur restaient qu’à mater l’Orient pour boucler la boucle et faire de la Méditerranée un lac privé, Mare Nostrum comme ils l’appelaient Mais, en général, les peuples conquis par eux n’eurent pas, par la suite, à le regretter. La vocation de notre pays était commerciale et culturelle, les Phéniciens tirèrent double profit de leur intégration au monde romain. Le commerce ne pouvait en effet que profiter du rétablissement des échanges entre l’Orient et l’Occident. Ces échanges, que les Phéniciens avaient établis du temps de leur indépendance, avaient trop souffert des guerres surgies entre les divers riverains de la Méditerranée. Et ce fut la raison principale de la décadence de notre pays après la conquête d’Alexandre. En devenant les maîtres incontestés du bassin de la Méditerranée et en y faisant régner la paix absolue, les Romains permirent aux communications de renaître et au commerce phénicien de retrouver une place dans le monde. Baalbeck ou Héliopolis Au premier siècle de l’ère chrétienne, les Romains, avec l’aide des autochtones édifièrent à Baalbeck, sur l’emplacement d’un temple phénicien, les merveilleux temples de Jupiter, Bacchus et Vénus. Baalbeck, appelée par les Grecs Héliopolis, devint en effet le centre religieux de l’Orient latin. L’acropole de Baalbeck est le plus gigantesque et le plus grandiose complexe culturel de tout l’Empire romain, bâti sur l’emplacement du grand temple phénicien de Baal-Hadad. Ce dernier étant considéré comme le dieu des éléments météorologiques et du soleil, les Romains l’ont dédié à la triade héliopolitaine : Jupiter, Vénus et Bacchus. La construction de ces trois temples, avec leurs propylées monumentaux, était un prétexte pour les Romains. Ils voulaient impressionner les peuples fraîchement vaincus de l’Orient en construisant des édifices à la mesure de leur puissance et de leur domination. La construction de ces temples a duré quelque deux cents ans du Ire au IIIe siècle ap. J-C. Les vestiges que l’on connaît n’ont souffert que de l’usure du temps et de l’absence d’entretien ainsi que d’un peu de vandalisme dû à la prolifération de miliciens et d’éléments armés qui avaient élu domicile dans l’enceinte des temples. La guerre directe et les bombardements n’ont pas affecté la ville qui a été relativement épargnée. La ville de Baalbeck est à l’origine une ville cananéenne dont la fondation remonte au IIIe millénaire ap. J-C. Elle contrôlait la route commerciale qui reliait la Mésopotamie du Nord à l’Égypte en passant par le pays de Canaan. C’est dire combien de civilisations se sont succédé et se sont superposées dans cette cuvette à l’ombre de l’acropole phénicienne d’abord et romano-byzantine ensuite. Il nous reste donc à y découvrir les vestiges de toutes les cités antiques de la cananéenne à l’arabe, en passant par l’amoréenne, l’assyrienne, la grecque, la romaine et la byzantine, mais pour ce faire, il faut déplacer toute la ville moderne. Ceci est très difficile mais possible à condition que les organismes culturels locaux et internationaux ainsi que les mécènes du monde entier soient disposés à y mettre le prix. Déjà, l’Unesco a fait le premier pas en classant le site comme faisant partie du patrimoine de l’humanité. Mais l’Unesco n’a pas plus de moyens financiers que le pape n’avait de blindés ! Dès que la ville de Beyrouth tomba entre les mains d’Octave après la bataille d’Actium, il fut charmé par son emplacement et sa douceur de vivre. Elle attira par la suite tous les empereurs romains, et entre 190 et 200 ap. J-C Septime Sévère y fonda la fameuse école de droit. Voilà ce qu’en dit Nagib Dahdah : La mer apportait à la Phénicie, avec la prospérité économique, un renouveau intellectuel dont Béryte allait être le centre. Cette ville, qui avait été de seconde importance à l’époque de l’indépendance, fut embellie par les Romains de théâtres, de rues à portiques, de bains et, déjà, d’hippodromes. L’empereur Auguste lui donna le nom de sa fille en y ajoutant l’épithète de “Felix” (heureuse) Colonia Julia Augusta Félix, et l’éleva au rang de “colonie romaine”. Prenant sa revanche sur le dédain dans lequel les Séleucides avaient tenu la Phénicie, Béryte formait désormais “un véritable îlot latin dans la mer montante de l’hellénisme oriental”. On a beaucoup discuté sur les raisons qui ont porté Auguste et ses successeurs à combler la future capitale libanaise : beauté du site, caractère des habitants, excellence du port, étendue de la ville et de la banlieue, etc., ont tour à tour été invoqués à cette occasion. Sa célébrité romaine, Béryte la doit surtout à son université qui, fondée au IIIe siècle de l’ère chrétienne, comporta la première école de droit du monde. La deuxième école de droit, celle de Constantinople, ne fut fondée que deux siècles plus tard, en 425. À l’école de Béryte, les disciples affluèrent rapidement de toutes les provinces orientales : Syrie, Égypte, Arabie, Anatolie. Les professeurs eurent une renommée universelle : c’est à Béryte que l’Anatolien Gaius, le Syrien Papinien et le Phénicien Ulpien firent leur apprentissage, devinrent les plus célèbres jurisconsultes de l’empire et, de là, furent appelés à Rome pour assister les empereurs. Excellent vulgarisateur, Ulpien a laissé une masse considérable de commentaires écrits dans un style très clair. Vers le milieu du IVe siècle, un Beyrouthin, Anatolius, “atteignit, aux dires d’un contemporain, les sommets de la jurisprudence : rien d’étonnant, Béryte sa patrie est la mère et la nourrice des études de droit”. Un détail sur l’organisation de l’enseignement de Béryte mérite d’être cité : en face de l’enseignement fondé par la ville, fonctionnait un enseignement libre ; la concurrence entre les deux écoles les incitait à perfectionner toujours davantage les méthodes pédagogiques. C’est ainsi que le rhéteur Libanius, évincé d’une chaire publique, en ouvrit une en face du professeur préféré de l’empereur. Au bout d’un mois, il avait enlevé à son concurrent tous ses auditeurs et il triomphait en disant : “Lui, c’est César qui le nourrit ; moi, ce sont les familles”. Notre vieille terre aura connu ainsi aux premiers siècles de l’ère chrétienne les conflits qui n’apparurent en Europe que plus de mille ans plus tard entre les deux ordres d’enseignement : l’école libre et l’école officielle. Tandis que Béryte florissait, les révolutions de palais et les coups d’État militaires renversaient à Rome divers empereurs successifs. La mort de Théodose, en 395, scinda l’empire en deux, faisant de Byzance la capitale de l’Orient. C’est à partir de cette époque que l’Université de Béryte connut son plus grand développement. Elle eut alors des professeurs tels que Cyrille, Patricius, Léontius, Eudoxius que l’on appelait les «Héros» ou les Docteurs œcuméniques, ce qui attestait leur prestige immense. Aussi, c’est au professeur Dorothée, de Béryte et à un professeur de Byzance, que Justinien fit appel pour rédiger les fameuses Institutes (terminées le 22 novembre 533). La commission de rédaction du Digeste (terminé le 30 décembre 533) se composait de 25 membres, dont deux professeurs de Béryte (Dorothée et Anatolius), deux professeurs de Byzance et onze avocats de la préfecture d’Orient. Les ouvrages les plus largement utilisés pour ce recueil furent eux-mêmes ceux des anciens maîtres de Béryte : Gaius, Papinien et surtout Ulpien». Rien d’étonnant dès lors à ce que le «séjour en Phénicie» fût considéré, au temps de l’Empire byzantin, comme un stage indispensable pour arriver aux plus hautes charges de l’empire. «C’est de Béryte, écrivait un géographe contemporain, que sortent les assesseurs des juges, qui dirigent les juges et toutes leurs sentences, qui dictent et interprètent le droit aux magistrats». Et ce droit romain, si largement enseigné et influencé par les professeurs de Béryte, est le droit qui a servi de base aux disciplines juridiques d’un grand nombre de pays. De là vient l’intérêt que son étude présente toujours pour les juristes et les historiens. C’est enfin aux professeurs de Béryte que l’on reconnaît généralement le mérite d’avoir assoupli la rigidité du droit romain primitif en y introduisant les premiers principes du droit des gens. Aussi un poète grec du Ve siècle, Nonnos, s’est-il écrié dans ses Dionysiaques : «La discorde, dévastatrice des États, cessera de compromettre la paix alors seulement quand Béryte, protectrice du repos de la vie, jugera la mer et les terres, fortifiera les villes de l’indestructible boulevard des lois, enfin lorsque cette cité assumera le régime exclusif de toutes les cités du monde». Ainsi, emporté par son admiration enthousiaste pour l’enseignement prodigué à Béryte, et comme s’il avait prévu l’organisation mondiale de la paix qui n’allait voir le jour que 15 siècles plus tard, Nonnos proposait la future capitale libanaise pour servir de siège à une telle organisation et même en inspirer le fonctionnement !… Ce témoignage mérite de figurer parmi ceux, nombreux, qui, à travers les âges, ont souligné la vocation internationale du Liban. Mais déjà le déclin de l’Empire byzantin se faisait sentir. La nature n’attendit plus les événements et, en 555, un tremblement de terre détruisit complètement Béryte et son école de droit. Les professeurs transportèrent leurs cours à Sidon en attendant la reconstruction de Béryte. La ville fut reconstruite partiellement en cinq ans, mais un incendie dévora le nouvel édifice de l’école faisant renoncer définitivement à l’enseignement du droit dans l’illustre cité.
Après avoir maté les cités grecques d’Occident et après avoir rasé la Carthage punique en 146 av. J-C et occupé toute l’Afrique du Nord, les légions romaines commencèrent à lorgner du côté du Proche-Orient et de l’Égypte. Il est vrai que les royaumes séleucides et lagides des successeurs d’Alexandre s’étaient épuisés en guerres fratricides et stériles. Les...