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Actualités - REPORTAGES

Les stèles de Nahr al-Kalb : - un mémorial des siècles

On a pu dire des cathédrales romanes et gothiques qu’elles constituaient de véritables «bibles de pierre», en ce sens que, relatant les grandes scènes des deux Testaments, elles permettaient à l’homme, le plus souvent illettré, du Moyen Age de «lire» l’histoire du salut, depuis l’origine de l’humanité jusqu’aux visions eschatologiques de l’Apocalypse. Ce souci d’inscrire dans la pierre à la fois l’événement et le message qu’il veut faire perdurer à travers les âges est sans doute commun à toutes les civilisations, et celles de l’Antiquité tant orientale que classique nous en fournissent plus d’un haut exemple, depuis le poème de Kadesh célébrant les prouesses de Ramsès II jusqu’à l’étonnant film sculpté que fait défiler sous nos yeux, avec un réalisme saisissant, la Colonne trajane, pour s’en tenir à l’exemple le plus célèbre. Toutefois, dans tous ces cas, on est en présence de témoignages «à sens unique» cherchant à imposer à la postérité une vision en quelque sorte «moniste» des faits. Beaucoup plus rares sont les lieux qui ont eu la chance d’accueillir, à travers la succession des cités et des empires, le passage ininterrompu de l’histoire dans l’écoulement sans cesse renouvelé de son flux, dans ses ruptures, ses discordances, ses hasards surprenants, tout comme dans ses continuités, ses permanences ou ses recommencements imprévus, en bref une histoire «plurielle» tant sur le plan diachronique que sur le plan synchronique. Or, il existe dans une telle perspective un lieu véritablement privilégié entre tous, un étonnant «mémorial des siècles», où voisinent, neutralisés sous le signe de l’éternité, les conquêtes, les constructions, les rêves évanouis et les chimères toujours prêtes à se réveiller, de quatre mille ans d’une histoire tourmentée comme elle ne le fut peut-être nulle part ailleurs. Ce réceptacle unique des pépites les plus précieuses de l’histoire des hommes, non moins que des boues les plus mêlées des affrontements des peuples, nous le devons à un modeste cours d’eau du littoral libanais, le Nahr al-Kalb (ou «Fleuve du Chien»), dont l’embouchure abrite une séquence de stèles aussi précieuses pour l’archéologue ou l’historien que riches de pouvoir d’évocation pour le voyageur à la recherche des siècles perdus. Bien que toutes les périodes de l’histoire, jusqu’à la plus contemporaine, y soient représentées, les plus intéressantes sont celles qui appartiennent à l’Antiquité. Quatre civilisations, ayant eu pour support politique et militaire quatre grandes aventures impériales, se côtoient dans ce face-à-face de morts illustres enfin susceptibles de tenir le même langage, de délivrer un message commun aux vivants : l’Égypte pharaonique, la Mésopotamie assyrienne et babylonienne, le monde hellénistique, enfin l’Empire romain, qui crut, pendant un demi-millénaire, avoir enfin réuni, à l’ombre de sa loi et dans la paix de ses municipes confiés à l’administration des magistrats et à la vigilance des légions, l’Orient et l’Occident dans une indissoluble unité. N’en avait-il pas l’assurance, en vertu de la promesse faite par les dieux à Enée, de n’assigner à l’autorité de sa race aucune limite «nec meta locis, nec tempora» – ainsi que devait le dire, avec des accents prophétiques, l’admirable chantre de la paix des hommes et des dieux, du retour à l’Âge d’Or, ce Virgile dont le monde célèbre cette année précisément le deuxième millénaire. Toutefois l’histoire, elle, fut d’un autre avis, et ce qu’elle livre aujourd’hui à notre regard et propose à notre méditation, c’est un livre dont la dernière page n’a pas été, ne pouvait pas être écrite, parce que, dans aucune entreprise humaine, il ne peut être question de conclure. Ce livre, toujours ouvert, il faut le lire comme une sorte d’anthologie, à l’aménagement de laquelle le caprice, le hasard et la fantaisie des hommes auraient présidé, non moins que les contraintes des faits, les impérieuses exigences d’un certain ordre des choses opérant au sein même des accidents et des dérapages. C’est pourquoi, en définitive, Asarhaddon et Ramsès II – ce dernier deux fois présent –, Nabuchodonosor ou Caracalla, tout autant que d’autres noms plus modestes, comme ce Proculus, «aimable rejeton de l’illustre Tatien de Lycie», nous donnent, dans les contradictions enfin résolues de leur destin temporel, la même occasion de relire l’histoire sous un éclairage pacifiant et – qui sait – peut-être, somme toute, rassurant. «Le Livre et le Liban»
On a pu dire des cathédrales romanes et gothiques qu’elles constituaient de véritables «bibles de pierre», en ce sens que, relatant les grandes scènes des deux Testaments, elles permettaient à l’homme, le plus souvent illettré, du Moyen Age de «lire» l’histoire du salut, depuis l’origine de l’humanité jusqu’aux visions eschatologiques de l’Apocalypse. Ce souci...