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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Conférence - Le pouvoir et la présence syrienne au Liban - Samir Frangié appelle à la révolution tranquille

Samir Frangié n’abdique pas. Le révolutionnaire se réveille en lui. Mais cette fois, c’est de révolution tranquille qu’il nous parle, celle capable de déboucher sur la création d’un État démocratique et souverain. L’objecteur de conscience qu’il est se consacre désormais à cette merveilleuse tâche qui consiste à instruire, éclairer, à dénoncer aussi, lorsque besoin est, les multiples maux de cette société politique «schizophrène» jusqu’au bout, comme il dit. Devant un parterre de jeunes et d’intellectuels rassemblés à l’USJ où il était invité à donner une causerie, il expose tous les vices de fond et de forme du pouvoir libanais, un pouvoir à la recherche d’une légitimité. «Une révolution tranquille pour marquer la différence entre les révolutions d’hier, qui ont toutes débouché sur la violence, et celle à venir, qui doit se fonder sur le respect de la loi», explique Samir Frangié en guise d’introduction. Pourquoi une révolution ? Parce que d’après cet intellectuel, le régime politique manque tout autant de légitimité populaire, incarnée par l’accord de Taëf – lequel n’a pas été respecté –, que de légitimité fonctionnelle, les régimes qui se sont succédé depuis une dizaine d’années ayant échoué à faire régner la justice sociale et à réaliser la prospérité. «Personne ne s’y trompe. Le pouvoir réel est ailleurs», dira-t-il, avant d’expliquer l’absurdité de la situation dans laquelle se trouvent actuellement les Libanais. Ces derniers discutent de leur avenir national avec un pouvoir politique établi dans un pays voisin, alors que l’État qui les représente refuse tout dialogue avec eux quand bien même les principaux concernés – les Syriens – sont disposés à traiter de la question, souligne-t-il en substance. Samir Frangié continue sur sa lancée. Il examine, décortique et évalue le régime en place, sous toutes ces facettes, en faisant ressortir les «caractères propres» de ce «pouvoir virtuel», soumis comme il dit, à une série de directives relevant du code de la route. «C’est ainsi, dit-il, que dans le langage politique au Liban on parle de “limites à ne pas dépasser”, de “ligne rouges, à ne pas franchir” de “feux verts” pour signifier que l’action est autorisée, de “train à prendre en marche” pour les candidats en députation, de “rouleaux compresseurs”, pour décourager les récalcitrants, etc». Et M. Frangié de dénoncer d’autres manifestations encore plus «dangereuses» de ce pouvoir, qui n’a pas d’autorité réelle pour définir une politique cohérente et qui dit une chose et son contraire. En d’autres termes, un pouvoir tout en paradoxes que le conférencier illustre en ces termes : «Les Libanais sont constamment soumis à deux impératifs contradictoires : – «Appliquer l’accord de Taëf, qui est au fondement de la légitimité de l’État, et rejeter son application parce qu’il prévoit le retrait syrien du Liban, – «réclamer l’exécution de la résolution 425 qui garantit notre droit face à Israël et refuser sa mise en application parce qu’elle risque de remettre en question la coordination libano-syrienne, – «accepter le fait que l’entente a déjà été réalisée, ce qui rend inutile la formation d’un gouvernement de réconciliation et reconnaître que, sans la présence militaire syrienne, la guerre civile reprendrait entre les différentes communautés religieuses, – «refuser le retour du général Aoun en invoquant la présence d’un dossier judiciaire qui n’est toujours pas constitué et tolérer les manifestations publiques de cheikh Sobhi Toufaily – qui fait, lui, l’objet d’un mandat d’arrêt en bonne et due forme – dans une région que l’armée syrienne contrôle totalement, – «traduire en jugement ceux qui ont collaboré avec l’ennemi dans le Sud et promouvoir à des postes ministériels ceux qui ont été les artisans de l’invasion israélienne de 1982». Perte de repères identitaires L’intervenant met en garde contre la politique de la «table rase », autre manifestation de ce pouvoir virtuel, qui consiste à amener les Libanais à considérer que le Liban n’existe réellement que depuis 1989, «date à laquelle le pouvoir actuel a été établi». Et d’enchaîner en constatant que les Libanais souffrent d’avoir perdu leurs repères identitaires. Le constat est amer mais d’un réalisme cru. «L’identité communautaire est lourde de tous les massacres commis en son nom ; l’identité nationale est dévalorisée depuis que l’État a perdu sa souveraineté ; les identités familiales et claniques, mises également à contribution par les différentes milices, ne constituent plus des positions de repli ; l’identité arabe n’ouvre plus d’horizon», soutient le conférencier. Or, affirme Samir Frangié, c’est précisément le fait d’avoir une histoire qui permet d’en «faire» une. Toutefois, si le constat est lourd, cela ne veut pas dire pour autant qu’il s’agit de démissionner, ou de convenir avec ceux qui affirment que les Libanais sont incapables de se prendre en charge et doivent continuer à être placés sous tutelle. «Une traversée du désert», ou encore «le prix à payer pour une maturité qui nous a fait cruellement défaut», affirme-t-il pour qualifier les années de souffrance, de déceptions et de misères qui ont marqué l’épisode de le guerre et de la violence à laquelle ont contribué les Libanais, tantôt victimes, tantôt assassins, mais tous, sans exception, collectivement responsables, d’une manière ou d’une autre, de la destruction de leur société. Vingt ans après, ils auront beaucoup appris, estime-t-il. Apprendre quoi ? Le compromis, que commande la vie en commun, le recours au dialogue et le respect de la loi comme uniques fondements d’une nation viable. Ils auront appris également à préférer l’affirmation légitime de soi à l’arrogance, l’intelligence à la roublardise et le réalisme à l’opportunisme. Ils auront aussi réalisé que «la stabilité de leur pays dépend d’une relation équilibrée avec le monde arabe mais qu’une telle relation ne peut être établie qu’entre pays souverains». Samir Frangié parlera beaucoup de créativité et de dynamisme, ingrédients indispensables au nouveau consensus national, auquel aspire, malgré les obstacles, une société «qui tente de se reprendre en main». Car, dit-t-il, «la façade démocratique ne trompe plus personne. Le caractère policier du régime n’est plus à démontrer. Le spectacle bascule dans le vaudeville». D’où la nécessité de cette révolution tranquille, indispensable pour l’instauration d’un État de droit. Elle commence par une révolution constitutionnelle, c’est-à-dire par la simple application du texte de la loi fondamentale, ni plus ni moins, prône le conférencier, «le peuple étant la source des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté qu’il exerce à travers les institutions constitutionnelles». Cette thèse réfute bien entendu celle du pouvoir virtuel, commandé à distance. Rendre au peuple sa souveraineté Elle sous-entend en second lieu la révision de la loi électorale, critiquée à la fois par les loyalistes et par les opposants, celle-là même qui avait pour but de confisquer une nouvelle fois la volonté populaire. Bref, résume M. Frangié, le premier but de cette révolution est de rendre au peuple sa souveraineté. Quant au second objectif, il porte sur la manière de concevoir les relations entre le Liban et la Syrie. «Les Syriens, et avec eux la classe politique qu’ils ont mis au pouvoir, ont considéré que le satu quo établi après 1990 pouvait être indéfiniment maintenu, avec un Parlement et un pouvoir exécutif soigneusement désignés et des services de renseignements actifs». Une mainmise syrienne, qui a abouti à un État fantoche, n’a réussi ni à se doter d’une légitimité populaire, ni à exister en dehors de la présence syrienne. Celle-ci est aujourd’hui remise en question à la lumière d’une nouvelle conjoncture : la libération du Sud, où l’on assiste à «l’émergence d’un discours unitaire ( …), faisant de la question de la souveraineté nationale et du rééquilibrage des relations avec la Syrie une priorité absolue». «Seule une “libanisation” de la Syrie permettrait de lever les obstacles sur la voie de l’établissement de relations entre les deux pays». Et M. Frangié ajoute : « Le pouvoir libanais en est encore à prôner une “syrianisation” du Liban alors même que le nouveau pouvoir syrien manifeste de plus en plus clairement sa volonté de changement». M. Frangié n’oublie pas à ce titre de rappeler le fameux manifeste des 99 intellectuels syriens, devenus dernièrement un millier, réclamant la reconnaissance du pluralisme politique, de la liberté d’expression, la suppression de la censure, l’abolition de l’état d’urgence et de la loi martiale en vigueur depuis 1963, une amnistie générale des prisonniers. Bref, c’est sur un appel passionné à mener bataille en faveur de la démocratie et des droits de l’homme que conclut le conférencier, qui souligne que le chantier de la révolution tranquille est ouvert à chacun de nous, qui se sent concerné pour peu que son choix final se soit porté sur le Liban comme nation définitive.
Samir Frangié n’abdique pas. Le révolutionnaire se réveille en lui. Mais cette fois, c’est de révolution tranquille qu’il nous parle, celle capable de déboucher sur la création d’un État démocratique et souverain. L’objecteur de conscience qu’il est se consacre désormais à cette merveilleuse tâche qui consiste à instruire, éclairer, à dénoncer aussi, lorsque...